Chantilly et Amiens : la révolte paysanne
Notice
Des manifestations agricoles contre le pré-accord du Gatt, et l'éventuelle diminution des exportations de la CEE se sont tenues dans différentes villes picardes. A Amiens des affrontements avec les forces de l'ordre ont eu lieu devant la préfecture à Amiens. Un rassemblement s'est tenu devant le château de Chantilly. Jean-Luc Poulain de la FDSEA Oise, souligne que les accords du Gatt engagent toute l'économie française. François Proffit, agriculteur, reste sceptique quant à l'avenir. Marie-Dominique Messean, présidente CDJA Somme, refuse l'actuel compromis.
Éclairage
En novembre 1992, les agriculteurs français protestent contre l'accord commercial agricole signé à Washington entre la Communauté européenne et les États-Unis, marquant ainsi leur opposition au GATT (General Agreement on Tariffs and Trades – Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et à la Politique agricole commune (PAC), dont la réforme de juin 1992 avait aussi été mal acceptée par les agriculteurs, qui avaient alors manifesté leur colère par des barrages routiers à Amiens par exemple. La réforme de la PAC de 1992 modifie fortement la politique de soutien par la baisse des prix garantis – qui se rapprochent alors du niveau des cours mondiaux – et par là même les subventions aux exportations et la préférence communautaire, afin de se conformer aux règles libérales du commerce mondial. Le gouvernement français prévoit ainsi un plan d'accompagnement pour compenser cette baisse par des aides directes aux agriculteurs.
Cinq mois plus tard, le volet agricole des négociations du GATT, qui vise à libéraliser les échanges commerciaux dans le monde, provoque une nouvelle levée de boucliers des agriculteurs. Le GATT a été signé en 1947, dans un contexte de sortie de guerre. C'est un accord de libre-échange qui vise à relancer le commerce international en abaissant et harmonisant les barrières douanières des 23 pays signataires. Plusieurs négociations multilatérales – les rounds – sont menées dans les décennies suivantes et le GATT enregistre l'entrée de nouveaux pays, au nombre de 120 en 1994, date de clôture des négociations. L'Uruguay round entamé en septembre 1986, est le septième et dernier mais aussi le plus discuté de ces cycles de négociations. Il porte, comme d'autres rounds, sur la réduction des droits de douane mais également et surtout sur l'élargissement des domaines de négociation à l'agriculture, au textile et aux services. C'est précisément à la veille de la discussion de ces accords à l'Assemblée que les agriculteurs manifestent. Cherchant à protéger son agriculture, le gouvernement socialiste de Pierre Bérégovoy refuse de donner son aval au projet d'accord signé entre les États-Unis et la CEE sur le volet agricole des négociations du GATT. Il prévoit en effet une réduction de 21% des exportations de produits agricoles européens subventionnés (notamment le blé, les céréales et la viande) et un plafonnement des surfaces cultivés en oléagineux (soja, colza...). Ces mesures sont rejetées par l'ensemble des syndicats agricoles, du CNJA à la FNSEA, en passant par la Confédération paysanne, dans un contexte plus large de diminution du nombre d'agriculteurs et d'exploitations, qui fait craindre "La fin des paysans", pour reprendre le titre de l'ouvrage d'Henri Mendras en 1967 (1).
Ces manifestations débordent largement les frontières françaises : après les défilés en région le 23 novembre, à Paris le lendemain, une grande manifestation européenne a lieu à Strasbourg le 1er décembre en présence de délégations canadiennes et japonaises. Le 15 décembre 1993, la nouvelle majorité du Parlement français approuve les accords du GATT. Le 15 avril 1994, l'acte final de l'Uruguay round est signé à Marrakech. Il donne naissance à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le GATT n'ayant pas le statut d'organisation internationale.
(1) Henri Mendras, La fin des paysans, Paris, SEDEIS, 1967 ; réédition, Arles, Actes Sud, coll. "Babel", 1992.