Les civils dans la Grande Guerre à Peronne

04 novembre 2006
05m 32s
Réf. 00445

Notice

Résumé :

Les civils n'ont pas été épargnés pendant la Première guerre mondiale, surtout en Picardie qui fut en grande partie occupée, et ce dès les premières semaines de la guerre. Péronne, une ville située dans la Somme au cœur des combats, est occupée par les Allemands d'août 1914 à septembre 1918. La ville se germanise ; David de Sousa, conservateur du musée municipal relate que les allemands donnaient un concert chaque jour pour inculquer la culture allemande aux Péronnais. Renée Sorgius, née en 1905, se souvient de cette époque d'occupation. Frédérick Hadley, attaché de conservation à l'Historial relate que les allemands publiaient La gazette des Ardennes qui devait son succès grâce à la publication des listes de prisonniers.

Type de média :
Date de diffusion :
04 novembre 2006
Lieux :

Éclairage

Pendant la Première Guerre mondiale, la Somme est l'un des dix départements français à subir l'occupation allemande (1). Si Amiens n'est occupé que quelques jours à la fin de l'été 1914, l'est du département subit une occupation plus longue, même si la ville de Péronne n'est pas occupée d'août 1914 à septembre 1918, contrairement à ce que dit le reportage. En effet, le repli allemand sur la ligne Hindenburg, en mars 1917, libère Péronne et le reste du département occupé jusqu'à la nouvelle offensive allemande de mars 1918. L'occupation se fait donc en deux phases, de l'été 1914 au printemps 1917 puis du printemps à l'automne 1918.

Pour évoquer cette occupation, ce reportage, réalisé en 2006, se fonde sur le témoignage d'une centenaire, Renée Sorgius, qui avait neuf ans lors de l'invasion. Au début du XXIe siècle, des témoignages de personnes âgées qui avaient été enfants pendant la Grande Guerre ont été recueillis par des historiens, en particulier par Manon Pignot qui les utilisés pour son livre Allons enfants de la Patrie. Génération Grande Guerre (Seuil, 2012). Le reportage utilise également les cartes postales sur Péronne pendant l'occupation allemande éditées par le photographe de Péronne E. Souillard et des documents conservés dans les réserves de l'Historial de la Grande Guerre.

Ce film montre l'importance de la présence allemande : 20 hommes dans la ferme des parents de Renée Sorgius, 7000 hommes cantonnés en tout à Péronne en novembre 1914. Il met en valeur l'isolement du territoire occupé, coupé du reste de la France libre par un front qui représente une frontière étanche. La quasi impossibilité de correspondre interdit aux populations occupées de connaître le sort de leurs soldats partis en août 1914. La presse française est censurée. Cet isolement favorise la germanisation culturelle du territoire occupé. Le reportage insiste sur la Gazette des Ardennes. Imprimé à Charleville à partir de novembre 1914, diffusé dans l'ensemble du territoire occupé, ce journal de propagande, très anglophobe, est d'abord hebdomadaire, puis paraît plusieurs fois par semaine avant de devenir quotidien en janvier 1918. La croissance de sa diffusion — 4000 exemplaires lors du lancement du journal, entre 160 000 et 170 000 en 1917 —, s'explique en particulier par la publication de listes de noms de prisonniers de guerre en Allemagne, d'abord sous la forme d'un supplément, puis inséré dans le corps même du journal à partir du n°88. C'est par le biais de la Gazette que des Français peuvent avoir des nouvelles des leurs. Le reportage mentionne aussi la découverte par les occupés de la coutume du sapin de Noël, dont témoignent de nombreux journaux intimes rédigés par les occupés. On pourrait aussi citer comme indices la germanisation les noms allemands donnés à des rues dans la France occupée, l'instauration de l'heure allemande ou la célébration des victoires germaniques.

Le reportage précise également les modalités de la domination allemande. Une photographie montre que les femmes sont astreintes au travail forcé dans les champs. Il évoque également les pillages, particulièrement fréquents lors de la phase d'invasion, et les réquisitions. Celle du cuivre scandalise particulièrement les habitants, car les objets saisis sont transformés en munitions qui pourront tuer les leurs.

Si, par l'évocation des déportations en Allemagne d'habitants de la zone occupée, le reportage traduit bien la dureté de cette occupation, il donne, à juste titre, une vision nuancée des relations entre les occupants et les occupés. Une certaine détente, un certain accommodement apparaissent en effet au cours de la guerre. Des relations se nouent entre soldats allemands et enfants français, à Péronne comme dans l'ensemble du territoire occupé. Un témoin ardennais souligne pareillement les liens entre les soldats allemands et les enfants : "Exception faite des gendarmes et de tous ceux qui touchent à l'administration, ils s'adoucissent avec les enfants, leur donnent des friandises, caressent les plus petits plus d'une fois [...]. Ce sont naturellement les plus vieux, ceux que chez nous on appellerait les territoriaux ou la réserve qui songent à leurs propres enfants. Ils en montrent les photographies, nous disent leur âge, nous en font naturellement l'éloge, regrettent d'en être séparés et se demandent s'ils les reverront jamais. Il y en a un dont la peine nous touche malgré tout " (2).

De tels rapprochements scandalisent certains témoins. Un avocat parisien, surpris par l'invasion et ayant dû séjourner à Péronne jusqu'en juillet 1916 avant d'être évacué sur Hannapes (Aisne) s'indigne à son retour en France libre en janvier 1917 : "Aussi bien à Péronne qu'à Hannapes, l'invasion a été et restera une cause de démoralisation profonde pour le pays. L'habitant ayant vécu avec l'Allemand s'est accommodé à lui. A part la discipline à laquelle [elles] ne se plie[nt] que difficilement en raison du caractère français, les populations de Péronne et d'Hannapes se sont conformées à la nouvelle vie, paraissent s'en accommoder très bien, et vivent avec les Allemands comme si elles y avaient toujours vécu. Le père de famille est remplacé ; on fait ménage commun ; les soldats sont mal nourris et sentent la misère chez eux ; alors les habitants partagent leur nourriture avec les Allemands et même leur cèdent du riz et du lard pour envoyer à leurs familles" (3). Mais, neuf décennies plus tard, Renée Sorgius conserve surtout l'idée d'un malheur partagé.

(1) Voir Philippe Nivet, La France occupée, 1914-1918, Paris, Armand Colin, 2011.

(2) Occupations, Besatzungszeiten, Les Ardennes, Die Ardennen 1914-1918, Charleville-Mézières, Éditions Terres ardennaises, 2007, p. 173.

(3)Témoignage de Me Henri Lalle, avocat à la cour d'appel de Paris, chevalier de la Légion d'honneur, arrivé à Évian par convoi le 26 janvier 1917 (n° 626), AD Haute-Savoie 4 M 513.

Philippe Nivet

Transcription

Isabelle Rettig
Quand on évoque la Première Guerre mondiale, on pense d’abord aux souffrances endurées par les soldats. On pense moins souvent au sort réservé aux civils. Pourtant, ils n’ont pas été épargnés, surtout dans notre région qui fut en grande partie occupée et ce dès les premières semaines de la guerre. Marie Roussel et Christian Mirabeau ont choisi de nous relater la vie quotidienne à Péronne, une ville située dans la Somme au coeur des combats et occupée par les Allemands d’août 1914 à septembre 1918 à travers les souvenirs de Renée née en 1905 ou quand la petite histoire rejoint la grande.
(Musique)
Marie Roussel
Presqu’un siècle a passé et les souvenirs sont encore intacts. Le petit village de Maurepas, tout près de Péronne, à quelques kilomètres du front. La ferme familiale. Renée avait 9 ans en 1914.
Intervenant
Et le café d'Ablaincourt que tu parlais tout à l’heure, l’histoire de… Tu t’en souviens, de ça ?
Renée Sorgius
Bien sûr que je me souviens.
Marie Roussel
Sur ce documentaire, Renée découvre les uhlans tels qu’ils ont investi la région fin août 1914. On les disait cruels. Mais pour la petite fille, le premier contact avec l’occupant fut bien différent.
Renée Sorgius
Un jour, donc ma mère était dans la cour de la ferme, parce qu’on était cultivateurs. Et puis il y a un cheval avec un Allemand qui était monté, juste en face, bien entendu, puis il s’est approché de ma mère et puis moi en même temps puisque j’étais… Et il a dit : « Madame, j’ai soif. Vous voulez me donner à boire ? » Alors ma mère répond : « Oui, qu’est-ce que vous voulez boire ? De la bière ou du cidre ? », « Non, donnez-moi de la bière ». Alors elle lui verse donc un verre de bière. Buvez, madame. ... on l’a empoisonné, probablement. Il a bu et il est parti. Et je vous dirais que ce que j’ai vu tout à l’heure, c’est loin d’être ça.
Marie Roussel
A quelques kilomètres, pourtant, Péronne se germanise très vite. La ville devient une garnison bavaroise. Le général Von Xylander prend ses quartiers dans cet hôtel particulier toujours visible. Des commerçants allemands prennent possession des magasins. Pillages, déportations, réquisitions. Et chaque jour, sur la grand-place, le même rituel.
(Musique)
David Sousa (de)
Tous les jours, il y a ce concert qui est là, si vous voulez, pour inculquer en quelque sorte une petite partie de la culture allemande aux habitants de Péronne qui sont considérés comme des barbares, des sous-hommes. Et donc pour pouvoir les cultiver, c’est vrai que la musique vient… Les orchestres allemands peuvent être un moyen.
Marie Roussel
Comme chez eux. Les Allemands s’installent chez l’habitant, prennent le relai dans les fermes, mènent une vie presque normale.
(Musique)
Marie Roussel
Dans la ferme des parents de Renée, une vingtaine de soldats cantonnés en permanence. Ils apportent avec eux leurs coutumes comme celle, inconnue jusqu'alors, du sapin de Noël illuminé de bougies.
(Musique)
Renée Sorgius
Il était à peu près 1 heure du matin. « Ouh ! Il y a le feu ! » Ma mère a dit : « Vite ! Vite ! Il y a le feu ». On avait peur. Alors « Vite, le feu ! » Donc tout le monde se lève. Mais on regarde : c’était un petit sapin de Noël qui avait été mis par un Allemand sur l’appui de fenêtre avec du chocolat.
Marie Roussel
Des friandises pour une petite fille. Renée rappelait sans doute aux guerriers leurs propres enfants laissés en Allemagne.
Renée Sorgius
J’étais deux ans avec eux. Eh bien, c’était la vie de famille. Parce qu’il y en a un, un jour, il pleurait, [inaudible] d’ailleurs. Il dit : « Tu sais, Renée, moi, papa ». Il pleurait, et je pleurais avec lui. Et il voulait dire qu’il avait des enfants et que c’était malheureux d’avoir une guerre pour tuer, pour se battre, pour quoi ?
Marie Roussel
Des deux côtés, la séparation est déchirante. 4 années de guerre. Pour Renée et sa maman, 4 années sans nouvelles du père. En zone occupée, pas de courrier, pas de journaux à l’exception de la Gazette des Ardennes, une publication allemande très vite surnommée par les Péronnais la Menteuse des Ardennes. Résistance passive. Dans un premier temps, personne ne l’achète. Alors les Allemands imaginent un subterfuge : pour faire vendre, la Gazette se met à publier la liste des prisonniers en Allemagne.
Frédérick Hadley
La Gazette des Ardennes est publiée jusqu'à la fin de la guerre, et le tirage va croissant. Le premier numéro est tiré à 4000 exemplaires. En 1917, on est déjà à 175 000 exemplaires. On voit bien, là, le succès que ces listes ont auprès de la population.