La forêt privée du Nouvion-en-Thiérache
Notice
Reportage dans la forêt privée du Nouvion-en-Thiérache, dans l'Aisne, qui est gérée comme une entreprise grâce à l'exploitation du bois. Michel Martin, agent forestier de la Compagnie forestière, explique les nouveaux modes de gestion de la ressource. Amaury Loquez montre les différents modes d'exploitation suivant les essences : le bois le moins noble est destiné au chauffage domestique et vendu sur place, mais presque tous les beaux arbres partent à l'étranger, en Inde, gros demandeur, ou encore au Portugal pour la fabrication de manches d'outils.
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Éclairage
La forêt privée, qui représente 74 % de la surface forestière de la Picardie, joue un rôle essentiel dans la filière bois. La forêt du Nouvion-en-Thiérache (1451 ha) est située sur les plateaux limoneux entre la Sambre et l'Oise. Cette forêt appartenait sous l'Ancien Régime au prince de Condé. En 1830, elle passe à la famille d'Orléans, notamment au duc d'Aumale (1822-1897) et au comte de Paris, Henri d'Orléans (1908-1999). Elle est aujourd'hui gérée avec la forêt du Régnaval (1065 ha) par la Compagnie forestière du Nouvion.
Au XIXe siècle, ses peuplements sont encore tous traités en taillis sous futaie, pour produire essentiellement du bois de chauffage et du bois de feu pour l'industrie. Durant le premier conflit mondial, la forêt qui est située en zone d'occupation allemande fait l'objet de coupes fortes, qui conduisent à une importante décapitalisation. Les années qui suivent sont donc consacrées à la restauration des peuplements feuillus.
En 1963, le nouveau plan de gestion adopte une orientation productiviste, destinée à fournir un revenu rapide aux propriétaires. Typique des années soixante, ce plan conduit à replanter un tiers de la surface en résineux, notamment en épicéas, un tiers en peupliers, le dernier tiers restant traité en taillis sous futaie, en l'attente d'un changement ultérieur. Il prévoit l'homogénéisation des peuplements et la régénération artificielle par plantation, après coupe rase. Ce mode de gestion présente un rendement à court terme, mais il ne peut aboutir à la production de bois de qualité, et a des conséquences environnementales déplorables (destruction des habitats, réduction de la biodiversité, etc.).
Une orientation toute différente est prise en 1984 : la Sylviculture irrégulière et continue proche de la nature (SICPN) (1). Ce mode de gestion vise d'abord à supprimer toutes les coupes à blanc, pour passer à une futaie jardinée, de structure irrégulière. Cette structure est proche de celle rencontrée dans les forêts naturelles. On y trouve des arbres de tous les âges, la sénescence puis la mort des plus vieux spécimens produisant des trouées nécessaires aux régénérations. Cette méthode conduit aussi à abandonner les peuplements mono-spécifiques, en maintenant une diversité d'espèces bien adaptées à la station (2). En forêt du Nouvion, les parcelles présentent donc une grande diversité d'essences, avec notamment du chêne pédonculé, du frêne, de l'érable sycomore, du charme, du hêtre ou du merisier. Il convient enfin de maintenir des arbres âgés, morts, ou à cavités, pour garantir l'habitat de nombreuses espèces nécessaires au maintien des équilibres naturels.
En pratique, le forestier cherche à obtenir cette organisation par des opérations sylvicoles. Il passe dans les parcelles tous les 6 à 8 ans, pour effectuer des coupes légères qui ne prélèvent que 15 à 20 % du matériel sur pied. Ces coupes servent à la fois à mieux hiérarchiser les réserves, à récolter les bois murs, à éclaircir les peuplements et à ouvrir des clairières nécessaires aux régénérations naturelles. Avec cette méthode, le milieu n'est jamais fortement perturbé. Les espèces conservent leur habitat. Les sols, qui restent protégés par le couvert végétal, ne sont pas perturbés. En forêt du Nouvion, les sols limoneux sont riches, mais sont très sensibles aux processus érosifs comme aux remontées de la nappe phréatique, qui peuvent conduire à l'asphyxie des racines. Cette méthode réduit donc les possibilités d'engorgement et limite les risques d'érosion.
Ce mode de sylviculture nécessite un haut niveau de savoir-faire, mais il est économiquement rentable. En ne travaillant plus à l'échelle des parcelles, mais en raisonnant à l'échelle des arbres pris isolément, le forestier produit des bois d'excellente qualité, et de très haute valeur marchande (3). La forêt du Nouvion constitue une expérience originale, qui démontre que l'on peut gérer une forêt en conciliant la rentabilité économique avec les impératifs écologiques.
(1) voir le site Prosilva (consulté le 31/08/2013).
(2) Le terme de station désigne un terroir forestier présentant un climat, une topographie, un sol, une végétation spontanée, homogènes.
(3) Brice de Turckheim, "Sylviculture irrégulière et continue proche de la nature en forêt du Nouvion : principes, applications, résultats et perspectives", Forêt carrefour, forêt frontière : la forêt dans l'Aisne, sous la dir. de Jérôme Buridant, Langres : Guéniot, 2007, p. 49-56.