René Blondelle du Centre national des indépendants et paysans

21 avril 1969
04m 26s
Réf. 00222

Notice

Résumé :

Discours de René Bondelle du CNIP lors de la campagne électorale officielle du referendum sur la création des régions et la réforme du Sénat. Il expose les raisons du refus de ce referendum, incite à l'abstention et rappelle les dernières actions positives du Sénat vis à vis des agriculteurs. Le départ du général de Gaulle ne serait pas l'aventure, en conséquence de quoi, il engage à répondre "Non".

Date de diffusion :
21 avril 1969
Personnalité(s) :

Éclairage

René Blondelle est l'un de ces notables ruraux influents passés par les organismes agricoles, trait caractéristique d'une part importante du personnel politique picard. Mort en cours de mandat sénatorial en 1971, il fut salué par le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas comme l'"un des plus éminents porte-parole des agriculteurs français".

Né le 13 juin 1907 à Pouilly-sur-Serre (Aisne), René Blondelle sort diplômé de l'Ecole nationale d'ingénieurs des arts et métiers en 1927 mais choisit le métier d'agriculteur, comme son père, et prend la tête d'une petite exploitation dans son village natal, puis s'installe à Barenton-Bugny, commune où il a fait l'acquisition d'une exploitation plus grande. Fondateur du premier syndicat betteravier de l'Aisne, dans le canton de Crécy-sur-Serre, durant l'entre-deux-guerres, il devient président de l'Union des syndicats agricoles de ce département en 1938 et vice-président de la Chambre d'agriculture de l'Aisne l'année suivante. Mobilisé d'août 1939 à juillet 1940, il est nommé par le régime de Vichy, au Conseil départemental de l'Aisne (qui a remplacé le Conseil général) et à la Corporation paysanne, dont le secrétaire national est Adolphe Pointier, maire de Croix-Moligneaux, grand propriétaire céréalier et betteravier dans la Somme, soutien des Comités de défense paysanne d'Henri Dorgères, surnommés les Chemises vertes, dans l'entre-deux-guerres (1).

En 1945, il est réélu président de l'Union des syndicats agricoles de son département. L'année suivante, il accède au secrétariat général de la FNSEA puis préside le syndicat agricole de 1949 à 1953. En 1952, il devient président de l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture. Élu sénateur indépendant et paysan en 1955, il est réélu en 1959 puis en 1962. Il consacre son travail parlementaire aux dossiers agricoles et attaque fréquemment la politique agricole du gouvernement à partir de 1960, se faisant le défenseur d'une politique des prix contre les partisans d'une réforme des structures pour éviter les crises de surproduction. Sous la Ve République, il est membre du Conseil supérieur de la recherche scientifique et du Comité directeur du CNIP, qui passe dans l'opposition à partir de 1962, la majorité des élus indépendants-paysans s'opposant à la poursuite de l'alliance avec les gaullistes.

Le sénateur de l'Aisne, qui est toujours président de l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture, jouit d'une certaine autorité dans le monde agricole. En 1969, sa prise de position en faveur du « non » lors du référendum du 27 avril sur la création des régions et la rénovation du Sénat est considérée comme déterminante pour le vote d'une grande partie de la population rurale française. Le projet rencontre en effet une vive hostilité des milieux ruraux et agricoles et inquiète les élus locaux, très attachés au « grand conseil des communes de France » car la réforme du Sénat leur est préjudiciable : elle prévoit en effet la fusion de la Haute Assemblée avec le Conseil économique et social (afin d'introduire des représentants des activités économiques, sociales et culturelles) puis surtout le texte cantonne le Sénat à un rôle consultatif, confiant d'autre part au Premier ministre le rôle d'assurer l'intérim en cas de vacance de la Présidence de la République. Quant aux conseils régionaux qu'il institue, ils ne sont pas élus au suffrage universel. Le texte soumis aux Français est repoussé par 52,4% des suffrages exprimés et le Général de Gaulle démissionne aussitôt de la Présidence de la République, comme il l'avait annoncé auparavant. Alain Poher, président du Sénat, resté le deuxième personnage de l'Etat, assure donc l'intérim jusqu'à l'élection de Georges Pompidou, le 15 juin 1969.

René Blondelle siège au Sénat jusqu'à son décès, le 19 février 1971 à Bruxelles, où il était venu participé aux travaux du Parlement européen, dont il était membre depuis 1959.

(1) Les Comités de défense paysanne, est une organisation d'extrême droite de l'entre-deux-guerres appelée "chemises vertes" d'après la couleur de ses uniformes. Adeptes d'un État autoritaire et corporatiste ils défendent entre autres le retour à la terre qui trouve écho avec la politique agrarienne du régime de Vichy.

Julien Cahon

Transcription

(Silence)
Blondelle§René
Je représente, ce soir, devant vous, le Centre National des Indépendants et Paysans qui n’a jamais pratiqué l’opposition systématique au gouvernement. Il a toujours pris ses positions en fonction du bien public. Il sait que l’intérêt du pays exige la solidarité et l’union de tous les Français. Nous ne pouvons donc pas être d’accord avec des référendums répétés qui les divisent et les détournent des tâches urgentes qu’ils ont à accomplir. On peut aussi se poser la question de la légalité du référendum du 27 avril. Et le conseil d’Etat, qui est un juge impartial, a donné un avis défavorable à l’ensemble du projet. Nous avons toujours été partisans d’une réforme régionale. Mais le texte qui nous est proposé ne répond pas à notre attente car il décide un conseil régional… que vous n’élirez pas et certainement aussi des impôts nouveaux. A l’abri de cette réforme régionale, on nous propose une dangereuse modification de la constitution. Ne permettre qu’une seule réponse à plusieurs questions, c’est créer volontairement la confusion. Nous ne pouvons pas l’accepter. Et cela suffirait à nous faire répondre non. Mais il y a plus. Retirer au Sénat le pouvoir de faire la loi, c’est livrer le pays au danger d’une chambre unique. Intégré depuis toujours au monde agricole, je voudrais quelques instants m’adresser plus particulièrement aux ruraux, aux hommes et aux femmes de nos campagnes. Avez-vous mesuré combien la composition et la modification du mode d’élection du Sénat vous enlèveraient et même réduiraient à néant votre influence alors que vous avez déjà tant à vous plaindre du sort qui vous est réservé ? Souvenez-vous, mes amis agriculteurs, que c’est grâce au Sénat, en 1960, que l’on a pu inscrire dans la loi d’orientation agricole le principe de la parité des revenus. En 1962, c’est le Sénat aussi qui a fait prévaloir à l’Assemblée nationale contre la volonté du gouvernement, l’orientation sociale du 4ème plan améliorant les conditions de vie des personnes âgées, des agriculteurs exploitants, des artisans ruraux, des chefs de famille, des salariés à bas revenus. Récemment encore, c’est le Sénat qui a mené le bon combat contre l’augmentation des droits de succession. Le pouvoir législatif du Sénat a donc été utile. Il reste indispensable à l’équilibre des pouvoirs et à la vie de la nation. Enfin, donner au Premier ministre l’intérim en cas de vacance de la Présidence de la république, c’est, en fait, donner au Président en exercice, le droit de désigner son successeur. C’est un peu comme si on rétablissait le droit d’aînesse. Le général de Gaulle a fait de ce référendum une question de confiance. Nous ne pouvons le suivre dans cette perspective. L’aventure et le chaos ne suivraient pas son départ. Les hommes passent, d’ailleurs. Tous les hommes passent. Et ce départ viendrait tôt ou tard. Mais l’aventure résulterait certainement d’une mauvaise constitution rendue dangereuse par son texte et par son esprit. C’est pourquoi, avec nous, sans passion, avec le seul souci de l’avenir du pays, votre devoir, citoyennes, citoyens, chefs de famille, responsables professionnels, est de répondre non.
(Silence)