Festival rock à Mont-de-Marsan
Notice
En 1991, la Mano Negra, les V. R. P. et les Wampas partagent l'affiche du festival de rock français de Mont-de-Marsan.
Éclairage
Ce 17 juillet 1991, le festival rock de Mont-de-Marsan accueille certains des groupes les plus emblématiques du rock alternatif français des années 90 : la Mano Negra en tête d'affiche [1], ainsi que les Wampas, les Satellites, les VRP et les Casse-pieds. 1976-1991 : quinze années qui séparent ce "retour du rock français à Mont-de-Marsan" de la première édition du festival punk qui témoignait des débuts d'une véritable scène rock en France. L'heure est au bilan.
Bien que les groupes ici à l'affiche partagent les mêmes racines musicales punk que ceux de 1976, le statut du rock indépendant a totalement changé : phénomène underground à la fin des années 70, il réalise désormais certains des plus grands "cartons" discographiques français. En 1988, Patchanka, le premier album de la Mano Negra, obtient un disque d'or. Le titre King Kong Five qu'ils interprètent ici sur scène (issu de l'album Puta's Fever sorti en 1989), demeure l'un des plus grands tubes adolescents des années 90.
A l'exception des Casse-pieds, tous les groupes présents cet été-là à Mont-de-Marsan se sont détournés des labels indépendants qui les ont promus à leurs débuts, pour rejoindre une major du disque : Mano Negra a quitté Boucherie Productions pour Virgin, les VRP et les Satellites ont quitté Bondage pour rejoindre – respectivement – Phonogram et Sony, les Wampas ont quitté New Rose pour BMG. Au milieu des années 80, en marge du show business parisien et des médias dominants, le secteur du rock alternatif a démontré qu'il était en mesure de toucher un large public. Jusque-là indifférentes au phénomène, les majors du disque s'y sont alors intéressées de près, le rock alternatif ayant fait la preuve de sa possible rentabilité économique. En ce début des années 90, la plupart des labels indépendants sont en faillite ou rachetés par les grandes maisons de disques. En France comme dans les pays anglo-saxons, cette évolution du statut du rock indépendant n'est pas sans soulever des débats. Le fait qu'une partie des groupes estampillés "indépendants" intègrent les circuits de distribution et de promotion dominants remet en question la notion-même d'"indépendant" : son intégrité éthique et esthétique est-elle séparable de son statut économique ?
Le style musical du rock indépendant français a également bien changé depuis la première génération punk de 1976 : la voix off de ce reportage le qualifie de "rock métisse, bouillon de culture de la scène alternative". Les commentaires médiatiques du moment, au sujet de la Mano Negra et consorts, sont autant de variations sur le thème du métissage. Bien que cette caractéristique ne soit pas abordée ici dans l'interview de Santic Casariego, elle a été maintes fois revendiquée par la Mano Negra. Manu Chao considérait alors que le style de son groupe relevait de "ce qu'on a appelé la Patchanka [...]. Y'a de la salsa, du flamenco, du reggae, du ska, du rap. On utilise toutes les musiques qu'on écoute" [2]. Influencée par ce que Radio Nova appelait la "sono mondiale" dans les années 80, qui devient "World Music" en ce début des années 90, une grande partie de la scène rock alternative intègre nombre d'influences extérieures au punk et d'origines culturelles diverses. Ce rock bigarré, aux accents tantôt hispaniques, jamaïcains ou africains est devenu une marque de fabrique du rock alternatif à la française.
Le succès du style métissé d'un groupe tel que la Mano Negra semble en bonne partie reposer sur les connotations sociales qu'il véhicule. Il entre en résonance avec la culture d'une partie importante de la jeunesse des années Mitterrand, une culture teintée de valeurs de gauche. Le style de la Mano Negra renvoie tout d'abord à une dimension festive (on parle parfois de "rock festif"), omniprésente dans le reportage, tant dans le discours de Santic Casariego que celui des adolescents interrogés, ou le parti pris du reportage [3]. Dans l'imaginaire collectif, ses sonorités musicales espagnoles, sud-américaines ou jamaïcaines sont associées – de manière quelque peu stéréotypée – à l'univers de la fête, à des contrées ensoleillées vouées à l'hédonisme festif. Ce rock métissé renvoie également à une posture militante à la fois anti-raciste et tiers-mondiste. Symboliquement, il promeut l'image d'une France multiraciale, multiculturelle, tolérante, à l'écoute des pays du tiers-monde. La Mano Negra se présente lui-même comme un groupe multiculturel, et il s'est associé à des évènements militants tels que la Fête de l'égalité raciale à Bobigny (02 février 1989) ou la manifestation à la Bastille contre le "sommet des riches, la dette du Tiers monde, la faim et l'apartheid" (08 juillet 1989). A l'opposé de la première génération punk, mise au ban de la société, la posture militante de la Mano Negra s'inscrit au contraire dans un certain consensus. Elle fait écho à certaines valeurs humanistes et sociales déjà très médiatiques dans le courant des années 80, promues par certaines initiatives militantes : la campagne "touche pas mon pote !" de S.O.S. Racisme, les Restos du cœur à l'initiative de Coluche, le 45 tours caritatif S.O.S. Ethiopie qui s'était vendu à plus d'1 million d'exemplaires [4]... Des préoccupations militantes aussi louables qu'éloignées de celles des punks de 1976.
[1] Dans le reportage, on aperçoit le célèbre logo qui apparaît sur la pochette de leur dernier album King of Bongo (sorti en avril), placardé ici en grand format sur l'enceinte extérieure des arènes.
[2] Reportage sur le Printemps de Bourges diffusé au journal de 20h sur Antenne 2, le 6 avril 1989, document INA.
[3] "On voulait faire une fête avec tout un tas de groupes qui sont nos amis, avec qui on a toujours plus ou moins joué tout le temps, fait la fête ensemble", nous dit Santic Casariego. Il faut ajouter que cette dimension festive "colle" particulièrement bien au lieu également, traditionnellement associé aux férias landaises.
[4] Disque publié en mars 1985, et qui représentait le pendant français du "We Are the World" américain sorti 2 mois plus tôt.
Bibliographie :
- RUDE BOY, Arno, Nyark Nyark ! Fragments des scènes punk et rock alternatif en France (1976-1989), Paris : éd. Zones, 2007.
- PEPIN, Rémi, Rebelles : une histoire du rock alternatif, Paris : Hugo Doc, 2007.