Les cinquante ans de la loi sur le métayage dans les Landes
Notice
A l'occasion du cinquantenaire de la loi du 13 avril 1946 sur le statut du fermage et du métayage, retour, au travers de nombreux témoignages, sur l'histoire de la lutte de la paysannerie landaise qui a abouti à une amélioration des conditions de vie des travailleurs de la terre.
Éclairage
Dans les Landes, en Chalosse tout particulièrement, et peut-être dans quelques autres départements (l'Allier notamment, avec le souvenir des structures anciennes du Bourbonnais), on a célébré avec une certaine ferveur les 50 ans de la loi du 13 avril 1946. Dans les mois suivant la Libération, alors que la Quatrième République se met difficilement en place, cette "avancée sociale", comme disent les anciens métayers et surtout ceux qui les soutiennent activement (communistes et socialistes), n'arrive pas par hasard.
Le programme du Conseil national de la résistance (CNR), adopté le 15 mars 1944, prévoit, entre autres, "l'élévation et la sécurité du niveau de vie des travailleurs de la terre par l'établissement d'un juste statut du fermage et du métayage, par des facilités d'accession à la propriété pour les jeunes familles paysannes et par la réalisation d'un plan d'équipement rural". Cela vient après bien des années de conflit, dont la révolte des Picatalòs [1] de l'immédiat après-guerre de 1914-18. Les hommes revenus du "Front", amers des conditions de vie et de travail qu'ils retrouvent pour eux-mêmes et pour leurs familles, sont prêts à entrer en sédition, au moins dans la région de l'Adour en aval de Dax (Pey, Saubrigues, Saint-Vincent-de-Tyrosse...).
Élu en 1945 à l'Assemblé Constituante, réélu en 1946, le député socialiste Charles Lamarque-Cando (1901-1989), qui dès les années 1936-37 a déjà commencé à ferrailler contre la loi de 1889 sur le statut du métayage, s'investit activement dans les propositions que fait à ce sujet la Commission de l'agriculture. Il est évidemment soutenu dans cette démarche par les communistes Félix Garcia (1909-1972, député des Landes de 1945 à 1951) et Jean Lespiau (1922- 1997), secrétaire fédéral du Parti communiste dans les Landes à la Libération et plus tard député des Landes de 1956 à 1958, qui apparaît curieusement dans le reportage comme seulement "écrivain"...
La loi de 1946 instaure le partage des deux tiers contre un tiers au propriétaire, la suppression des redevances, le droit à la conversion du métayage en fermage sur simple demande, et le droit de préemption.
Dans les Landes cependant, en Chalosse surtout, l'application de la loi ne se fait pas dans la sérénité, du moins au début. Jusqu'en 1950 des meetings, des affrontements avec les forces de l'ordre, des obstructions à des expulsions de métayers, des violences parfois et même des arrestations, enveniment les rapports entre "maîtres" et métayers. À Pouillon ou à Narrosse, près de Dax, rassemblements et échauffourées sont d'une réelle ampleur.
Les propriétaires bailleurs tentent en effet de retarder la mise en application des nouveaux textes car ils se considèrent en somme comme victimes d'une expropriation. Politiquement, sur fond de Guerre Froide, cela avive, s'il en était besoin, les tensions entre communistes d'un côté, et partisans d'un certain apaisement, de l'autre, tels Charles Lamarque-Cando ou le député MRP des Landes, Joseph Defos du Rau (1884 - 1970), élu de 1945 à 1955.
Les souvenirs liés à cet état de métayer et à ces luttes sociales passionnées demeurent vifs dans les mémoires, voire dans les clivages politiques locaux. D'où l'écho que reçoit en avril 1996 le film Leu part dou Meste [2] de la réalisatrice Sylvie Licard, lorsqu'il est présenté à Montfort-en-Chalosse.
Dans ce chef-lieu de canton, collectivité locale et département ont valorisé le Domaine de Carcher, devenu le Musée de la Chalosse. On y découvre des bâtiments et des abords minutieusement jardinés qui évoquent avec justesse ce qu'était la Chalosse agricole et viticole au XIXe siècle et même jusqu'à la Seconde Guerre mondiale : maison de maître richement meublée d'une bourgeoisie terrienne dont on retrouve le modèle dans maintes régions de Gascogne et d'ailleurs, maison bien plus modeste du métayer, avec ses annexes usagères. Un monde dans lequel on imagine parfaitement un Frédéric Bastiat (1801-1850) attentif aux mercuriales, ou quelque propriétaire fort ennuyé de la tournure prise en 1920 par ce que d'aucuns appelèrent un "bolchevisme agraire" [3] ...
[1] C'est la révolte des "bouseux", des Picatalòs, littéralement ceux qui "piquent les vers de terre" (talòs, en gascon, synonyme de bodic, lombric). Le chant de lutte sociale des Picatalòs est dû à un anonyme qui s'est cependant inspiré de la chanson des Picatarròcs composé par Al Cartero, pseudonyme du Docteur Lacoarret (1861-1923), dans sa pièce Shuqueta (1903) évoquant les misérables cul-terreux peinant sur les "tarròcs", mottes ingrates de la glèbe de Salies-de-Béarn : "Hardits ! hardits ! qu'èm los Picatalòs, dit le refrain. Tribalhadors de tèrra./ E se lo sèu ne'ns pèsa pas suus òs,/ Qu'avèm tots bona hèrra, /Qu'èm guarruts e brinchuts." [Courage ! courage ! Nous sommes les gagne-misères, / Travailleurs de la terre./ E si la graisse ne nous pèse pas, / Nous avons de la détermination,/ Nous sommes rudes et vigoureux.]
[2] En graphie correcte et couramment utilisée aujourd'hui du gascon, ce devrait normalement être "La part deu mèste" [la part du maître, latin magister, mèste en gascon].
[3] Un bolchevisme agraire dans les Landes, par Pierre de Gorostarzu, 1921.