L'irrigation à Saint-Sever
Notice
A Saint-Sever, une douzaine d'agriculteurs-producteurs de maïs se sont organisés en CUMA ,coopérative d'utilisation de matériel agricole, pour la mise en place d'un réseau d'irrigation des champs.
Éclairage
Dans les Landes comme dans beaucoup d'autres régions, l'agriculture fait largement appel à l'irrigation à partir de la fin des années 1960. Il ne s'agit pas tant de l'irrigation traditionnelle de type méditerranéen qui existe toujours tout en se modifiant dans la plaine du Comtat venaissin (Vaucluse) ou dans celle du Roussillon, que des méthodes d'arrosage par aspersion. Venus du modèle productiviste nord-américain qui s'épanouit dans les grandes plaines du Middle West ou dans la Grande Vallée de Californie, pivots d'arrosages et "sprinklers" [1] gagnent l'Europe, notamment ses régions méridionales aux étés plus secs, en raisons de deux causes majeures.
D'une part, l'agriculture, très largement intégrée aux filières agro-alimentaires, exige d'intensifier ses productions tout en les assurant contre le déficit en eau particulièrement, toujours possible en été, voire même lors de certains printemps. Or, l'évolution des structures et des techniques agricoles fait que les entreprises agricoles, souvent largement endettées, sont obligées de garantir un rendement optimal de récoltes ; dans la quantité comme dans le temps, car l'agriculteur – les yeux rivés sur les cours – est souvent lié par un contrat très précis à un conserveur ou à une coopérative [2].
D'autre part, dans les années 1970 et 1980, le "fabuleux maïs" est la céréale reine qui s'est développée, largement grâce aux prix que garantit alors la politique agricole commune ou PAC, dont on sait qu'elle fut un des premiers grands chantiers de la Communauté économique européenne (CEE). Certes, l'élevage et les industries en général en ont besoin, mais son cycle végétatif exige que la plante – originaire de l'Amérique tropicale humide, il ne faut pas l'oublier – reçoive suffisamment d'eau pour parvenir à maturité.
Ainsi, dans les Landes, la maïsiculture devient-elle une des plus importantes activités agricoles qui bouleverse les horizons, les parcellaires, la gestion de l'eau et les habitudes, sinon les mentalités.
D'un côté, les vastes étendues forestières de la Haute-Lande [3], du Born ou du Gabardan sont transformés par la création de vastes et puissants domaines orientés avant tout vers le maïs grâce à l'accès relativement facile à l'eau (nappes phréatiques, voire aquifères plus profonds).
De l'autre, la Chalosse, jadis exemple même de la polyculture caractéristique des "pays de l'Adour", voit complètement se métamorphoser ses collines, ses vallées ou ses anciennes landes, appelées gèrts ou tojars en gascon, sur lesquelles on coupait fougères et ajoncs pour faire lo sostre, c'est-à-dire la litière, et donc obtenir le fumier si précieux pour amender les terres. Non loin de Saint-Sever (quartier d'Augreilh), les vallées de l'Adour ou du Gabas se prêtent évidemment à ces nouvelles orientations agricoles.
Or, il se trouve que dans cette partie du département des Landes, les coopératives d'utilisation du matériel agricole ou CUMA [4] se sont plutôt bien implantées. On comprend dès lors que ce type de coopération agricole, outre les lourds travaux de terrassement ou de récoltes (battages), se soit également orienté vers l'entraide et une certaine mutualisation des outils pour favoriser l'arrosage. Cela nécessite en effet des investissements assez lourds pour des installations relativement complexes qui doivent néanmoins bénéficier d'une souplesse d'utilisation.
Vers le milieu des années 1980, on ne parle guère, bien que certains y songent avec beaucoup de clairvoyance, de la question des réserves disponibles en eau. Cependant, ailleurs dans les Landes et en Aquitaine ou Midi-Pyrénées en général, ont déjà été édifiées des retenues collinaires ou des barrages plus importants qu'exige le modèle dominant d'agriculture.
Depuis les années 2000, ces questions liées à l'irrigation ont tendance à se faire plus aiguës et, s'ils n'ont évidemment pas abandonné ces techniques d'arrosage, les agriculteurs sont devenus plus conscients de la nécessité d'utiliser l'eau avec plus de parcimonie.
[1] Sprinkler : gicleur de canon à eau.
[2] Les coopératives agricoles, fondées à l'origine par des agriculteurs voulant rompre avec les habitudes d'individualisme, ont pour but, d'une part, l'utilisation d'outils de production, de conditionnement, de stockage (silos par exemple), la commercialisation ou la transformation des produits des exploitations ; d'autre part, l'approvisionnement des exploitations en engrais et autres intrants (produits phytosanitaires notamment). Leur développement, leur emprise, leur fréquente réussite, les ont souvent transformées en véritables groupes, très capitalistiques, dans lesquels la notion militante de solidarité des débuts s'est parfois estompée...
[3] Dans les années 1970, la Haute-Lande prend un sens non pas topographique (initialement la zone de partage des eaux où les altitudes atteignent 120 à130 mètres entre Luxey et Captieux) mais plutôt économique, dans le contexte de l'aménagement du territoire et des projets de régionalisation. Elle englobe des cantons forestiers déprimés (économiquement et démographiquement) du Sud-Gironde, du nord des Landes et même de l'ouest du Lot-et-Garonne. Aujourd'hui, la zone est simplement assimilée au nord-est des Landes.
[4] Créées après la Seconde Guerre mondiale, elles sont un peu un écho aux habitudes d'entraide entre voisins qui existaient depuis longtemps, notamment pour certains travaux saisonniers.