Le centre Lapios

21 février 1986
09m 30s
Réf. 00011

Notice

Résumé :

Depuis son inauguration en 1984, le centre de rechercher et de formation à la musique traditionnelle de Lapios œuvre pour la sauvegarde et la diffusion du patrimoine musical gascon, à travers le collectage des airs et des danses populaires, la publication de nombreux ouvrages et la fabrication et la restauration d'instruments anciens.

Type de média :
Date de diffusion :
21 février 1986
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Personnalité(s) :

Éclairage

Au cours des années 1970, se développe en Europe un regain d'intérêt pour les musiques de tradition orale dites "musiques traditionnelles" ; chaque genre musical est le plus souvent lié à une activité humaine (un travail, un événement de la vie, la danse etc.). Dans le Sud-Ouest, par exemple, c'est à Samatan dans le Gers que se produit le "revival" du rondeau, en Ossau celui du branle béarnais. Dans les Landes de Gascogne, la vague folk s'est penchée sur des instruments qui n'étaient plus joués par les jeunes générations : la vielle à roue, le violon, la cornemuse, la flûte à trois trous, le tambourin ici dénommé toun-toun, et le fifre, qui avait été au cours de l'histoire l'instrument des fêtes des Landes de Gascogne. Les pratiques n'étaient pas tout à fait perdues ; il restait encore dans quelques villages, quelques musiciens qui avaient beaucoup joué et qui encore, une ou deux fois par an, "sortaient" à l'occasion de quelques fêtes. La pratique de l'instrument était très liée à la vie sociale communautaire (fête des conscrits, plantation du mai ou Mayade, fête des bœufs gras, etc.) ; le conseil de révision ne se passant plus dans le chef-lieu du canton, les fêtes des bœufs gras se raréfiant, les joueurs vieillissant, les occasions de jeu devenaient rares et la tradition orale allait se perdre.

L'ADAM Gironde (Association pour le Développement et l'Animation Musicale en Gironde) crée dans les années 1980 un département de musique traditionnelle, animé par Christian Vieussens, qui recueille, met en pratique, enseigne et suscite des rencontres entre générations. Puis, sous l'impulsion du Conseil général de la Gironde (Marc Bœuf et Francis Larriba, directeur du CDC), une structure spécifique est créée au sein du domaine culturel, à Belin-Beliet, au lieu-dit Lapios. Le domaine culturel couvert est celui des Landes de Gascogne, qui correspond peu ou prou au massif forestier, depuis le Médoc au nord, au Bazadais à l'est, jusqu'à l'Adour et à l'océan.

Le centre Lapios, outil de décentralisation culturelle, est un centre dédié à la musique traditionnelle ; ses deux dimensions sont la recherche et la formation. Le patrimoine de la musique populaire de tradition orale est recueilli, à la fois sous la forme d'enregistrements, de témoignages sur les pratiques : la façon d'apprendre, de jouer ensemble, de fabriquer un instrument, présente des variantes intéressantes selon des territoires repérés au sein des Landes de Gascogne. Un morceau connu présente des variantes, dont l'ethnomusicologue Lothaire Mabru dresse une cartographie appuyée sur une base de données. Le programme est d'allier collectage et conservation, rencontres et démonstrations, échanges entre générations, animation par l'organisation de concerts et de bals traditionnels, et par l'accompagnement de fêtes rurales. La démarche décrite par son directeur Henri Marliangeas est du type "recherche-action", qui développe, incite, encourage la poursuite de la pratique chez les anciens et l'apprentissage chez les jeunes. Le répertoire peut être exploité en tant que tel, mais aussi comme point de départ à des créations contemporaines.

Un studio d'enregistrement permet de réaliser des maquettes. Un atelier de facture instrumentale fait partie du projet ; de façon temporaire, un sabotier retraité du village, Alain Biguerie, s'investit pour restaurer les instruments de la tradition populaire ou en fabriquer d'après des modèles retrouvés dans des greniers. C'est un exemple de l'intérêt porté par les habitants à la démarche.

Jusqu'à la fin de sa mission, en 1995, le centre organise un stage par mois, et suscite de nombreuses interventions : ateliers, bals traditionnels, fêtes et rituels. Les actions d'animation complètent celles du Parc naturel régional des Landes de Gascogne.

La démarche du centre Lapios s'est prolongée sur deux terrains : celui de la recherche, avec la création d'un département d'ethnomusicologie au centre Artes - université Montaigne-Bordeaux 3, et celui de l'animation avec la Fédération Girondine des Associations des Danses et des Musiques Traditionnelles, fondée en 1994, qui publie un bulletin, L'Airial, et un carnet d'adresses. Sur le plan local, l'école de musique et de danse Chalemine, fondée en 1991, assure ateliers et stages.

Les données (textes, musiques, mises en jeu) collectées et mises en forme sont mises à disposition par des co-éditions, avec les Cahiers du Bazadais et le CRDP d'Aquitaine (Centre Régional de Documentation Pédagogique). Les archives sonores ont été transférées aux Archives départementales, dans le cadre d'un fonds sur la culture gasconne.

Hubert Cahuzac

Transcription

Journaliste
Dans un cadre de verdure au sein du Parc naturel régional des Landes de Gascogne, le centre Lapios. Un centre de recherches et de formation à la musique traditionnelle, inauguré il y a un an et demi. C’est ici que l’on met en mémoire le patrimoine musical gascon. Une musique dont les origines se perdent dans la nuit des temps et qui a traversé les siècles avec pour seul support la tradition orale. Une tradition qui, comme beaucoup d’autres, est menacée aujourd’hui de disparition. On mesure alors mieux l’importance d’un tel centre de recherche, sa mission première, archiver sur bande magnétique les airs et danses populaires du terroir, mission complétée par une série d’actions consistant à divulguer, à publier et à former. Il n’y a pas une musique traditionnelle mais des musiques traditionnelles que l’on a pu, avec patience, resituer géographiquement.
Henri Marliangeas
Nous avons essayé de faire une cartographie des formes sous lesquelles on a collecté le rondeau. Alors par exemple toutes les petites punaises vertes indiquent que le rondeau se danse en couple. Toute cette zone verte qui va donc de notre région ici jusque dans le nord du Lot et Garonne. Ensuite vous avez ici la région des Landes, de la Grande Lande où on danse le rondeau en chaîne. Alors ça se manifeste par des punaises noires, toute cette zone, rondeau en chaîne, on pense que c’est la forme primitive d’ailleurs. Ensuite une zone bleue ici qui est assez grande et où on a collecté le rondeau à quatre, dansé à quatre. Ici on retrouve entre cette zone, de chaque côté de cette zone bleue, la zone verte, c’est-à-dire le rondeau en couple, du côté du Gers ; et de Samatan qui est un nom bien connu puisque c’est de là qu’a démarré un peu tout ce travail de collectage sur les danses populaires. Et ensuite, perdu ici au fond des Pyrénées dans la vallée d’Ossau, le brande béarnais dont on pense qu’il est affilié complètement à ce qu’on appelle ici le rondeau, ici le brande, danse collective en chaîne.
Journaliste
Au premier étage, la salle d’archives. C’est ici que travaille Lothaire Mabru, spécialiste en ethnomusicologie. La musique populaire fait partie de la vie quotidienne et, comme cette dernière évolue, varie, avec le temps. Jusqu’au siècle dernier, elle était transmise de bouche à oreille, encore une tradition qui disparaît, reste alors l’écriture. Le collectage comme on dit. Pas aussi simple cependant qu’on pourrait l’imaginer car les versions d’une même musique se multiplient à l’infini.
(Musique)
Journaliste
Lothaire Mabru, pouvez-vous nous expliquer ce que vous faites en ce moment ?
Lothaire Mabru
Oui, ben c’est simple. J’ai fait un enregistrement sur le terrain comme on dit et puis je suis en train de faire la partition d’un air que j’ai collecté suivant le terme qui est utilisé.
Journaliste
Ce que l’écriture ou l’enregistrement ne peuvent traduire c’est l’âme même de la musique populaire. Il faut, dit Lothaire Mabru, voir les gens danser, sentir l’odeur des pins, connaître et aimer les gens de la région. Reste que l’archivage demeure aujourd’hui l’unique moyen de sauvegarder ce qui reste. Vous n’avez pas le sentiment qu’on a un peu tardé pour prendre conscience que ce patrimoine était en train de mourir ?
Henri Marliangeas
Oui, mais comment vous dire, ça, ça vient du fait tout simplement que les détenteurs eux-mêmes de ce patrimoine n’ont pas toujours la conscience, d’abord, qu’ils détenaient un patrimoine et surtout qu’ils étaient les seuls à le détenir. Sinon, il y a longtemps qu’ils auraient écrit, copié et tout ça. Mais c’est d’ailleurs un des problèmes dont vous parlait récemment Lothaire Mabru c’est que, on est des points d’interrogation pour les gens qui, encore, qui sont détenteurs cette culture parce qu’ils se demandent... Eux, savent, ce n’est pas quelque chose d’extraordinaire pour eux, c’était leur quotidien, c’est comme si on venait vous interviewer pour vous demander comment vous tenez votre fourchette pour manger. En pratique j’exagère mais c’est un peu ça. Donc si vous voulez quand on dit c’est trop tard, c’est parce que tout simplement il n’y a pas eu la conscience de la fragilité de tout ce patrimoine qui n’était détenu que dans les mémoires.
Journaliste
Un travail qui demande de la ferveur et de la patience. La mémoire, disait Samuel Butler, c’est comme l’écho qui continue à se répercuter après que le son est éteint. Or, il faut savoir approcher ceux qui détiennent encore les secrets enfouis. Les mettre en confiance devant un micro indiscret, les persuader de l’utilité d’une telle démarche, sauver la mémoire collective.
(Bruit)
Lothaire Mabru
Ce qu’il y a c’est que, on s’adresse à des gens qui sont des musiciens et qui ne comprennent par forcément toujours que ça peut être un sujet de recherche, un sujet d’enquête que d’enregistrer leur musique, de savoir quelle était cette musique. Surtout quand pendant de nombreuses années cette musique a été reléguée à un rang inférieur, puisqu’il y avait la musique des musiciens, c’est-à-dire la musique de ceux qui lisaient la musique. Dans la tradition orale, les musiciens ce sont ceux qui lisent la musique. Il n’y a pas de terme en patois pour parler de la musique. On parle de danse, on parle d’instrument, on ne parle pas de musique.
(Bruit)
Journaliste
A la musique traditionnelle est liée une facture instrumentale originale. Au fil des siècles, les mêmes instruments ont accompagné les mêmes musiques. Au premier rang, les vielles à roue, les cornemuses, les flûtes à trois trous et les tambourins. Là encore, il ne reste que très peu d’exemplaires de ces instruments que l’on retrouve pour la plupart dans des greniers poussiéreux et hors d’usage. Alors, on a songé à créer un atelier de lutherie au centre Lapios. C’est Robert Biguerie, le dernier sabotier de Belin-Beliet qui l’anime. Un matériel modeste mais efficace permettant de fabriquer ou de restaurer les instruments traditionnels. Nous voyons ici les différentes étapes de la fabrication d’un pied de cornemuse landaise, un instrument typique de la région dont se servaient jadis les bergers et qui a aujourd’hui totalement disparu. Seules les personnes de 70 ans ont connaissance de cet instrument mais il faut qu’elles aient plus de 80 ans pour avoir vraiment entendu jouer de la cornemuse. Grâce à certains modèles parvenus jusqu’à nous, il est possible de reconstituer la cornemuse landaise. En revanche, il ne reste aucune trace sur la manière de jouer cet instrument et sur le répertoire qui lui était spécifique. On pense généralement que la cornemuse landaise a disparu avec l’apparition de nouvelles danses comme la scottish, la polka ou la valse.
(Bruit)
(Musique)
Henri Marliangeas
Lothaire Mabru a découvert une vieille cornemuse landaise dans une famille de musiciens; que voilà. Vieux pied de cornemuse, et grâce donc à ce modèle, Monsieur Biguerie a pu tourner ce pied de cornemuse qui est la réplique à peu près exacte avec quelques décorations qui, elles aussi, n’ont pas été improvisées ; mais reproduisent certaines décorations qu’on a retrouvé sur d’autre pieds de cornemuses landaises. Voilà, le modèle et l’instrument réalisé.
Robert Biguerie
Je suis à la retraite maintenant, je m’amuse et c’est un plaisir pour moi que d’apprendre un second métier maintenant.
Journaliste
Outil original et indispensable, le Centre de recherches et de formation à la musique traditionnelle gasconne a ouvert la voie à un collectage national de toutes les musiques traditionnelles. Le centre Lapios fait figure de pionnier, la tâche est vaste car le répertoire populaire n’a pas de limites que celles du rêve que rejoint aujourd’hui la réalité.
(Musique)
Henri Marliangeas
Dans la mesure où nous essayons, non pas simplement d’informer, mais de faire revivre cette tradition, à la faveur des bals traditionnels, des ateliers de danses, de pratiques instrumentales ; c’est-à-dire que les gens réapprennent à jouer des instruments traditionnels, à ce moment-là ça peut devenir un engouement parce que ça n’est plus un objet froid, un objet de musée.
(Musique)