Le Chemin des Dames, avril 1917
Notice
80ème anniversaire de l'offensive Nivelle sur le Chemin des Dames contre le front allemand, le 16 avril 1917 : présentation du lieu, et particulièrement de la Caverne du Dragon. Le père René Courtois nous montre un des sites "remarquable", un ravin, où les alliés sont difficilement montés à l'assaut de troupes allemandes qui tenaient la crête. Il souligne que, selon le plan de bataille de Nivelle, les alliés devaient être à Laon à j+1, ils ont en réalité fait 100 m, au prix de milliers de morts. Carole Morelle, chef de projet cellule de valorisation du Chemin des Dames, nous guide dans la Caverne du Dragon. Jean Pierre Leroy évoque la mort de son grand-père pendant la bataille.
Éclairage
Ainsi appelée parce qu'elle était empruntée par les "Dames de France", les filles de Louis XV, la route du Chemin des Dames jalonne le plateau qui sépare la vallée de l'Aisne et celle de l'Ailette, un autre affluent de l'Oise à une dizaine de kilomètres au sud de Laon. Cette région a été le théâtre d'une meurtrière offensive en 1917, qui est l'une des principales défaites françaises de la Grande Guerre.
Ni Verdun, ni la Somme, les deux grandes batailles de 1916, n'avaient été des batailles décisives. Le commandant en chef des armées françaises, le général Joffre, n'avait pourtant pas perdu confiance. Il était persuadé que les Allemands ne disposaient plus des moyens de résister à une seconde bataille de la Somme. Le 16 novembre 1916, il réunit une conférence à son quartier général de Chantilly à laquelle participent le chef des armées britanniques, le général Haig, ainsi que les chefs des missions en France des différentes armées alliées. Convaincus que les Allemands préparaient une nouvelle offensive, ils décident de les devancer en passant à l'attaque dès la première quinzaine de février, des offensives alliées étant prévues sur d'autres fronts. Sur le front occidental, tandis qu'au nord une première attaque britannique et française, entre l'Oise et Arras, fixerait les forces allemandes et les obligerait à dégarnir leur front en Champagne, le groupe des armées françaises du Centre porterait le coup principal entre Craonne et Reims. La partie centrale, entre l'Oise et Craonne, la région du Chemin des Dames, était considérée comme inabordable, en raison de son relief : Joffre ne prévoyait pas d'y attaquer.
Mais, alors que la défaite de l'armée roumaine contrarie à l'est les projets d'offensive de la Russie, Joffre est remplacé par le général Nivelle, nommé le 12 décembre 1916 à la tête des armées du Nord-Est. Celui-ci remanie le plan envisagé par Joffre : il prévoit que l'offensive principale aurait lieu sur le Chemin des Dames, c'est-à-dire dans le secteur considéré comme inabordable dans le plan précédent. Une fois pris le verrou du Chemin des Dames, les troupes pourraient s'élancer vers Laon et repousser les Allemands.
Le projet de Nivelle est contrarié par le repli allemand sur la ligne Hindenburg au printemps 1917, qui modifie le tracé du front, puis par la météorologie, et par conséquent retardé.
L'offensive britannique de diversion débute le 9 avril dans la région d'Arras et obtient certains succès. L'offensive principale commence le 16 avril en direction du Chemin des Dames. Elle est marquée par l'emploi des chars à Berry-au-Bac, expérience qui se révèle un échec : près de 60 % des chars engagés sont détruits à la fin de la première journée et leurs équipages anéantis. L'échec des chars n'est qu'un des aspects de l'échec de l'offensive. Il apparut rapidement que la rupture était impossible. A la fin de la première journée, l'avance avait été de 500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus ; comme l'explique le père René Courtois dans le reportage diffusé en 1997 pour le 80e anniversaire, l'armée française est bien loin d'avoir gagné Laon à J + 1 comme prévu. La faiblesse de la préparation d'artillerie n'avait pas permis de bouleverser les positions ennemies. Les pertes sont considérables dans l'armée française : en 15 jours, jusqu'au 30 avril, il y eut 147 000 tués, blessés, disparus ou prisonniers (1). Un des témoins du reportage évoque la mort de son grand-père au Chemin des Dames.
Le 15 mai, Nivelle est relevé de son commandement et remplacé par le général Pétain, partisan d'une politique défensive. Mais l'échec sanglant du Chemin des Dames provoque une crise majeure dans l'armée française où se développent des mutineries, brièvement évoquées dans le reportage.
En revanche, celui-ci montre précisément quelques-uns des lieux de mémoire qui jalonnent le Chemin des Dames, et en particulier la caverne du Dragon. Celle-ci, investie par les Allemands en janvier 1915 et transformée en véritable caserne avec poste de tir, réseau d'électricité, dortoirs, chapelle..., avait rempli pleinement sa fonction défensive en enrayant le 16 avril 1917 les assauts français et en servant de refuge aux blessés allemands pris en charge par un poste de secours. Après la conquête de la caverne par les Français le 25 juin 1917, une contre-attaque réussie permet aux Allemands de s'installer également à l'intérieur de la caverne fin juillet jusqu'en octobre 1917. A la suite du retrait allemand, la Caverne du Dragon redevient française jusqu'au 27 mai 1918, date d'une nouvelle offensive allemande. La Caverne du Dragon est reprise par les Français le 12 octobre 1918. Ce site, facile d'accès, devient un mémorial de guerre dès 1920. Le Souvenir français y organise ensuite un musée, inauguré en 1969, puis la Caverne du Dragon est réaménagée en espace muséographique par le conseil général de l'Aisne en 1999 (2). En 2007, à l'occasion du 90e anniversaire des combats de 1917, le musée prend officiellement le nom de "Musée du Chemin des Dames".
Le reportage montre également la stèle "Ici fut Ailles" rappelant ce village d'une centaine d'habitants détruit pendant le conflit, ainsi que les ruines de Craonne. Envahi au début du conflit, situé sur une zone tenue et fortifiée par les Allemands, siège de terribles combats lors des offensives de 1917, ce village était tellement détruit après guerre qu'il n'était pas possible de le reconstruire sur place. La commune renonce au Vieux Craonne en 1930, en demandant "que les Eaux et Forêts le conservent et en fassent" à leur frais "un parc qui perpétuera le souvenir de l'ancien village". L'arboretum ne sera créé que dans les années 1970 (3).
Le reportage permet également d'entendre la fameuse Chanson de Craonne, devenue pour beaucoup la chanson par excellence de la guerre 1914-1918, même si la récente étude de Guy Marival a bien montré qu'elle était initialement la Chanson de Lorette, du nom d'une colline de l'Artois qui a été en 1915 le théâtre de combats acharnés, et est donc antérieure à l'offensive Nivelle et aux mutineries (4).
(1) Jean-Jacques Becker, 1917 en Europe, l'année impossible, Bruxelles, Complexe, 1997, p. 64-73.
(2) Thierry Hardier, « La caverne du dragon » dans Nicolas Offenstadt (sous la direction de), Le chemin des Dames, Paris, Perrin, 2012, p. 639-650.
(3) François Bouloc, "Craonne, des ruines au renouveau" dans Ibid., p. 657-674.
(4) Guy Marival,"La Chanson de Craonne, de la chanson palimpseste à la chanson manifeste" dans Ibid., p. 549-569.