Jacques Paugam
Alors vous avez commencé, donc, par la JAC, la Jeunesse agricole chrétienne.
Jusqu'en 1952, c’est la seule organisation dans la Somme pour les agriculteurs ?
Marcel Deneux
Ah oui.
Jusqu'en 52, oui.
Nous créons un centre des jeunes en 52, je pense oui.
Jacques Paugam
Et alors, de quand datent les premières grandes manifestations dans la Somme ?
Marcel Deneux
Il y en a eues avant guerre mais…
Jacques Paugam
La grande Toussaint.
La Toussaint à laquelle vous avez participé.
Marcel Deneux
La vague de 54 des producteurs de lait, nous avions un slogan :
"lait = misère = ruine" qu’on a trouvé sur les murs de Picardie longtemps.
Et à la Toussaint de 54, je crois que ça a été l’un des premiers barrages de route en France.
Nous avions une voiture accidentée simulée et nous arrêtions ces Parisiens qui allaient, dans leur familles porter chrysanthèmes.
Jacques Paugam
Et vous aviez été trahis par le brouillard, je crois ?
Marcel Deneux
On a été trahis par le brouillard.
On a eu peur d’avoir trop d’accidents et on a rompu assez vite, oui.
Nous avions prévu…
Jacques Paugam
Donc vous aviez pris l’habitude, là, de distribuer des tracts, d’offrir des produits ?
Marcel Deneux
Oui, et puis de trouver des formes nouvelles de rénover l’action syndicale.
On ne savait pas très bien.
Nos pères faisaient des meetings dans des salles.
Nous, nous sommes sortis sur la route.
Plus tard, on a sorti les tracteurs.
Mais à cette époque, on n’en avait pas encore, en 54.
Jacques Paugam
Mais en même temps, avec une solide formation intérieure.
Enfin, il y avait des journées… Vous organisiez des journées où vous parliez de l’azote, vous parliez de…
Marcel Deneux
Oui, c'est-à-dire que les jeunes ont été ceux qui ont essayé de prendre en charge tous les problèmes de la profession.
Et l’un des principaux problèmes, et encore aujourd'hui, c’était celui de la formation des hommes.
Et donc il fallait, par une pédagogie adaptée, amener des gens à réfléchir sur leur sort, sur leur métier, sur les grands problèmes de leur métier et assurer la promotion globale du milieu à partir d’hommes qui ont détecté dans ce champ d’animation.
Jacques Paugam
Mais alors, à ce moment-là, l’organisation des jeunes agriculteurs a fait passer une idée qui était assez nouvelle concernant les rapports avec l’Etat ?
Marcel Deneux
Oui, je pense que ces des années 57-8, des années 60 que date l’idée de cogestion des affaires agricoles avec l’Etat qui a eu des péripéties et qui…
Jacques Paugam
Cogestion, ça ne voulait pas dire… Donc ça ne voulait absolument pas dire qu’on demandait à l’Etat de tout faire ?
Marcel Deneux
Non, c'est-à-dire que nous demandions à l’Etat les moyens et réglementaires et parfois financiers de conduire nous-mêmes les affaires de la profession en collaboration, en en discutant.
Mais nous n’étions pas un syndicaliste stérile.
D’ailleurs, nous avons eu des débats internes très épiques au moment du poujadisme.
Certains de nos aînés voulaient nous emmener dans le poujadisme ambiant et les jeunes ont beaucoup résisté.
Je crois que si la SCSCA est ce qu’elle est aujourd'hui, elle le doit à cette époque.
Jacques Paugam
Et vous avez quand même failli vous faire piéger dans les années 60 par la politique, là ?
Marcel Deneux
Oui, dans les années 60, il y avait la guerre d’Algérie.
Nos aînés étaient marqués, souvent, par des traditions corporatives qui dataient de l’organisation positionnelle de la guerre.
Et la SNSCA, à un moment, était quand même assez proche des mouvements qui animaient l’Algérie française.
Nous avons eu, sur le plan national, notamment, des prises de position parfois un peu difficiles.
Jacques Paugam
Alors là, il y a eu les manifestations très dures à Amiens.
C’était en 60 ?
Il y a eu des morts.
Marcel Deneux
Amiens, c’est février 60.
Il y a eu un mort et puis des accidents de la route, mais enfin, un mort pendant la manif.
Et puis il y a eu toute une vague de manifestations qui ont suivi le changement d’ère économique avec l’arrivée du Général.
Jacques Paugam
Alors ça, c’est très curieux parce que ces manifestations étaient dirigées très directement contre le Général et puis, ensuite, je ne dirais pas que vous êtes tombés dans les bras les uns des autres parce que ça ne correspond pas à l’image du Général, mais enfin, quand même ?
Les lois d’orientation 60-62 sont encore, aujourd'hui, la base de l’agriculture française.
Marcel Deneux
Il y a eu un contexte.
Le Général, qui était clairvoyant, a su choisir le ministre de l’Agriculture qui était à l’écoute des jeunes agriculteurs.
Ça a été à une époque où on a fait voter des lois, 60-62.
Et puis tout mouvement qui a été mis en marche à ce moment-là.
Et en effet, le Général a été, sans doute, l’un des Présidents de laRépublique… a été le plus à l’écoute des problèmes agricoles pour nous en tout cas.
J’ai eu, avec le Général, plusieurs conversations personnelles.
Je me rappelle d’un jour où il nous avait dit :
« Je vous ai compris.
On essaiera d’accompagner ce mouvement ».
Et le Général a fait beaucoup pour la promotion des jeunes agriculteurs.