Les problèmes de cohabitation entre randonneurs et pratiquants de 4x4

27 décembre 1988
02m 52s
Réf. 00093

Notice

Résumé :

Les randonneurs amoureux de la nature se plaignent de la présence des pratiquants de 4x4 dans les sentiers forestiers. Quant aux pratiquants du 4x4, ils reconnaissent qu'il faudrait réglementer les secteurs pour randonneurs d'une part, et pour 4x4 d'autre part afin d'éviter les problèmes de cohabitation.

Date de diffusion :
27 décembre 1988
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Éclairage

Alors que les véhicules tout terrain ne représentent qu'une infime partie du parc automobile (environ 1% en 1991), leur présence de plus en plus visible assortie d'un nouveau marché en expansion suscite des réactions virulentes à la hauteur de l'effet clivant inhérent à ce type de véhicule. Sortant des usages traditionnels – utilitaire pour les ruraux ou les forestiers qui doivent atteindre des terres peu accessibles et surtout véhicule des baroudeurs qui parcourent les déserts – les 4X4 gagnent une clientèle d'urbains désireux de jouer aux aventuriers ou plus simplement de se démarquer grâce à un véhicule permettant de sortir des routes carrossables. Ils s'opposent sur le terrain et dans l'opinion aux randonneurs et aux défenseurs de l'environnement qui occupent une place majeure, toujours plus forte depuis la fin des années 70. Diffusé en fin de journal régional, entre Noël et le jour de l'an, période de vacances et d'information moins dense, ce reportage visiblement réalisé en été (tenue des randonneurs, végétation) revient sur un sujet qui nourrit les passions parmi les utilisateurs des mêmes territoires : « une rencontre qui tourne le plus souvent à l'aigre avec des positions inconciliables » selon les propos du journaliste Philippe Lemaire.

C'est par un clin d'œil appuyé aux meilleurs westerns-spaghettis de Sergio Léone que débute la présentation des postures antagonistes des deux camps. Démarrant sur la musique de Il était une fois dans l'ouest, filmant en contre-jour la façade d'une église suggérant que l'on se trouve dans un village de l'ouest américain, le journaliste Philippe Lemaire cible l'objet du conflit : les sentiers en forêt. Dans l'esprit du western la caméra zoome sur les « armes » des deux camps : chaussures de marche en cuir nouées par des lacets, (renvoyant à la tradition et à la qualité d'un équipement classique) et énorme roue de 4X4 marquant le sol d'empreintes profondes. Le reportage reprend ensuite une facture plus classique pour donner la parole aux deux parties.

Montré dans leur activité de prédilection, le groupe des randonneurs correspond aux pratiquants habituels : groupes familiaux ou amicaux mêlant les générations pour une activité accessible avec un équipement simple, dans le respect de l'environnement et la rencontre avec la nature. Ces randonneurs suivent les sentiers balisés par la Fédération Française de Randonnée qui, en 1978, a remplacé le Comité National des Sentiers de Grande Randonnée créé en 1947 à l'instigation de Jean Loiseau, un architecte issu du scoutisme qui a œuvré dès la fin de la Première Guerre mondiale avec le Touring Club de France pour le développement du tourisme pédestre. La création du comité entérine le terme de randonneur qui remplace celui d' « excursionniste », ces touristes qui, au 19ème siècle, découvraient à pied les nouveaux espaces, en même temps que les alpinistes parcouraient les hauts sommets. Dans les années 1980, la France entière est parcourue par ces sentiers dont le célèbre GR 5 qui relie les Pays Bas à la Méditerranée. Virulents, ces randonneurs le sont qui vitupèrent les 4X4 destructeurs de l'environnement avec les griefs habituels (dégradation des espaces, pollution de l'air, de l'eau, trouble de la quiétude) à l'encontre d'individus que le témoin interrogé traite « d'imbéciles » attestant du conflit majeur qui opposent les « paisibles » randonneurs aux propriétaires de 4X4. A cette date, cette catégorie est représentée par des véhicules volumineux et massifs, munis d' énormes « pare buffles » (pare-chocs), à la garde au sol élevée qui permet les franchissements et les parcours dans des terrains très accidentés. Le reportage montre un rassemblement de ces engins s'entraînant dans un terrain aménagé pour eux, en même temps que le témoin interrogé (vêtu d'une chemise au logo de Land Rover, une marque réputée en la matière) modère la critique de dégradation des espaces que les images, en arrière plan, contredisent.

Dans cette opposition loin d'être simplement verbale, les campagnes de défense de l'environnement et la montée en puissance de l'écologie ont conduit à une restriction de l'usage des 4X4 en dehors de routes carrossables, notamment dans les sentiers de pleine nature (1) (cf. l'arrêt préfectoral de Haute Savoie évoqué). Depuis, les taxes importantes adossées à ces véhicules ont limité le développement des gros engins et les marques se sont reconverties dans les SUV, (véhicule tout chemin, parfois avec 4 roues motrices), des breaks surélevés qui permettent à leurs conducteurs de gagner les stations enneigées et de parcourir des sentiers accidentés.

(1) La loi 91-2 du 3 janvier 1991 relative à la circulation des véhicules terrestres dans les espaces naturels vise à restreindre la circulation dans ces espaces. Elle pose le principe de l'interdiction de la circulation des véhicules à moteur dans les espaces naturels. Cette circulation n'est autorisée que sur les voies classées dans le domaine public routier de l'État, des départements et des communes, les chemins ruraux et les voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur. La charte de chaque parc naturel régional doit comporter un article établissant les règles de circulation des véhicules à moteur sur les voies et chemins de chaque commune adhérente du parc.

Anne-Marie Granet-Abisset

Transcription

(Musique)
Lemaire Jean-Philippe
4x4 contre randonneurs pédestres à première vue le duel est inégal. Et c'est vrai que les premiers indisposent les seconds. Se disputant les mêmes chemins forestiers, se retrouvant dans les même espaces naturels. Leur rencontre tourne plus souvent à l'aigre, quand on ne frôle pas carrément l'incident. Ils sont plusieurs dizaines de milliers de randonneurs dans la région Rhône-Alpes à fuir chaque semaine l'ambiance survoltée des villes en quête d'un dialogue idyllique matiné d'écologie avec la nature, dans des sentiers qu'ils ont souvent balisé eux mêmes. L'éruption massive des 4x4 les a transformés en sentiers de la guerre, d'où une liste fournie de griefs.
Alain Beal
Dégradations, pollution de l'air, dégradation des chemins, pollution de l'eau. Troubles de la quiétude des gens qui se promènent paisiblement ou qui habitent paisiblement. Je ne citerai pas les anecdotes où on a vu des 4x4 faire un "safari moutons" dans un parc à moutons de la région ; ça ce sont des individus qui ne rentrent pas dans la norme des 4x4, ce sont des imbéciles. Il y en a de partout malheureusement.
Lemaire Jean-Philippe
Et donc c'est quand même une déclaration de guerre.
Alain Beal
Non non je maintiens à dire que ce n'est pas une déclaration de guerre. Dans un pays comme la France il doit y avoir de la place pour tout le monde mais il faut que chacun soit à sa place.
Lemaire Jean-Philippe
Procès, campagnes de presse, pétitions, tous les moyens sont bons pour bouter l'intrus hors de ce que les randonneurs pedestres considèrent comme leur territoire, c'est à dire ces zones naturelles qui couronnent toutes les grandes villes de la région. Dans leur lutte qu'ils ont engagée contre les 4x4, ils ont déjà marqué quelques points. En Haute Savoie, le 4x4 est désormais hors la loi dans les zones de forêt à la suite d'un arrêté préfectoral. Pourtant les mordus du tout terrain ont eux aussi le droit de se livrer à leur passion. Mais pour le moment le point de vue des deux parties semble irrémédiablement inconciliable.
Défenseur du 4x4
je crois que le plus gros problème c'est que, à partir du moment où il n'y aura pas une réglementation qui dira bon les 4x4 vous êtes autorisés sur tel secteur et les pedestres sur tel autre, il y aura toujours des frictions. C'est normal.
Lemaire Jean-Philippe
Est-ce que ils vous accusent aussi de détruire un peu la nature ?
Défenseur du 4x4
Ah il est certain que si on voit des grosses concentrations de véhicules on a toujours tendance à penser que la nature va être dégradée. D'un autre coté on s'aperçoit que les gens qui font du 4x4 en randonnée, à partir du moment où ils sont raisonnables et font ça en petit groupe, ils utilisent des chemins, ils restent dans le chemins ou autres, il ne peut pas y avoir de dégrataion particulière de la nature. Pas plus que ne le font les gens qui utilisent des chemins avec des tracteurs ou autres.
Lemaire Jean-Philippe
La réglementation apparaît à beaucoup comme la seule solution qui à défaut de réconcilier randonneurs pedestres et fondus du tout terrain, pourrait au moins permettre d'établir un certain modus vivendi entre les uns les autres. Mais réglementer n'est ce pas tuer aussi une part importante du plaisir.