Chantilly et Amiens : la révolte paysanne

23 novembre 1992
02m 35s
Réf. 00213

Notice

Résumé :

Des manifestations agricoles contre le pré-accord du Gatt, et l'éventuelle diminution des exportations de la CEE se sont tenues dans différentes villes picardes. A Amiens des affrontements avec les forces de l'ordre ont eu lieu devant la préfecture à Amiens. Un rassemblement s'est tenu devant le château de Chantilly. Jean-Luc Poulain de la FDSEA Oise, souligne que les accords du Gatt engagent toute l'économie française. François Proffit, agriculteur, reste sceptique quant à l'avenir. Marie-Dominique Messean, présidente CDJA Somme, refuse l'actuel compromis.

Date de diffusion :
23 novembre 1992
Source :

Éclairage

En novembre 1992, les agriculteurs français protestent contre l'accord commercial agricole signé à Washington entre la Communauté européenne et les États-Unis, marquant ainsi leur opposition au GATT (General Agreement on Tariffs and Trades – Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et à la Politique agricole commune (PAC), dont la réforme de juin 1992 avait aussi été mal acceptée par les agriculteurs, qui avaient alors manifesté leur colère par des barrages routiers à Amiens par exemple. La réforme de la PAC de 1992 modifie fortement la politique de soutien par la baisse des prix garantis – qui se rapprochent alors du niveau des cours mondiaux – et par là même les subventions aux exportations et la préférence communautaire, afin de se conformer aux règles libérales du commerce mondial. Le gouvernement français prévoit ainsi un plan d'accompagnement pour compenser cette baisse par des aides directes aux agriculteurs.

Cinq mois plus tard, le volet agricole des négociations du GATT, qui vise à libéraliser les échanges commerciaux dans le monde, provoque une nouvelle levée de boucliers des agriculteurs. Le GATT a été signé en 1947, dans un contexte de sortie de guerre. C'est un accord de libre-échange qui vise à relancer le commerce international en abaissant et harmonisant les barrières douanières des 23 pays signataires. Plusieurs négociations multilatérales – les rounds – sont menées dans les décennies suivantes et le GATT enregistre l'entrée de nouveaux pays, au nombre de 120 en 1994, date de clôture des négociations. L'Uruguay round entamé en septembre 1986, est le septième et dernier mais aussi le plus discuté de ces cycles de négociations. Il porte, comme d'autres rounds, sur la réduction des droits de douane mais également et surtout sur l'élargissement des domaines de négociation à l'agriculture, au textile et aux services. C'est précisément à la veille de la discussion de ces accords à l'Assemblée que les agriculteurs manifestent. Cherchant à protéger son agriculture, le gouvernement socialiste de Pierre Bérégovoy refuse de donner son aval au projet d'accord signé entre les États-Unis et la CEE sur le volet agricole des négociations du GATT. Il prévoit en effet une réduction de 21% des exportations de produits agricoles européens subventionnés (notamment le blé, les céréales et la viande) et un plafonnement des surfaces cultivés en oléagineux (soja, colza...). Ces mesures sont rejetées par l'ensemble des syndicats agricoles, du CNJA à la FNSEA, en passant par la Confédération paysanne, dans un contexte plus large de diminution du nombre d'agriculteurs et d'exploitations, qui fait craindre "La fin des paysans", pour reprendre le titre de l'ouvrage d'Henri Mendras en 1967 (1).

Ces manifestations débordent largement les frontières françaises : après les défilés en région le 23 novembre, à Paris le lendemain, une grande manifestation européenne a lieu à Strasbourg le 1er décembre en présence de délégations canadiennes et japonaises. Le 15 décembre 1993, la nouvelle majorité du Parlement français approuve les accords du GATT. Le 15 avril 1994, l'acte final de l'Uruguay round est signé à Marrakech. Il donne naissance à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le GATT n'ayant pas le statut d'organisation internationale.

(1) Henri Mendras, La fin des paysans, Paris, SEDEIS, 1967 ; réédition, Arles, Actes Sud, coll. "Babel", 1992.

Julien Cahon

Transcription

Bonté§Thierry
Madame, monsieur, bonsoir. Les agriculteurs ont manifesté aujourd'hui à Amiens et Chantilly contre l’accord signé jeudi, l’accord du GATT bien sûr. Les agriculteurs n’acceptent pas la réduction des exportations de produits agricoles subventionnés qui les pénaliseraient lourdement. Ils l’ont dit ce matin avec détermination et parfois même avec violence. Gilles Lefèvre, Jacques Danin.
Lefèvre§Jacques
500 agriculteurs massés, ce matin, devant la préfecture de région, à Amiens. Face à eux, un cordon de CRS. Le climat est lourd. Quelques incidents éclatent mais heureusement, la situation ne dégénère pas. A Chantilly, les touristes n’en reviennent pas. Cette jacquerie n’était pas vraiment prévue au programme. Des tracteurs s’installent nonchalamment aux pieds du château. Une soixantaine d’agriculteurs de l’Oise attendent de pied ferme le sous-préfet de Senlis.
Poulain§Jean-Luc
Nous lui avons dit que les accords du GATT n’engageaient pas uniquement l’agriculture telle que la réforme de la PAC l’avait engagée mais que les accords du GATT engageaient toute l’économie française car il n’est pas possible de faire sombrer l’agriculture française sans faire sombrer l’économie française.
Agriculteur 1
Vous savez, en 68, ça a commencé pour moins que ça, les pavés.
Agriculteur 2
Allons ! Allons !
Agriculteur 3
Quand on pousse les gens à l’extrémité… On ne pourra plus les tenir.
Agriculteur 1
Actuellement, là, on tient nos gars, là. Mais on ne les tiendra peut-être pas longtemps.
Lefèvre§Jacques
Les mots sont souvent durs, un peu à la mesure de la colère du monde paysan. Les agriculteurs de l’Oise sont désormais à la recherche d’un soutien politique depuis ce matin. Par exemple, certains prennent des rendez-vous avec leur sénateur ou leur député.
Proffit§François
On est un peu sceptiques parce que là, il ne faut pas se jouer sur la politique politicienne parce qu’ils vont tous nous dire qu’ils sont d’accord avec nous, et ce n’est pas vrai.
Lefèvre§Jacques
Au même moment, à Amiens, une délégation est reçue à la préfecture de région. Puis la manifestation se déplace vers la gare où un sit-in est organisé vers midi.
Messean§Marie-Dominique
De toute façon, on va maintenir la pression. Il faut absolument que nos parlementaires s’unissent tous pour dire la même chose et pour dire non à ce compromis et que si vraiment, au niveau de l’Europe, on décidait de dire oui, la France mette son droit de veto.
Lefèvre§Jacques
Au sein de la Communauté européenne, chaque pays dispose d’un droit de veto qu’il peut exercer s’il estime un projet contraire à ses intérêts. La France dispose donc de cet ultime recours pour bloquer le processus engagé ce week-end. Mercredi, à Bruxelles, l’accord Europe/Etats-Unis sera soumis aux 12. D’ici-là, les agriculteurs qui sont descendus aujourd'hui dans la rue devront se faire une raison et attendre.