L'usine de construction de locomotives Lille Fives Cail

15 mai 1960
07m 46s
Réf. 00018

Notice

Résumé :
L'usine de Lille Fives Cail fabrique la locomotive électrique BB 9403. On assiste à la fin de la fabrication de l'une d'elles. M. Batavoine explique les différentes étapes de la mise sur bogie d'un moteur. On procède ensuite à l'assemblage du châssis de caisse avec les bogies. Puis on pose le toit qui supporte les pantographes. Enfin, c'est la descente de la caisse sur les bogies.
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Date de diffusion :
15 mai 1960
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Éclairage

Au moment où la locomotive électrique BB 9403 sort des ateliers de construction, l'usine de Fives clôt une décennie d'apogée. Les années 1950 correspondent en effet à un point de non-retour qui voit l’une des plus importantes entreprises de la région, en croissance perpétuelle depuis sa création, entamer son lent déclin avant de disparaître définitivement du paysage lillois à la fin des années 1990.

Si la production de l'usine a pu répondre à son origine aux nécessités de mécanisation des autres branches industrielles locales (et notamment du textile), l'essor de cette entreprise est directement lié au développement fulgurant du réseau ferré français dans la seconde moitié du XIXe siècle. Celle qu'on appelle "l'usine de Fives" [1], du nom du quartier à l'Est de Lille dans laquelle elle s'implante, est née en 1861 par l'achat de 10 hectares de terrain par deux entrepreneurs, Basile Parent, grand propriétaire normand, et Pierre Schaken, général de la garde civile belge, qui œuvrent déjà dans le secteur des travaux publics et la construction de matériels ferroviaires. Implantée à proximité de l'éphémère débarcadère de Fives, cette usine métallurgique profite d'un approvisionnement en matières premières via les voies fluviales et ferrées pour prendre un essor très rapide. Un an après son installation, l'usine compte déjà 1000 ouvriers. Quatre ans plus tard, en 1865, le site abrite 95 forges, 500 machines-outils, 1 500 salariés et peut produire jusqu'à 80 locomotives par an. Il est le premier constructeur français de matériels ferroviaires.

Au début du XXe siècle, l'usine de Fives devient l'un des premiers pôles français de l'industrie lourde de métallurgie et sidérurgie. De 1861 à 1905, plus de 2 000 ponts de chemins de fer, une centaine de ponts routiers, plusieurs gares et plus de 2 000 locomotives sortent de ses ateliers. Quelques exemples feront sa renommée internationale : une ligne du métro parisien, les ascenseurs hydrauliques de la tour Eiffel, la Gare d'Orsay, le pont Alexandre III. Mais également du matériel pour sucreries, qui restera une constante tout au long de son histoire, et, lors des différentes guerres qu'elle traverse : du matériel d'artillerie. Très rapidement, ses réalisations s’exportent dans le monde entier : deux ponts sur le Nil, en Égypte ; machines à vapeur en Guyane ; usines sucrières en Australie. Elle intervient également en Espagne, en Hongrie, en Roumanie ou au Brésil.

Malgré les crises passagères, les commandes s'enchaînent, le nombre de salariés augmente et l'usine s'étend spatialement dans le quartier en empiétant sur la commune limitrophe d'Hellemmes. Peu avant 1920, l'entreprise se rend acquéreur de 16 nouveaux hectares reliés entre eux par une voie ferrée. Elle forme alors un site complexe morcelé et enserré dans des réseaux d'habitation. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le quartier de Fives et la ville d'Hellemmes vivent au rythme de la production de l'usine, du bruit des machines et des entrées et sorties des 6000 salariés. La compagnie Fives Lille investit également dans la construction immobilière pour loger ses salariés. Si sur ce point l'investissement n'est pas comparable aux compagnies houillères du bassin minier, l'usine possède tout de même en gestion un parc d'un millier de logements en 1950. On retrouve la trace de ces logements dans les rues constituant le secteur du Mont-de-Terre à Fives ou encore dans la rue Fénelon et le secteur du Parc Bocquet à Hellemmes.

A la fin des années 1950, la situation de l’entreprise se détériore. Elle s’est contentée des nombreuses commandes d’après-guerre sans chercher de nouvelles options pour l’avenir. Pour sortir de l’impasse, ce sont les impératifs financiers qui vont primer. Fusions d’abord, avec le groupe Cail en 1958 puis Babcock-Atlantique en 1973 faisant du groupe la première entreprise de la mécanique lourde française. Délocalisation et filialisation ensuite. Paribas entre au capital du groupe et bouleverse sa gouvernance. L’entreprise se transforme en holding gérant un portefeuille de titres dans plusieurs sociétés éclatées correspondant aux diverses branches d’activités. Le groupe recentre ses activités lilloises sur la conception et délocalise progressivement ses activités de production dans des pays à moindre coût de main d’œuvre. Conséquence directe de ces restructurations financières : les licenciements. Si en 1970 l’usine occupait encore 1600 salariés, ils ne sont plus que 600 en 1988. En 2000, les 200 derniers salariés sont transférés sur un nouveau site à Villeneuve d’Ascq. L’usine ferme définitivement ses portes en 2001.

Pendant toute son existence, l’usine de Fives a constitué un bastion syndical important de la métropole lilloise. Les métallurgistes de Fives constituaient une forme d’aristocratie ouvrière à la pointe des différents combats politiques et syndicaux pendant tout le XXe siècle. C’est un ouvrier de l’usine de Fives, Pierre Degeyter, qui composa la musique de l’Internationale, reprise ensuite aux quatre coins de la planète. C’est dans cette usine que fut signé l’accord Dyot-Lemesle en 1945 qui donnera naissance aux comités d’entreprises. Le poids de la CGT dans l’usine et du PCF dans le quartier font de Fives, un îlot rouge dans une ville rose, majoritairement socialiste.

Aujourd’hui, l’usine de Fives est un terrain en friche de plus de 20 hectares. Il est actuellement réinvestit par la communauté urbaine et la mairie de Lille en vue d’y installer plusieurs équipements et de nouveaux logements. Après les transformations qu’a connu le quartier de Fives à la fin des années 2000 (création d’une nouvelle place devant la mairie de quartier, démolition des courées et cités ouvrières Lys et Brunswick) le projet de l’usine de Fives, véritable nouveau quartier dans la ville, vient finaliser une étape décisive de la "stratégie de reconquête" de ce territoire par les pouvoirs publics.

 

[1] : C’est cette appellation que nous utiliserons ici pour deux raisons : premièrement, c’est celle qui est couramment employée dans la ville de Lille et le quartier de Fives. Ensuite, la dénomination officielle de l’usine va largement évoluer au cours de son existence, fluctuant au gré des collaborations, fusions et acquisitions du groupe. Pour information : le groupe se constitue en 1861 sous le nom des "Ateliers de Construction Mécanique de Fives". A la faveur d’une collaboration avec deux directeurs d’usine, elle prend rapidement le nom de "Parent, Schaken, Caillet & Cie". Elle devient ensuite la "Compagnie de Fives-Lille" en 1865. En 1958, la fusion avec Cail donne naissance à "Fives-Lille-Cail". Enfin, en 1973, le groupe fusionne avec Babcock-Atlantique pour donner naissance à "Fives-Cail-Babcock". Aujourd’hui l’entreprise existe toujours même si elle ne possède plus de locaux à Lille. Il s’agit du groupe "Fives".
Antonio Delfini

Transcription

(bruit)
Journaliste
Tout est prêt, la caisse peut maintenant être installée sur ses deux bogies. Nous la suivons du haut du pont roulant qui vibre un peu sous son poids.
(musique)
Journaliste
Où en sommes-nous là Monsieur Batavoine ?
Monsieur Batavoine
Maintenant, vous allez assister à la mise sur ces bogies de la caisse, qui a été préalablement levée comme vous le voyez, et que nous allons descendre sur ces deux bogies.
Journaliste
Quel est le poids de cette caisse actuellement, environ 25 tonnes, m’a-t-on dit.
Monsieur Batavoine
25 tonnes, c’est exact, pour un poids d’ensemble de 58 tonnes, avec la partie électrique. Puisqu’actuellement, la caisse est câblée et tout est à bord.
Journaliste
Quelle est la grosse difficulté de cette opération ?
Monsieur Batavoine
C’est une opération délicate, parce qu’il faut aligner les deux bogies exactement, parce que nous allons descendre sur les patins que vous allez voir. Vous avez les patins de caisse qui vont descendre sur les boîtes à patin et c’est par la suspension primaire.
Journaliste
Ces patins baignent dans l’huile, je crois, sur leur reposoir.
Monsieur Batavoine
Oui ! Et je dois vous dire aussi que vous avez des butées de caisse qui forment butée sur les moteurs des deux bogies avec un jeu de 30 mm quand même. Mais l’opération est assez délicate.
Journaliste
Donc, la caisse repose simplement sur ces patins, mais elle est fixée aux bogies par…
Monsieur Batavoine
Par l’intermédiaire de la suspension primaire. Voilà le chef d’atelier qui assure la mise à l’axe rigoureux de la caisse au milieu des deux bogies en somme.
(silence)
Journaliste
Il s’agit d’un repère à l’œil uniquement.
Monsieur Batavoine
Non, les réglages sont faits au préalable sur la voie, puisque la voie est de niveau à l’endroit où l’on fait la mise sur roue. Et actuellement, c’est un repère à l’œil en ce qui concerne la mise en place de la caisse, mais il va être fini. Mais les bogies sont à écartement actuellement. D’ailleurs, c’est très sensible, on peut bouger très facilement une caisse de ce poids au-dessus de ces bogies comme vous le voyez. Et nous nous servons des ponts que vous avez vus employés aux opérations précédentes.
Journaliste
Oui, j’ai remarqué, vous employez deux ponts de 60 tonnes.
Monsieur Batavoine
Deux ponts de 60 tonnes, parce que dans le passé, les locomotives étaient beaucoup plus lourdes, et les opérations pour les locomotives à vapeur étaient très importantes. Pour les locomotives électriques, comme les caisses étaient plus lourdes que pour celle-ci qui est une caisse ultralégère en somme.
Journaliste
Et comment expliquez-vous que ces locomotives, qui sont beaucoup plus légères que les vapeurs ont autant d’adhérence ?
Monsieur Batavoine
Parce que la théorie de l’adhérence a beaucoup changé depuis quelques années.
(musique)
Journaliste
Allons maintenant assister à la toilette finale de notre BB, c’est-à-dire à sa mise en peinture.
(musique)
Journaliste
Cette opération est réalisée dans une chambre isotherme, maintenue à température relativement élevée 20° et constante, soit au pinceau, soit au pistolet.
(bruit)
Journaliste
Il manque encore à la BB, ses ornements, ses parures, divers enjolivements frontaux. A la tôlerie, on dit les moustaches, et le monogramme SNCF. Pratiquement, cette BB est achevée.
(musique)
Journaliste
La machine est à peu près terminée. Maintenant, je suis avec Monsieur [Lassemant], ingénieur des études du service des locomotives. Etes-vous content de votre machine ?
Monsieur Lassemant
Très content, elle est complètement terminée et prête à prendre sa route. Regardez comme elle est belle.
Journaliste
Oui en effet, qui est-ce qui s’occupe de ces détails de l’esthétique de la machine ?
Monsieur Lassemant
En ce qui concerne la forme et l’esthétique, c’est Monsieur Arzens, peintre esthéticien de la SNCF.
Journaliste
C’est un artiste par conséquent.
Monsieur Lassemant
C’est un artiste, parfaitement. Si vous voulez, on peut monter à bord pour voir les détails de la cabine de conduite.
Journaliste
Oui, entendu.
(musique)
Journaliste
Nous allons peut-être nous entendre un peu mieux à l’intérieur de la cabine.
Monsieur Lassemant
Nous sommes dans la cabine de conduite, où le mécanicien, le maître de bord est maître à bord après Dieu. Il a à sa gauche l’appareil indicateur de vitesse, le bloc frein, ainsi que le pupitre avec toutes ses commandes et appareil de contrôle des conduites.
Journaliste
Des vérifications auront lieu encore en présence du contrôle de la SNCF, représenté ici par Monsieur [Forti], avec qui nous allons assister à la sortie de la BB 9403. Comme l’usine ne possède pas de voie électrifiée, il faut pour la conduire sous les caténaires de la SNCF faire appel à l’une de ses ancêtres, la machine de manœuvre ; dont les lignes, dont le halètement ont quelque chose de désuet à côté de l’élégance et du silence de la BB.
(musique)
Journaliste
Dernier examen, on pèse la BB à sa sortie d'usine. Et puis, lentement, elle s’en va vers son destin, qui est de vous transporter dans la sécurité et le confort. Au moment où passent ces images, cette BB 9403 roule quelque part en France, entre Lyon et Avignon. Si un jour, vous reconnaissez son numéro sur le monogramme de la SNCF, entre ses moustaches, rappelez-vous que vous avez assisté à sa naissance dans une grande usine du nord de la France.
(musique)