Utilisation des premiers chars à Pozières pendant la bataille de la Somme
Notice
C'est de Pozières que partirent le 15 septembre 1916 les premiers chars d'assaut. On n'en avait jamais utilisé auparavant. Sur des images et photos d'archives, Frédérick Hadley de l'Historial de Péronne explique qu'ils s'embourbent, tombent dans les tranchées et avancent très lentement. Pourtant, le 15 septembre à Flers, l'arrivé de l'engin galvanise la troupe anglaise. On peut voir au mémorial de Péronne les premières armes antichar qui déboîtaient l'épaule du tireur.
Éclairage
La Première Guerre mondiale voit la naissance et le développement de l'arme blindée. Grâce à Churchill, convaincu par le lieutenant-colonel Ernest Swinton, la marine britannique s'engage dans la fabrication de chars, alors que le War Office marque peu d'intérêt pour cette invention. Dès avril 1916, la production des premiers Mark I commence sous le nom de code de "water tanks". Leur fabrication est orientée par les services techniques de la Royal Navy. Les servants forment des " équipages" de 8 hommes, le char est équipé de "tourelles", il dispose d'une"coque" et le Mark I bénéficie même d'un gouvernail à l'arrière (1).
C'est le 15 septembre 1916 que ces Mark I entrent en service sur la Somme : ils appuient l'attaque du général Horne sur Ginchy et Flers. Cette utilisation prématurée n'avait pas été désirée par Swinton et Churchill qui escomptaient l'effet de surprise provoqué par l'apparition simultanée sur le champ de bataille d'un grand nombre de chars. Or, sur 150 engins construits, moins de 60 sont présents sur le front de France et 49 seulement peuvent être engagés. Mais Haig et le Commandement britannique avaient besoin de ranimer une avance trop lente et pensaient donc expérimenter ce nouveau moyen d'action (2).
Insuffisamment testés et conduits par des équipages sous-entraînés, ces chars connaissent des pertes voisines de 50 %. Le résultat tactique est très faible, malgré certains succès ponctuels, comme celui remporté par le char n°16 du lieutenant Hasties qui entre dans Flers et en chasse les Allemands. Les soldats qui découvrent l'utilisation du char sont pourtant impressionnés, comme le montre le récit du caporal Gale, 7/King's Royal Rifle Corps : "Les tanks apparurent, l'un sur notre front, l'autre un peu plus loin. Nous étions tous absolument abasourdis. Nous ne savions quoi penser. Nous ne savions pas ce que c'était parce que l'on nous avait rien dit à leur sujet. C'était une vision stupéfiante. Ils arrivèrent juste devant nous, tournèrent et se dirigèrent droit sur les lignes allemandes. Le réseau de barbelés avait été bien détruit par notre artillerie mais les tanks retournaient ce qui restait et en écrasèrent les morceaux. Les Allemands, paniqués, fuient comme des lapins" (3). Un historique régimentaire allemand note que "l'arrivée des tanks... a eu le plus écrasant effet sur les hommes. Ils se sentaient tout à fait impuissants face à ces monstres" (4).
Les Allemands vont essayer de trouver des parades contre les chars, comme le fusil anti-char, Tankgewehr, dont un exemplaire conservé à l'Historial de Péronne est présenté dans le reportage par Frédérick Hadley.
Churchill jugea sévèrement l'attaque sur Flers. Alors que les 49 chars auraient dû être employés en masse sur un seul secteur du front pour réaliser la percée, 18 seulement sont opérationnels au matin de l'assaut et 5 sont mis en œuvre sur Flers. Mais les limites de ce premier engagement n'entravent pas le développement de l'arme blindée, utilisée en 1917 par les Français lors de la bataille au Berry-au-Bac et par les Anglais lors de la bataille de Cambrai. La première bataille de chars de l'histoire a lieu à Villers-Bretonneux le 24 avril 1918, opposant trois chars britanniques Mark IV et un char allemand A7V. La question de l'armée blindée sera au cœur des discussions militaires dans l'entre-deux-guerres.
Un monument aux officiers, sous-officiers et soldats britanniques ayant servi dans les chars et tombés en 1916, 1917 et 1918 est érigé à Pozières, à la sortie du village, dans le sens Albert-Bapaume. On le voit au début du reportage.
(1) Stéphane Audoin-Rouzeau, « Avions et chars » dans Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker (sous la direction de), Encyclopédie de la Grande Guerre, Paris, Perrin, 2012, t. I, p. 342-343.
(2) Capitaine Dutil, Les chars d'assaut, leur création et leur rôle pendant la guerre 1915-1918, Paris, Berger-Levrault, 1919, p. 22.
(3) Cité par Alain Denizot, La bataille de la Somme, Paris, Perrin, 2006, p. 133.
(4) Cité par John Harris, The Somme, Death of a Generation, Zenith Books, 1966, p. 113.