La catastrophe du Grand Bornand : un mois après
Notice
Reportage sur la catastrophe du Grand Bornand qui a eu lieu le 14 juillet 1987. Un camping est emporté par un torrent en crue. L'enquête administrative a conclu à une imprudence mais n'a pas retenu de responsabilités. Il est difficile pour les habitants d'oublier cette tragédie qui a fait 23 morts. Les dégâts sont estimés à 16 millions de francs dans la station. Un mois après les touristes ont déserté la ville.
Éclairage
Le 14 juillet 1987, un très violent orage de montagne provoque une crue détruisant un camping au Grand Bornand (Haute Savoie) avec d'importantes pertes humaines (21 morts, 2 disparus). A la suite de cette catastrophe, les autorités publiques (commune, État) sont mises en cause.
La vidéo montre comment, un mois après la catastrophe, s'effectue le « retour à la normale ». Alors qu'il y a eu des tragédies, des morts et d'importants dégâts matériels, la journaliste et les personnes interrogées semblent ne se préoccuper que d'une chose : est-ce que les affaires vont reprendre ? Est-ce que les touristes vont fuir ? Est-ce que l'image du Grand Bornand ne va pas être durablement affectée par cette catastrophe ? On peut voir là une marque d'indifférence des habitants de ce village explicable par le fait que les victimes ont essentiellement été celles du camping, autrement dit des touristes, des étrangers. Mais on peut aussi voir là, comme dans de nombreuses catastrophes, le souhait d'effacer les événements interrompant le « cours normal des choses » (1). La notion « d'effacement » est d'ailleurs très présente dans les commentaires de la journaliste comme si « passer à autre chose », oublier, était une impérieuse nécessité.
Ce reportage prend particulièrement sens lorsqu'on le rapproche d'autres vidéos plus directement en prise avec la catastrophe. Celles-ci mettent l'accent sur le caractère inimaginable de cette inondation. Tous les témoignages, surtout ceux des survivants, vont dans ce sens. L'écart soudain entre l'état normal, tel qu'il avait notamment été vécu dans le camping proche de la rivière, et la réalité catastrophique, apparaît incompréhensible. Le plus souvent, c'est la stupéfaction qui prédomine, comme si la catastrophe, malgré son évidente réalité, n'aurait pas dû avoir lieu. L'insistance sur le « retour à la normale », un mois après la catastrophe, s'inscrit dans cette logique puisqu'il est avant tout question d'effacer, sinon de cacher, un événement qui n'a pas sa place sur la « scène humaine » (qui est donc, à proprement parler « ob-scène »). On constate d'ailleurs que cet événement est alors relaté dans des termes très généraux qui lui enlèvent une part de sa réalité.
Mais ce document montre aussi comment le maire du Grand Bornand, Pierre Pochat-Cottilloux, envisage de traiter la catastrophe. S'il participe au retour à la normale, il refuse toute précipitation. Il souhaite qu'il y ait un temps de deuil et s'aligne sur des pratiques coutumières en préconisant une année de deuil. Cette prise de position peut se comprendre comme une attitude conventionnelle dictée par la situation voire comme une façon de faire preuve de compassion alors que la question des responsabilités va se poser. Mais, on peut aussi voir là comment un élu assume une fonction politique, au sens fort du terme, lorsqu'au moment du « retour à la normale » il rappelle la tragédie et invite ses concitoyens à en porter avec lui le poids le temps d'un deuil.
Avec cette vidéo, on voit que ce qui se joue autour d'une catastrophe ne se réduit pas aux problèmes liés aux pertes humaines, aux dommages matériels et à la question des responsabilités. C'est en effet le statut de l'état normal, interrompu par la catastrophe, qui est interrogé, tout comme la façon dont des élus, peuvent rendre compatibles deux nécessités contradictoires : oublier la catastrophe, avec le « retour à la normale » de façon à ne pas contrarier le développement touristique, sans pour autant en perdre (complétement) la mémoire.
(1) Cette volonté de revenir au plus vite à une situation dite « normale » est assez habituelle. Elle peut être un obstacle à l'examen approfondi des causes des catastrophes et ne favorise pas la constitution d'une mémoire des risques.