Le Grand-Est, territoire d’accueil et de circulations à l’heure de Schengen
Par Marie Metge et Alice Kindmann-Martin, Professeure agrégée d'histoire-géographie et éditricePublication : 14 avr. 2021
760 kilomètres de frontière et quatre pays « voisins » (l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse) : pour six départements sur les dix que compte la région Grand Est, circuler de part et d’autre de la frontière, vivre ici et travailler là sont des réalités depuis longtemps. Avant même la création de l’espace Schengen qui a défini un nouveau territoire à l’intérieur duquel il est possible de se déplacer librement entre les pays.
La mobilité ne se résume pas à un mouvement unique d’une ou plusieurs personnes allant d’un lieu de départ jusqu’à un lieu d’arrivée. En fait, il n’y a pas un seul type de mobilité mais des mobilités répondant à des besoins multiples. Des mobilités de court terme pour des voyages de tourisme ou d’affaires. Les allers-retours des transfrontaliers. Et les mobilités longues qui se traduisent par un changement de résidence : ce sont les migrations. Aujourd’hui, les sciences sociales envisagent les mobilités comme une multitude de circulations à l’échelle internationale, tissant un réseau entre les territoires et comprenant des étapes, des situations provisoires et des retours.
En raison de sa position transfrontalière, le Grand Est est parcouru par un flux intense de circulations intra-européennes (mobilités de travail, mobilités touristiques,…) mais aussi extra-européennes. La région constitue en effet une halte ou un territoire d’arrivée pour certains migrants. Ces flux extra-européens s’inscrivent aujourd’hui, et dépendent, d’une double dynamique : d’un côté l’ouverture des frontières à l’intérieur de l’Union européenne dans le cadre de l’espace Schengen ; de l’autre une tendance au renforcement des frontières aux portes de l’Europe.
En 1985, cinq pays européens (l’Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas) signaient un accord pour créer un territoire sans frontières intérieures : l’espace Schengen (du nom de la ville au Luxembourg où les accords ont été signés). Depuis, 22 Etats membres de l’Union européenne et quatre Etats associés (Islande, Norvège, Suisse et Liechtenstein) y ont adhéré. Concrètement, cela signifie que l’on peut circuler librement d’un pays signataire à l’autre ; que tous les Etats appliquent la même politique en matière de visa ; et que la sécurité est renforcée aux frontières de ce nouvel espace.
Si la circulation des habitants des pays signataires est facilitée, la situation n’est pas la même pour les ressortissants des pays non membres de l’espace Schengen. Une cinquantaine d’Etats dispose d’un accord permettant à leurs citoyens de voyager sans visa. Pour les autres, il en faut un, quel que soit le motif du déplacement : travailler, étudier, rendre visite ou rejoindre sa famille, faire du tourisme, etc. Le visa permet d’entrer dans l’espace Schengen et d’y rester pour une durée limitée. En cas de séjour excédant cette durée, il faut doubler le visa d’une demande de séjour qui devra être régulièrement renouvelée.
Pour obtenir un visa, la procédure est longue : il faut remplir un dossier et justifier de ressources suffisantes pour séjourner dans le pays. La demande de carte de séjour est une autre démarche impliquant entre autres une visite médicale et un entretien. Face à ces règles d’entrée, les individus sont donc loin d’être égaux. L’espace Schengen n’est pas le même espace de liberté selon d’où l’on vient…
A travers les interviews de deux détenteurs de visas Schengen et de la directrice du service immigration à la préfecture de Moselle, est posée la question du rôle et de l’intérêt de ces accords de plus en plus critiqués, trente ans après leur signature.
Un visa et, si nécessaire, un permis de séjour sont donc les deux procédures pour entrer légalement et circuler dans les pays de l’espace Schengen. Mais chaque année, des milliers de personnes arrivent sans visa, donc illégalement. Ce sont les migrants dont parlent abondamment les médias. Beaucoup demandent l’asile, car leur sécurité n’est pas garantie dans leur pays pour des raisons politiques, religieuses ou d’orientation sexuelle notamment. En cas de refus, ils sont refoulés dans leur pays d’origine. Si leur demande est acceptée, ils acquièrent le statut de réfugié.
Depuis la Convention Internationale de Genève de 1951, qui a été renforcée par une directive européenne, les territoires d’accueil ont un devoir de protection. Cela signifie qu’ils sont obligés d’assurer la prise en charge sociale des migrants : hébergement, scolarisation, aide alimentaire et accompagnement dans les démarches de la demande du statut de réfugié. Dans les faits, les conditions d’accueil minimales des demandeurs d’asile ne sont pas toujours respectées, et les délais de traitement des dossiers sont importants (15 mois en moyenne), ce qui rend les retours difficiles à mettre en place.
L'accord de Schengen permet la libre-circulation des hommes et des femmes. Les demandeurs d’asile, une fois entrés dans l’espace Schengen, peuvent s’installer dans un État : commence alors le processus d’accès au statut de réfugié. Les États d’accueil doivent assurer à ces personnes de bonnes conditions de vie et le respect des droits et libertés individuelles, ce qui n’est pas toujours le cas.
# Circuler à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe de Schengen
Le Grand Est, comme d’autres régions dans l’Union européenne, est donc un territoire d’arrivée et d’accueil. Mais pas seulement : en 2016, 44% des travailleurs frontaliers français vivent dans le Grand Est. Chaque jour, 160 000 personnes passaient matin et soir la frontière allemande, luxembourgeoise, suisse ou belge pour aller travailler. Si les motivations sont diverses (salaires plus élevés en Suisse et en Allemagne, fiscalité avantageuse au Luxembourg, échapper au chômage pour les Lorrains, etc.), tous profitent d’un espace ouvert à l’intérieur duquel il est facile de circuler.
Ce reportage, basé sur un rapport de l’INSEE, concerne l’emploi des frontaliers dans la région Grand Est, favorisé par l’omniprésence de quatre frontières. Ainsi, ceux que l’on appelle les "navetteurs" travaillent dans l'industrie en Allemagne et Suisse, et dans les services, les finances et les assurances en Belgique et Luxembourg.
Au sein de l’espace Schengen, tout semble donc facile et facilité. La libre circulation des personnes est une réalité. Mais cet espace ne correspond pas aux frontières ni de l’Europe politique ni de l’Europe économique ni de la zone euro… La Norvège, l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse ne sont pas membres de l’Union européenne ; ils font pourtant partie de l’espace Schengen. Une situation qui, potentiellement, n’est pas sans conséquences sur les contours des frontières extérieures… et donc sur la vie des travailleurs transfrontaliers.
50,3% de la population suisse a répondu « oui » pour une limitation de l’immigration en suisse. Zoom sur conséquences pour les travailleurs étrangers frontaliers et pour l’économie locale.
Les enjeux d’une remise en question de la libre circulation des personnes entre les pays de l’espace Schengen dépassent en fait très largement la problématique des travailleurs transfrontaliers, dans le Grand Est comme ailleurs. En toile de fond, c’est bien la question des migrants européens et non- européens qui est soulevée dans un contexte de remise en question régulière des accords de Schengen et des frontières de l’Union européenne en général. La crise migratoire de 2010, avec l’arrivée massive de réfugiés en raison des printemps arabes et de la guerre en Syrie, a montré les limites de la coopération et de la solidarité entre les Etats membres de Schengen. En 2016, le Brexit a signifié un retour des contrôles entre les pays de l’Union européenne et le Royaume-Uni (qui n’a jamais fait partie de l’espace Schengen). Les accords de libre circulation apparaissent donc de plus en plus fragiles ; les voix qui les critiquent toujours plus nombreuses.
Le même contenu, adapté à l’enseignement, est accessible aux enseignants et aux élèves de la région Grand Est, sous le titre : Le Grand Est, territoire d’accueil et de circulations.
Piste Pedagogique
Publication : 14 avr. 2021, Mise à jour : 01 juil. 2021
Cette piste pédagogique conçue pour le programme de géographie en Seconde répond aux questions suivantes : En quoi le Grand Est est un territoire d’accueil pour les personnes migrantes ? En quoi le Grand Est est également un territoire de circulations ?