Les secrets de l'eau à Lille
29 avril 2006
03m 18s
Réf. 00003
Notice
Résumé :
Découverte de l'eau à Lille. La Deûle traverse la ville, et jusqu'au XIXe siècle, les multiples bras de cette rivière l'irriguent. Ils servent pour le transport des marchandises, les besoins des artisans mais aussi pour l'alimentation en eau potable. Avec l'industrialisation, les canaux deviennent des égouts à ciel ouvert et, à la fin du XIXe siècle, ils sont peu à peu couverts pour des raisons hygiénistes.
Date de diffusion :
29 avril 2006
Source :
France 3
(Collection:
De haut en bas
)
Personnalité(s) :
Thèmes :
Lieux :
Éclairage
L’origine légendaire de la ville de Lille -l'île- fait déjà référence à l’eau, avec la Fontaine del Saulx auprès de laquelle est né le héros Lydéric ; quant à son origine historique, Lille s’est constituée dans les ramifications de la Deûle, dues à un ressaut de terrain qui ralentissait son cours. A cet endroit, les bateliers étaient obligés de décharger leurs marchandises : elles étaient transportées jusqu’à d’autres bateaux, là où la Deûle était à nouveau navigable. Cette activité économique entraîna la création de la ville au cours du moyen âge, tandis que peu à peu, des canaux étaient aménagés pour remplacer les méandres marécageux.
L’eau est omniprésente dans la ville : on y a compté au moins 34 canaux différents. Hormis les deux canaux issus du Becquerel – ruisseau de Fives aujourd’hui disparu - tous provenaient de la Haute-Deûle, qui un peu en amont de la ville, se divisait en trois bras, dont chacun alimentait un groupe de canaux qui ensuite communiquaient entre eux :
- le Bucquet, le plus au Nord, a été élargi et allongé pour amener les matériaux de construction nécessaires à la Citadelle ; il traverse ensuite le Vieux-Lille jusqu’à la Basse-Deûle (actuelle avenue du Peuple-Belge) ;
- la Haute-Deûle alimentait le port du quai du Wault et les canaux du centre-ville actuel ;
- le Fourchon traversait les actuels quartiers des Bois-Blancs, Vauban-Esquermes et Wazemmes, avant de rejoindre le centre-ville.
Des canaux bien utiles pour le commerce, l'artisanat et les industries, les boissons ou encore comme fortifications.
Depuis le milieu du XVIIIe siècle, les bateaux en transit n’ont plus besoin de décharger leurs marchandises : grâce au canal de la Moyenne-Deûle, ils peuvent contourner la ville par le nord-ouest, franchissant la déclivité du terrain grâce à des écluses. Ceux qui s’arrêtent à Lille sont déchargés au quai du Wault ou au quai de la Basse-Deûle (avenue du Peuple Belge actuelle). Ils peuvent aussi livrer directement chez les clients, la plupart des canaux étant navigables ; néanmoins, leur largeur variable (de 3 à 10 mètres), et l’envasement fréquent nécessitent de la prudence en matière de navigation.
Les canaux alimentent des usines grandes consommatrices d’eau, comme des filatures, des teintureries, des brasseries, des tanneries etc… dont certaines se situent en plein centre-ville. Par ailleurs, la différence de niveau entre la Haute et la Basse-Deûle forme des petites chutes d’eau qui font tourner deux moulins : une partie de la façade de l’un d’entre eux, le moulin Saint-Pierre, subsiste rue de la Monnaie, près de l’Hospice Comtesse.
Pour se garder des invasions, Lille dispose d’un système de défense dans lequel l’eau a un rôle à jouer : les canaux étant reliés aux fossés qui bordent les enceintes successives, il suffit d’actionner quelques vannes pour inonder une partie des abords de la ville.
L’eau des canaux est consommée par les habitants, telle quelle ou sous forme de bière après transformation par les brasseries. De même, les animaux boivent aux abreuvoirs, disséminés çà et là. Et jusqu’à la moitié du XIXe siècle, l’anguille et la perche abondent dans les eaux lilloises !
Maintenir les canaux en état de navigation représente une véritable gageure pour l’Administration : il faut sans cesse veiller à les curer pour en retirer la vase et les immondices ; il faut aussi garder les berges en bon état, empêcher les riverains d’étendre clandestinement les constructions le long – ou au-dessus - des canaux, entretenir les vannes, exiger que leurs propriétaires entretiennent les voûtes des parties couvertes, réglementer la pêche et la navigation, s’assurer de la bonne utilisation des abreuvoirs, éviter l’encombrement des quais… C’est pourquoi, au fil des siècles, les magistrats lillois ont bâti une abondante réglementation relative à ce sujet.
La salubrité des eaux est une une préoccupation majeure. Déjà au Moyen Âge, les édiles sont conscients de la nécessité de sauvegarder la propreté de l’eau : ainsi en 1405, le magistrat interdit d’installer des tanneries le long du canal de la rue des Ponts de Comines, au motif qu’il s’y trouve déjà trois teintureries. De multiples ordonnances interdisent le jet d’ordures, de décombres, de fumiers etc… malheureusement peu suivies d’effet.
Quand viennent l’industrialisation et l’afflux d’habitants au XIXe siècle, les choses ne font qu’empirer : bien que la Ville ait mis en place un système de ramassage des déchets polluants (carcasses, résidus industriels…) les habitants et les professionnels persistent à jeter leurs détritus dans les canaux, où ils s’accumulent et font obstacle à la circulation de l’eau : les rues sont alors envahies de miasmes épouvantables.
Une des preuves en est la disparition des poissons à partir des années 1850, comme en témoigne un extrait de cette chanson de 1868 :
"Su tout l’rivage quelle démélate
L’pichon est parti
Car l’iau les a rindus malates
Les grands comm’ les p’tits
V’là les péqueux qui sont gramint roustis"
Traduction : sur tout le rivage quelle tristesse, le poisson est parti, car l'eau les a rendus malades, les grands comme les petits, et les pêcheurs sont bien marris
De plus, les épidémies de choléra, de typhus et la dysenterie font des ravages (2 215 victimes en 1866 !).
Face à cette situation, il sera décidé, petit à petit, de recouvrir, voire de combler les canaux : les opérations commenceront dans le dernier tiers du XIXe siècle. Les derniers canaux à disparaître, dans les années 1950, étaient situés dans le Vieux Lille : il s’agit d’une partie du canal des Célestines, et de la Basse-Deûle. Cette dernière a perdu progressivement son usage de port, depuis le contournement de la ville par la "Moyenne Deûle", aussi sa suppression a-t-elle été décidée en 1893 ; le dernier tronçon sera comblé en 1953 : il s’agit de l’extrémité de l’avenue du Peuple Belge actuelle, vers l’ancien Hospice Général (IAE).
Il y a quelques années, la municipalité avait envisagé de remettre en eau ce dernier canal, avenue du Peuple Belge ; mais ce "Plan Bleu" a été ajourné pour des raisons budgétaires.
Quant au port, il s’est déplacé en amont de l’Esplanade et grâce à la mise en grand gabarit du canal de la Deûle, il est devenu le troisième port fluvial français. Pour cela il a fallu creuser un nouveau canal contournant la Citadelle en limite des communes de Lambersart et Saint-André, qui, avec l’écluse du Grand Carré, a été mis en fonction en 1977.
Il reste des vestiges de ce passé : outre le Quai du Wault, certains viennent au jour au hasard des travaux de voirie, mais il suffit au promeneur de vagabonder autour de la cathédrale, ou rue de Weppes, ou encore entre les rues de la Baignerie et des Bouchers, pour contempler les traces des anciens canaux de la ville.
De son côté, la Deûle baigne toujours les abords de la Citadelle, et, si l’on cherche un peu, du côté de la plaine de la Poterne, on peut encore découvrir une "porte d’eau" et une écluse, restes de cette époque.
Sources :
Jean Caniot :
- Les rivières de Lille : la Deûle et le Becquerel, 2005
- Les canaux de Lille, 1ère partie, 2006
- Les canaux de Lille, 2ème partie, 2007
L’eau est omniprésente dans la ville : on y a compté au moins 34 canaux différents. Hormis les deux canaux issus du Becquerel – ruisseau de Fives aujourd’hui disparu - tous provenaient de la Haute-Deûle, qui un peu en amont de la ville, se divisait en trois bras, dont chacun alimentait un groupe de canaux qui ensuite communiquaient entre eux :
- le Bucquet, le plus au Nord, a été élargi et allongé pour amener les matériaux de construction nécessaires à la Citadelle ; il traverse ensuite le Vieux-Lille jusqu’à la Basse-Deûle (actuelle avenue du Peuple-Belge) ;
- la Haute-Deûle alimentait le port du quai du Wault et les canaux du centre-ville actuel ;
- le Fourchon traversait les actuels quartiers des Bois-Blancs, Vauban-Esquermes et Wazemmes, avant de rejoindre le centre-ville.
Des canaux bien utiles pour le commerce, l'artisanat et les industries, les boissons ou encore comme fortifications.
Depuis le milieu du XVIIIe siècle, les bateaux en transit n’ont plus besoin de décharger leurs marchandises : grâce au canal de la Moyenne-Deûle, ils peuvent contourner la ville par le nord-ouest, franchissant la déclivité du terrain grâce à des écluses. Ceux qui s’arrêtent à Lille sont déchargés au quai du Wault ou au quai de la Basse-Deûle (avenue du Peuple Belge actuelle). Ils peuvent aussi livrer directement chez les clients, la plupart des canaux étant navigables ; néanmoins, leur largeur variable (de 3 à 10 mètres), et l’envasement fréquent nécessitent de la prudence en matière de navigation.
Les canaux alimentent des usines grandes consommatrices d’eau, comme des filatures, des teintureries, des brasseries, des tanneries etc… dont certaines se situent en plein centre-ville. Par ailleurs, la différence de niveau entre la Haute et la Basse-Deûle forme des petites chutes d’eau qui font tourner deux moulins : une partie de la façade de l’un d’entre eux, le moulin Saint-Pierre, subsiste rue de la Monnaie, près de l’Hospice Comtesse.
Pour se garder des invasions, Lille dispose d’un système de défense dans lequel l’eau a un rôle à jouer : les canaux étant reliés aux fossés qui bordent les enceintes successives, il suffit d’actionner quelques vannes pour inonder une partie des abords de la ville.
L’eau des canaux est consommée par les habitants, telle quelle ou sous forme de bière après transformation par les brasseries. De même, les animaux boivent aux abreuvoirs, disséminés çà et là. Et jusqu’à la moitié du XIXe siècle, l’anguille et la perche abondent dans les eaux lilloises !
Maintenir les canaux en état de navigation représente une véritable gageure pour l’Administration : il faut sans cesse veiller à les curer pour en retirer la vase et les immondices ; il faut aussi garder les berges en bon état, empêcher les riverains d’étendre clandestinement les constructions le long – ou au-dessus - des canaux, entretenir les vannes, exiger que leurs propriétaires entretiennent les voûtes des parties couvertes, réglementer la pêche et la navigation, s’assurer de la bonne utilisation des abreuvoirs, éviter l’encombrement des quais… C’est pourquoi, au fil des siècles, les magistrats lillois ont bâti une abondante réglementation relative à ce sujet.
La salubrité des eaux est une une préoccupation majeure. Déjà au Moyen Âge, les édiles sont conscients de la nécessité de sauvegarder la propreté de l’eau : ainsi en 1405, le magistrat interdit d’installer des tanneries le long du canal de la rue des Ponts de Comines, au motif qu’il s’y trouve déjà trois teintureries. De multiples ordonnances interdisent le jet d’ordures, de décombres, de fumiers etc… malheureusement peu suivies d’effet.
Quand viennent l’industrialisation et l’afflux d’habitants au XIXe siècle, les choses ne font qu’empirer : bien que la Ville ait mis en place un système de ramassage des déchets polluants (carcasses, résidus industriels…) les habitants et les professionnels persistent à jeter leurs détritus dans les canaux, où ils s’accumulent et font obstacle à la circulation de l’eau : les rues sont alors envahies de miasmes épouvantables.
Une des preuves en est la disparition des poissons à partir des années 1850, comme en témoigne un extrait de cette chanson de 1868 :
"Su tout l’rivage quelle démélate
L’pichon est parti
Car l’iau les a rindus malates
Les grands comm’ les p’tits
V’là les péqueux qui sont gramint roustis"
Traduction : sur tout le rivage quelle tristesse, le poisson est parti, car l'eau les a rendus malades, les grands comme les petits, et les pêcheurs sont bien marris
De plus, les épidémies de choléra, de typhus et la dysenterie font des ravages (2 215 victimes en 1866 !).
Face à cette situation, il sera décidé, petit à petit, de recouvrir, voire de combler les canaux : les opérations commenceront dans le dernier tiers du XIXe siècle. Les derniers canaux à disparaître, dans les années 1950, étaient situés dans le Vieux Lille : il s’agit d’une partie du canal des Célestines, et de la Basse-Deûle. Cette dernière a perdu progressivement son usage de port, depuis le contournement de la ville par la "Moyenne Deûle", aussi sa suppression a-t-elle été décidée en 1893 ; le dernier tronçon sera comblé en 1953 : il s’agit de l’extrémité de l’avenue du Peuple Belge actuelle, vers l’ancien Hospice Général (IAE).
Il y a quelques années, la municipalité avait envisagé de remettre en eau ce dernier canal, avenue du Peuple Belge ; mais ce "Plan Bleu" a été ajourné pour des raisons budgétaires.
Quant au port, il s’est déplacé en amont de l’Esplanade et grâce à la mise en grand gabarit du canal de la Deûle, il est devenu le troisième port fluvial français. Pour cela il a fallu creuser un nouveau canal contournant la Citadelle en limite des communes de Lambersart et Saint-André, qui, avec l’écluse du Grand Carré, a été mis en fonction en 1977.
Il reste des vestiges de ce passé : outre le Quai du Wault, certains viennent au jour au hasard des travaux de voirie, mais il suffit au promeneur de vagabonder autour de la cathédrale, ou rue de Weppes, ou encore entre les rues de la Baignerie et des Bouchers, pour contempler les traces des anciens canaux de la ville.
De son côté, la Deûle baigne toujours les abords de la Citadelle, et, si l’on cherche un peu, du côté de la plaine de la Poterne, on peut encore découvrir une "porte d’eau" et une écluse, restes de cette époque.
Sources :
Jean Caniot :
- Les rivières de Lille : la Deûle et le Becquerel, 2005
- Les canaux de Lille, 1ère partie, 2006
- Les canaux de Lille, 2ème partie, 2007
Isabelle et Jean Caniot
Transcription
Journaliste
Alors, pour commencer, arrêtons-nous sur Lille. La ville est traversée par une rivière, c’est la Deûle, elle prend sa source à Vimy, dans le Pas-de-Calais. Alors, naturellement, elle a toujours tenu une place très importante dans la vie de la cité, on l’a canalisée, on l’a même déviée de son lit. Mais aux origines de la cité, vers l’an 1000, de multiples bras de la Deûle entouraient la ville car oui, Lille était une île.(musique)
Journaliste
L’eau était donc partout. Nous sommes ici sur l’avenue du Peuple Belge et à cet endroit, sous nos pieds, coulait le canal Saint-Pierre. D’ailleurs, en vous baladant, vous risquez de tomber sur ça, ce sont des vestiges des anciens quais.(musique)
Journaliste
C’est quand même étonnant, cet endroit, vous ne trouvez pas que ça ressemble à un quai ? On pourrait presque imaginer les bateaux qui viennent ici décharger les marchandises. Vera, dites-moi, à quoi servait cet endroit ?Vera Dupuis
C’est le premier port de la ville de Lille.Journaliste
C’est donc un port ?Vera Dupuis
Vous avez la Haute Deûle qui arrive, et vers 1405, un duc de Bourgogne aménage les quais que nous appelons quai du Vault, mais ça veut dire en vérité les quais du haut, toujours la Haute Deûle. Il faut imaginer les parcs à voile, du vin rouge qui décharge, les tonnelets avec du vin, ils viennent du sud, hein, ils viennent de Lens. Il faut décharger ici les marchandises, les brouetteurs attendent avec leurs brouettes, traversent maintenant à pied par la rue de la Barre, la rue Basse, toute la marchandise, pendant des siècles. Et puis, on recharge avenue du Peuple Belge à l’emplacement de la Basse Deûle sur des bateaux qui vont vers la Lys.Journaliste
Alors, comment on utilisait l’eau ici, à Lille ?Vera Dupuis
Eh bien, il faut imaginer que la ville de Lille était traversée par de multiples bras de la Deûle,Journaliste
Oui, il y avait de l’eau partout, partout !Vera Dupuis
Partout, partout, partout. Et donc, au lieu de marcher ou prendre une voiture qui n’existait pas, on traversait vite en barque, on pêchait, bien sûr, on alimentait les moulins. Et puis, ce qui n’était pas permis, mais vous le savez bien, nous sommes dans une ville de tisserands, de teinturiers, eh bien, ils lavaient la laine tellement grasse, il faut de l’eau, beaucoup, beaucoup d’eau. Et de temps en temps, ce qui était encore mois permis, on jetait bien sûr les immondices…Journaliste
D’accord, ce n’était pas très reluisant, quand même !Vera Dupuis
Pour notre époque, non.Journaliste
Oui, quelles sont les traces qui subsistent de cette période ici ?Vera Dupuis
On trouve à travers les noms des rues, bien sûr, rue de la Baignerie, rue des Ponts de Comines, rue des Fossés, ils évoquent l’eau. Mais en même temps, il existe toujours les lits de la Deûle et vous avez une porte d’eau extraordinaire sous laquelle coule toujours la Deûle. Cette porte d’eau, tout simplement, comme une porte fortifiée, on la fermait le soir quand le dernier bateau avait quitté la ville, pour, bien sûr, que la ville soit bien gardée.(musique)