Sur le tournage du film Carnages de Delphine Gleize
Notice
Delphine Gleize est à Saint-Justin dans les Landes pour le tournage d'une des cinq fictions de son premier long métrage intitulé Carnages. Rencontre avec la jeune réalisatrice et avec deux de ses acteurs, Bernard Sens et Esther Gorintin.
Éclairage
En juin 2001, Delphine Gleize tourne à Saint-Justin dans les Landes quelques scènes de son film Carnages. "L'idée de base c'est le parcours des organes du taureau après sa mise à mort lors d'une corrida. Où vont les yeux, les cornes, la viande, etc. Chaque fois que le morceau de taureau arrive chez les gens, il sert de révélateur dans leur vie, il a une fonction. Ce n'est pas intellectuel ni symbolique, c'est très concret. C'est à la fois burlesque et absurde. A chaque fois le taureau révèle la part d'ombre de chacun. ... on suit la fin d'une corrida en Espagne, après la mise à mort du taureau. Et là, le parcours commence et on entre dans la vie d'une dizaine de personnages entre la France, la Belgique et l'Espagne. [1]" Après le taureau, l'autre relais narratif du film est celui d'une petite fille, Winnie, qui "pense que les animaux sont plus grands que les personnes".
Comme l'évoque la réalisatrice dans le reportage, ce qui l'intéresse est de filmer des personnages qui essaient de trouver une place qu'ils n'arrivent pas à conquérir facilement [2] et plus précisément raconter "ce qui nous manque et ce qui nous fait être bancal toute la vie" [3]. Parmi ces personnages, une famille de taxidermistes : le fils : Luc (Bernard Sens) et sa mère : Rosy ( Esther Gorinthin), qui vivent une relation familiale mère/ fils très fusionnelle. Ce sont ces scènes qui sont tournées dans les Landes, dans la bastide [4] de Saint-Justin.
Cette bastide, offre un décor naturel qui est tout à la fois cadre spatial cinématographique, et métaphore visuelle de ses personnages. Les arcades avec leur espace à la fois ouvert et fermé montrent bien la fonction sociale de l'échange dans un petit village, pour ce fils et cette mère qui exercent un travail singulier, taxidermiste, qui les isole ; bien que ce travail soit relativement naturel dans une région rurale ou la chasse participe également de la culture économique de la région. Les arcades sont aussi propices à un jeu d'oppositions binaires qui caractérisent subtilement les personnages : en jouant des oppositions entre ombre et lumière, entre fusion/ dé-fusion ( la mère s'éloigne et laisse son fils seul) et entre fixe et mobile (statique du fils qui tient son emplacement commercial sous les arcades ) et déplacement de la mère. Apparaissent alors, en filigrane, les jeux de pouvoirs qui se nouent entre ces deux personnages : le fils, passif, rigide, attentiste et la mère, active, autoritaire et déterminée.
La réalisatrice a souvent évoqué sa familiarité avec cette région qu'elle connaît bien : pour son film elle utilisera deux espaces très typés de la région, les arènes d'Eauze dans le Gers, et la bastide de Saint-Justin.
[1] Rencontre avec Delphine Gleize, 15 juin 2000, propos recueillis par Christine Gendre et Magali Montet, copyright Lettre d'Unifrance n° 23, www.unifrance.org
[2] Carnages/Delphine Gleize, Paris : Studio Canal, 2003, DVD. Bonus : extrait de l'émission Court-Circuit, Arte, 2003
[3] Extrait du reportage : Interview de Delphine Gleize
[4] Les bastides sont des villes nouvelles construites au 12è au 13è siècle. Elles sont nombreuses dans les Landes. Parmi leurs caractéristiques architecturales reconnaissables entre toutes, la présence de la place au centre de la ville nouvelle, avec ses arcades couvertes. Lieu d'échanges par excellence, ces rues couvertes, permettaient une déambulation extérieure, tout en étant abrité.