Le 26ème congrès des métayers et fermiers landais à Habas
Notice
A Habas, le 26ème congrès départemental des métayers et des fermiers landais a donné lieu à une réunion consacrée aux problèmes économiques et sociaux rencontrés par la profession, ainsi qu'à une cérémonie autour du monument aux morts de la ville.
Éclairage
Fermage et métayage sont les deux visages du faire-valoir indirect ; lequel s'oppose au mode de faire-valoir direct qui a longtemps été le rêve de chaque exploitant agricole ou presque : être propriétaire de la terre qu'on travaille !
Cependant, la réalité agricole de la France est faite d'infinies nuances. Vieille nation paysanne, elle offre de multiples facettes, "bons pays" et "terres pauvres ou froides" décrits par le voyageur anglais Arthur Young à la fin du XVIIIe siècle ou par les multiples analyses de la géographie "régionale" universitaire, longtemps "ruralisante" dans une large première partie du XXe siècle. Les études des structures agraires révélèrent une trame sous-jacente, profonde et compliquée, de l'Hexagone : les clivages entre régions de grandes ou de petites propriétés en faire valoir-direct, les contrastes entre pays de métayage et pays de fermage. Autant d'éléments sociologiques déterminant les structures familiales, expliquant les mentalités, voire les comportements politiques, notamment dans les pays occitans, du Périgord de Jacquou le Croquant [1] à la révolte des vignerons de 1907 dans le Bas-Languedoc ou à celle des métayers landais du Bas-Adour en 1919-1920.
Il se trouve que, dans les pays aquitains, le métayage a été longtemps très présent. Il apparaît, à la fin du Moyen Âge et se repère amplement dans les documents historiques (plans terriers, héritages, contrats de mariage...) du XVIe au XVIIIe siècle. Selon l'étymologie, c'est partager les revenus "à moitié", le gascon meitat (moitié) expliquant meitadèir, "métayer". Cet échange qui n'est pas fondé sur l'argent, comme dans les contrats de fermage, est en effet plus ou moins aléatoire selon les lieux ; et surtout selon les hommes et la nature de leur rapport. Le bordilèr (qui habite une bòrda), le hasendèr (qui met la terre en valeur, comme dans les haciendas ou fazendas latino-américaines) ou le meitadèir est redevable, en fait, d'un loyer en nature extrêmement variable (grains, cheptel mort ou vif...). Les rapports avec les propriétaires sont toutefois souvent tendus, surtout quand on entre dans le XXe siècle et que la société évolue (instruction primaire, mouvement ouvrier et "popularisation" du concept de lutte des classes).
Ils expliquent en particulier la révolte des Picatalòs [2] de l'immédiat après-guerre de 14-18. Les hommes revenus du "Front", amers des conditions de vie et de travail qu'ils retrouvent pour eux-mêmes et pour leurs familles, sont prêts à entrer en sédition, au moins dans la région de l'Adour en aval de Dax (Pey, Saubrigues, Saint-Vincent-de-Tyrosse...). D'où peut-être le sens, probablement occulté, du dépôt de gerbe au monument aux Morts de Habas où se tient, 50 ans après le mouvement de révolte, le congrès des fermiers et métayers.
Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que le premier député communiste d'un département majoritairement rural, où nombreux sont les petits fermiers et métayers, est Renaud Jean (1887-1961). Issu d'un milieu de petits propriétaires de la région de Marmande (Lot-et-Garonne), il est élu en décembre 1920 à la faveur d'une "partielle" et s'occupe des questions agricoles à la SFIC (Section Française de l'Internationale communiste ou Parti communiste) jusqu'à 1939... De même, dans les Landes, certains cantons, tels celui de Pouillon, ont ainsi depuis longtemps une sensibilité de gauche, voire d'extrême-gauche, que les structures agraires et les luttes anciennes expliquent en partie.
[1] Jacquou le Croquant, roman d'Eugène Le Roy (1899).
[2] On eût pu dire "Picabodics", puisque "talòs" est synonyme de "bodic", le lombric qui "bodiga" le sol, le tourne et le retourne et, au fond, l'enrichit. En 1903, la pièce gasconne Shuqueta, œuvre d'Al Cartero, pseudonyme du Docteur Lacoarret (1861-1923), évoquait les "Picatarròcs", gagne-misères s'échinant sur les "tarròcs", mottes ingrates de la glèbe de Salies-de-Béarn. Un anonyme en fit les "Picatalòs", chant de lutte sociale : "Hardits ! hardits ! qu'èm los Picatalòs, dit le refrain. Tribalhadors de tèrra./ E se lo sèu ne'ns pèsa pas suus òs,/ Qu'avèm tots bona hèrra, /Qu'èm guarruts e brinchuts." [Courage ! courage ! Nous sommes les gagne-misères, / Travailleurs de la terre./ Et si la graisse ne nous pèse pas, / Nous avons de la détermination,/ Nous sommes rudes et vigoureux.]