L'image de François Mitterrand dans les médias
Une difficile adaptation
Les rapports de François Mitterrand avec les médias audiovisuels ne sont pas aussi simples que sa fin de carrière peut le laisser penser. Il a en effet marqué les années 1980 par son art de la répartie, tout en finesse, ainsi que par son audace - nous reparlerons de Ça nous intéresse M. le Président.
Héritier d'une culture classique, il est avant tout un homme de l'écrit. Son amour de la littérature et la qualité de sa plume sont bien connus. En 1945, Il débute même une brève carrière de journaliste en tant que rédacteur en chef du magazine Votre beauté, propriété du groupe l’Oréal. Son élection en 1946 en tant que député de la Nièvre met fin à cette expérience. Il ne découvre donc l'audiovisuel, et tout particulièrement la télévision, que sur le tard. S'il s'habitue vite à la radio, il va avoir plus de mal à la télévision. Cela est dû tant à son mode d'expression qu'au rapport de l'audiovisuel public de l'époque avec le pouvoir.
En effet, François Mitterrand s'est forgé depuis ses débuts en politique - et sans aucun doute aussi par sa formation d'avocat - un vrai talent d'orateur. Il sait captiver son auditoire, jouant sur les émotions et une rhétorique impeccable. Avec la télévision, il éprouve plus de difficulté à s'adresser à un public qu'il ne voit pas et dont il ne peut anticiper les réactions. Il s'en explique dans l'extrait « François Mitterrand à propos de son éloquence », face à l'œil de la caméra, il se sent figé.
François Mitterrand à propos de son éloquence
La télévision est en outre un média de l'intime. Les gros plans rendent rapidement ridicule l'emphase, que ce soit gestuelle ou verbale, propre aux meetings. Cela s'était nettement ressenti lors de ses premières interventions à la télévision pour l'élection présidentielle de 1965.
Intervention télévisée lors de la campagne présidentielle
Par ailleurs, à une période encore marquée par la faible autonomie des médias audiovisuels à l'égard du pouvoir politique – on est encore à l'ère de l'ORTF créée en 1964 –, il considère les techniciens de la télévision comme ses ennemis. Durant l'enregistrement des émissions de campagne officielle pour l'élection présidentielle de 1965, que nous venons d'évoquer, il fait face à plusieurs problèmes techniques qu'il attribue à des raisons politiques. Lorsque Michel Rocard viendra le voir pour lui demander conseil en 1969 lors de la candidature de ce dernier à l'élection présidentielle, François Mitterrand lui expliquera qu'il « faut se méfier de la télévision ».
Pourtant, à partir du début des années 1970, François Mitterrand commence à s'acculturer au nouveau média. Après 1969, et surtout après 1974, l'emprise du pouvoir politique sur les médias audiovisuels, même si elle n'a pas disparu, a perdu de sa force. Les représentants de la gauche, jusque-là ostracisés, sont désormais invités régulièrement au même titre que les ministres de la majorité. François Mitterrand brille ainsi dans A armes égales, notamment face à Alexandre Sanguinetti en janvier 1973.
François Mitterrand et Alexandre Sanguinetti à propos du Parti socialiste
Pour autant, lors du débat d'entre-deux-tours à l'élection présidentielle de 1974, il se montre à nouveau déstabilisé face à un Valéry Giscard d'Estaing qui a lui pleinement saisi la spécificité de la télévision. L'ancien occupant de Bercy se montre virevoltant, ne cessant d'interrompre son adversaire et lui imposant sa fameuse tirade sur le « monopole du cœur ».
La décennie des années 1970 va donc être celle de l'adaptation progressive à la télévision. Les occasions se multiplient pour celui qui est devenu Premier secrétaire en 1971, avec des émissions comme Cartes sur table sur Antenne 2 ou L'événement sur TF1. Le défi est d'autant plus important à relever pour François Mitterrand qu'il doit faire face à une concurrence interne, en la personne de Michel Rocard, jugé plus adapté à la télévision. Le Premier secrétaire s'appuie notamment, à partir de cette période, sur les conseils de publicitaires comme Jacques Séguéla, Joseph Daniel, ou Gérard Colé, ainsi que sur ceux du réalisateur Serge Moatti.
Ces efforts permettent au candidat socialiste de donner un tout autre visage lors du débat de second tour de 1981. François Mitterrand se montre beaucoup plus à l'aise qu'en 1974 face au même adversaire et utilise une formule préparée depuis plusieurs semaines dans ses meetings, qualifiant Valéry Gicard d'Estaing d'« homme du passif ».
François Mitterrand teste «l'homme du passif » à Bordeaux
Avec l’aimable autorisation de la Fondation Jean-Jaurès.
Le « Ministère de la parole » contre « l'homme du passif »
Le « Dieu » de la communication audiovisuelle
Après son élection, les médias ne doutent plus guère de son talent de tribun télévisuel. Si le général de Gaulle avait imprégné de son style les années 1960, c'est François Mitterrand qui marque les années 1980. Il devient un modèle pour les socialistes de l'époque et même au-delà. Contrairement à Valéry Giscard d'Estaing, ce n'est pas dans le style pédagogue qu'il brille le plus – même s'il l'utilise aussi comme le 15 septembre 1983 pour l'émission L'Enjeu. Le duo de conseillers qui s'occupe de sa communication à partir de 1984, Gérard Colé et Jacques Pilhan, va également l'empêcher de se rendre à l'émission L'Heure de vérité, jugée trop périlleuse pour son image.
C'est donc dans des formats forgés exprès pour lui qu'il se distingue. Ses interventions se font rares, afin de créer un teasing avant chacune de ses prises de parole. Ses allocutions et ses vœux vont bien sûr marquer les mémoires, en particulier ses derniers vœux le 31 décembre 1994 où il évoque « les forces de l'esprit ».
Derniers vœux aux Français
Mais il va tout particulièrement se distinguer par des émissions d'un nouveau genre que l'on n'appelle pas encore d'infotainement. L'exemple le plus connu est Ça nous intéresse M. le Président, émission présentée par la star du 20h de l'époque : Yves Mourousi. François Mitterrand trône au milieu de la scène, alors que le présentateur est assis sur son bureau. Le ton y est celui de la conversation et pour maximiser l'audience, la politique est fondue dans un ensemble de thèmes tout aussi variés que la publicité, la musique ou encore la télévision. L'émission vise à rajeunir l'image de François Mitterrand particulièrement « branché » selon l'expression utilisée par le présentateur.
Le Président Mitterrand « câblé »
Deux autres émissions du même type vont suivre, même si leur aspect sera plus conventionnel – plus politique et la présentation plus sobre.
Dans la veine du mélange entre politique et divertissement, François Mitterrand participe aussi à Questions à domicile, une émission d'Anne Sinclair. Il s'agit d'un des premiers essais de peopolisation politique à la télévision. L'homme politique est censé y être questionné à son domicile, dont l'intimité est dévoilée pour l'occasion. François Mitterrand y participera le 31 mars 1988.
Avec ses interventions alliant solennité et proximité, François Mitterrand se forge peu à peu l'image du souverain républicain qui lui est resté. Le Bébête Show s'en saisit assez vite le décrivant sous la forme d'une grenouille mégalomane s'auto-désignant comme « Dieu ». Ce triomphe cathodique culmine avec le débat présidentiel d'entre-deux-tours en 1988. François Mitterrand y domine largement son adversaire de droite, renvoyant celui-ci à sa fonction de Premier ministre.
Débat d’entre-deux tours
Le second septennat s'avère plus difficile. Après une quasi-cohabitation avec Michel Rocard, qui amène le Président à surtout se tourner vers les problèmes internationaux, il est rattrapé au début des années 1990 par les Affaires politico-financières qui touchent ses proches ou le PS, puis par des scandales concernant sa vie privée (fille cachée, Vichy, etc...). Dès lors, ses interventions sont minées par ces problèmes face auxquels il doit s'expliquer, comme lors de ses entretiens avec Jean-Pierre Elkabbach diffusés le 12 septembre 1994 sur France 2 (voir « François Mitterrand et René Bousquet »).
Mais la maladie ni sa cote de popularité meurtrie ne l'empêcheront de briller une dernière fois lors du débat autour du Traité de Maastricht. Le président de la République y défend ardemment l'Europe qui lui est chère, et notamment face à Philippe Séguin.