Le canal de Roubaix
30 avril 1999
01m 47s
Réf. 00001
Notice
Résumé :
Le canal de Roubaix est artificiel, il date de 120 ans et relie le bassin de la Deûle au bassin de l'Escaut. Il a été créé lors de la révolution industrielle comme voie de transport, pour le textile ou encore le charbon, jusqu'à la fermeture des industries dans les années 1970-1980.
Date de diffusion :
30 avril 1999
Source :
France 3
(Collection:
JT Europole TV
)
Personnalité(s) :
Thèmes :
Éclairage
En 1821, au début de l'ère industrielle, les départements du Nord et du Pas-de-Calais exploitent à peine le filon de houille, qui fera leur fortune durant un siècle et demi. A ce moment, le charbon arrive à Roubaix par le canal de Mons, puis par la route.
L’industrie textile nécessite un approvisionnement constant de matières premières indispensables à son activité : la laine, le lin, le coton mais également l’eau et le charbon. Le canal naît de la pression exercée par les négociants locaux, qui deviendront les grands capitaines d’industrie. La maîtrise des eaux et du charbon pour actionner les machines et le développement des voies de communication sont des enjeux stratégiques. Les industriels roubaisiens, soucieux de maîtriser leur approvisionnement, ont toujours su persuader les pouvoirs publics de favoriser la concurrence dans tous les domaines (charbon belge ou français, transport fluvial ou ferré, main d’œuvre flamande ou française). Sur le réseau du Nord, l'activité des transports par eau est comparable à celle des transports par les voies ferrées. Elle a rempli, à l'égard du monopole des chemins de fer, le rôle d'un modérateur efficace en contribuant largement à la diminution du prix des transports.
Conçu dès 1813, le canal joint l’Escaut à la Deûle par la Marque et met Roubaix en communication avec les bassins houillers belge et français à la mer du Nord. Les travaux de réalisation s’étirent de 1826 à 1892. Le premier tronçon réalisé en 1832 relie la ville de Croix et la Deûle. 12 ans plus tard, le canal de l’Espierre raccorde Roubaix à l’Escaut. Rappelons que le train relie Courtrai à Tourcoing en 1842 et qu’il faudra attendre 1846 pour qu’il atteigne Paris. La troisième partie rassemblant les deux premières en 1877, connut de multiples avatars. Son premier tracé atteignait Roubaix en traversant "la montagne de Croix" en un parcours souterrain. Des éboulements firent abandonner les travaux. Une partie déjà exécutée fut comblée et donna lieu au boulevard Gambetta, au percement du Boulevard de Paris et à l’établissement du Parc Barbieux. Il fallut pour relier les deux premiers tronçons contourner la butte en passant entre les communes de Roubaix et de Tourcoing. La quatrième branche, en cul de sac, relie Tourcoing en 1892.
Le canal de Roubaix est aussi utilisé en équipement de loisirs. Créé en 1884, le cercle nautique de "l’Aviron" fut d’abord installé sur les rives du Blanc Seau. Il déménagea en 1924 pour pouvoir s’entraîner sur le bief du canal Sartel-Grimonpont. Inaugurée en 1880, l’école municipale de natation fut construite à deux pas du canal et utilise ses eaux. A la fin du siècle, l’administration municipale s’émut du manque de fréquentation de l’établissement qui accueillait, tout de même, 16 000 personnes en moyenne par an. Les installations furent supprimées en 1936 pour être remplacés par une superbe piscine Art déco. Construite entre 1927 et 1932 selon les plans de l’architecte lillois Albert Baert (1863-1951), elle sera fermée en 1985 et transformée en musée en 2001.
Mais le canal est aussi l’endroit où viennent flâner les roubaisiens qui fuient la pollution et l’exiguïté de leur logement. C’est le cas de Maxence Van der Meersh, qui rencontre sur le chemin de halage, Thérèse Denis, ouvrière dans le textile, qui deviendra sa femme et l’amour de sa courte existence :
"Comme je gagnais la bifurcation du canal de Tourcoing, un gros chien gris hirsute et trapu comme un ours, sortit d’une touffe d’iris où il se vautrait jusqu’au poitrail, fonça tête baissée dans ma direction, sans doute pour rejoindre son maître et "boula" dans mes jambes, avant même de m’avoir aperçue. Je n’avais pas encore repris mon équilibre qu’il était déjà à 30 mètres derrière moi, me laissant largement éclaboussée et blanche de saisissement. J’étais en train d’arracher une poignée d’herbe pour essuyer mes jambes nues, quand je vis un garçon assez grand, plutôt mince, qui s’avançait, tenant son chapeau à la main. Pâle et bien vêtu, l’air pas ordinaire, il se découvrait devant moi. Ce geste de se découvrir devant moi, Denise, une ouvrière, c’est la première image ineffaçable que je garde de Marc." [1]
A partir des années 70, la fermeture des industries textiles et des houillères plongent la région dans une longue période de déclin économique. En 1985, le canal ferme à la navigation. Les écluses et les ponts non entretenus se soudent, les berges s'affaissent, le canal s'envase, la qualité de l'eau est catastrophique. On envisage même de le transformer en rocade autoroutière. Refusant de laisser cet espace à l'abandon, des associations françaises et belges se mobilisent pour sa sauvegarde. En 1994, l'agence d'urbanisme de Lille lance un concours d'idées. Le rapport Devillers démontre l'intérêt de considérer le canal comme un élément moteur de reconquête urbaine. L’ensemble des collectivités concernées décident la remise en navigation de la voie d’eau. Cette volonté se concrétise par le projet européen "Blue Links". Ce programme nécessitera trois années de travaux (2005-2008) et 37 millions d’euros.
Aujourd’hui, plus de 300 bateaux de plaisance l’ont parcouru depuis sa réouverture en 2011. La qualité de l’eau qui s’améliore n’est pas suffisante pour autoriser la baignade et les jeux aquatiques. Rêvons que les petits enfants de Momo que l’on voit plonger dans les eaux grasses du canal dans le film La vie est un long fleuve tranquille puissent un jour "piquer" une tête dans ses eaux devenues enfin limpides.
[1] Maxence Van der Meersch , extrait du cycle romanesque La Fille pauvre , tome 3 : La Compagne (publication posthume en 1955).
L’industrie textile nécessite un approvisionnement constant de matières premières indispensables à son activité : la laine, le lin, le coton mais également l’eau et le charbon. Le canal naît de la pression exercée par les négociants locaux, qui deviendront les grands capitaines d’industrie. La maîtrise des eaux et du charbon pour actionner les machines et le développement des voies de communication sont des enjeux stratégiques. Les industriels roubaisiens, soucieux de maîtriser leur approvisionnement, ont toujours su persuader les pouvoirs publics de favoriser la concurrence dans tous les domaines (charbon belge ou français, transport fluvial ou ferré, main d’œuvre flamande ou française). Sur le réseau du Nord, l'activité des transports par eau est comparable à celle des transports par les voies ferrées. Elle a rempli, à l'égard du monopole des chemins de fer, le rôle d'un modérateur efficace en contribuant largement à la diminution du prix des transports.
Conçu dès 1813, le canal joint l’Escaut à la Deûle par la Marque et met Roubaix en communication avec les bassins houillers belge et français à la mer du Nord. Les travaux de réalisation s’étirent de 1826 à 1892. Le premier tronçon réalisé en 1832 relie la ville de Croix et la Deûle. 12 ans plus tard, le canal de l’Espierre raccorde Roubaix à l’Escaut. Rappelons que le train relie Courtrai à Tourcoing en 1842 et qu’il faudra attendre 1846 pour qu’il atteigne Paris. La troisième partie rassemblant les deux premières en 1877, connut de multiples avatars. Son premier tracé atteignait Roubaix en traversant "la montagne de Croix" en un parcours souterrain. Des éboulements firent abandonner les travaux. Une partie déjà exécutée fut comblée et donna lieu au boulevard Gambetta, au percement du Boulevard de Paris et à l’établissement du Parc Barbieux. Il fallut pour relier les deux premiers tronçons contourner la butte en passant entre les communes de Roubaix et de Tourcoing. La quatrième branche, en cul de sac, relie Tourcoing en 1892.
Le canal de Roubaix est aussi utilisé en équipement de loisirs. Créé en 1884, le cercle nautique de "l’Aviron" fut d’abord installé sur les rives du Blanc Seau. Il déménagea en 1924 pour pouvoir s’entraîner sur le bief du canal Sartel-Grimonpont. Inaugurée en 1880, l’école municipale de natation fut construite à deux pas du canal et utilise ses eaux. A la fin du siècle, l’administration municipale s’émut du manque de fréquentation de l’établissement qui accueillait, tout de même, 16 000 personnes en moyenne par an. Les installations furent supprimées en 1936 pour être remplacés par une superbe piscine Art déco. Construite entre 1927 et 1932 selon les plans de l’architecte lillois Albert Baert (1863-1951), elle sera fermée en 1985 et transformée en musée en 2001.
Mais le canal est aussi l’endroit où viennent flâner les roubaisiens qui fuient la pollution et l’exiguïté de leur logement. C’est le cas de Maxence Van der Meersh, qui rencontre sur le chemin de halage, Thérèse Denis, ouvrière dans le textile, qui deviendra sa femme et l’amour de sa courte existence :
"Comme je gagnais la bifurcation du canal de Tourcoing, un gros chien gris hirsute et trapu comme un ours, sortit d’une touffe d’iris où il se vautrait jusqu’au poitrail, fonça tête baissée dans ma direction, sans doute pour rejoindre son maître et "boula" dans mes jambes, avant même de m’avoir aperçue. Je n’avais pas encore repris mon équilibre qu’il était déjà à 30 mètres derrière moi, me laissant largement éclaboussée et blanche de saisissement. J’étais en train d’arracher une poignée d’herbe pour essuyer mes jambes nues, quand je vis un garçon assez grand, plutôt mince, qui s’avançait, tenant son chapeau à la main. Pâle et bien vêtu, l’air pas ordinaire, il se découvrait devant moi. Ce geste de se découvrir devant moi, Denise, une ouvrière, c’est la première image ineffaçable que je garde de Marc." [1]
A partir des années 70, la fermeture des industries textiles et des houillères plongent la région dans une longue période de déclin économique. En 1985, le canal ferme à la navigation. Les écluses et les ponts non entretenus se soudent, les berges s'affaissent, le canal s'envase, la qualité de l'eau est catastrophique. On envisage même de le transformer en rocade autoroutière. Refusant de laisser cet espace à l'abandon, des associations françaises et belges se mobilisent pour sa sauvegarde. En 1994, l'agence d'urbanisme de Lille lance un concours d'idées. Le rapport Devillers démontre l'intérêt de considérer le canal comme un élément moteur de reconquête urbaine. L’ensemble des collectivités concernées décident la remise en navigation de la voie d’eau. Cette volonté se concrétise par le projet européen "Blue Links". Ce programme nécessitera trois années de travaux (2005-2008) et 37 millions d’euros.
Aujourd’hui, plus de 300 bateaux de plaisance l’ont parcouru depuis sa réouverture en 2011. La qualité de l’eau qui s’améliore n’est pas suffisante pour autoriser la baignade et les jeux aquatiques. Rêvons que les petits enfants de Momo que l’on voit plonger dans les eaux grasses du canal dans le film La vie est un long fleuve tranquille puissent un jour "piquer" une tête dans ses eaux devenues enfin limpides.
[1] Maxence Van der Meersch , extrait du cycle romanesque La Fille pauvre , tome 3 : La Compagne (publication posthume en 1955).
Thierry Thieffry
Transcription
(musique)