La forêt privée du Nouvion-en-Thiérache

28 octobre 2009
03m 02s
Réf. 00521

Notice

Résumé :

Reportage dans la forêt privée du Nouvion-en-Thiérache, dans l'Aisne, qui est gérée comme une entreprise grâce à l'exploitation du bois. Michel Martin, agent forestier de la Compagnie forestière, explique les nouveaux modes de gestion de la ressource. Amaury Loquez montre les différents modes d'exploitation suivant les essences : le bois le moins noble est destiné au chauffage domestique et vendu sur place, mais presque tous les beaux arbres partent à l'étranger, en Inde, gros demandeur, ou encore au Portugal pour la fabrication de manches d'outils.

Date de diffusion :
28 octobre 2009
Personnalité(s) :

Éclairage

La forêt privée, qui représente 74 % de la surface forestière de la Picardie, joue un rôle essentiel dans la filière bois. La forêt du Nouvion-en-Thiérache (1451 ha) est située sur les plateaux limoneux entre la Sambre et l'Oise. Cette forêt appartenait sous l'Ancien Régime au prince de Condé. En 1830, elle passe à la famille d'Orléans, notamment au duc d'Aumale (1822-1897) et au comte de Paris, Henri d'Orléans (1908-1999). Elle est aujourd'hui gérée avec la forêt du Régnaval (1065 ha) par la Compagnie forestière du Nouvion.

Au XIXe siècle, ses peuplements sont encore tous traités en taillis sous futaie, pour produire essentiellement du bois de chauffage et du bois de feu pour l'industrie. Durant le premier conflit mondial, la forêt qui est située en zone d'occupation allemande fait l'objet de coupes fortes, qui conduisent à une importante décapitalisation. Les années qui suivent sont donc consacrées à la restauration des peuplements feuillus.

En 1963, le nouveau plan de gestion adopte une orientation productiviste, destinée à fournir un revenu rapide aux propriétaires. Typique des années soixante, ce plan conduit à replanter un tiers de la surface en résineux, notamment en épicéas, un tiers en peupliers, le dernier tiers restant traité en taillis sous futaie, en l'attente d'un changement ultérieur. Il prévoit l'homogénéisation des peuplements et la régénération artificielle par plantation, après coupe rase. Ce mode de gestion présente un rendement à court terme, mais il ne peut aboutir à la production de bois de qualité, et a des conséquences environnementales déplorables (destruction des habitats, réduction de la biodiversité, etc.).

Une orientation toute différente est prise en 1984 : la Sylviculture irrégulière et continue proche de la nature (SICPN) (1). Ce mode de gestion vise d'abord à supprimer toutes les coupes à blanc, pour passer à une futaie jardinée, de structure irrégulière. Cette structure est proche de celle rencontrée dans les forêts naturelles. On y trouve des arbres de tous les âges, la sénescence puis la mort des plus vieux spécimens produisant des trouées nécessaires aux régénérations. Cette méthode conduit aussi à abandonner les peuplements mono-spécifiques, en maintenant une diversité d'espèces bien adaptées à la station (2). En forêt du Nouvion, les parcelles présentent donc une grande diversité d'essences, avec notamment du chêne pédonculé, du frêne, de l'érable sycomore, du charme, du hêtre ou du merisier. Il convient enfin de maintenir des arbres âgés, morts, ou à cavités, pour garantir l'habitat de nombreuses espèces nécessaires au maintien des équilibres naturels.

En pratique, le forestier cherche à obtenir cette organisation par des opérations sylvicoles. Il passe dans les parcelles tous les 6 à 8 ans, pour effectuer des coupes légères qui ne prélèvent que 15 à 20 % du matériel sur pied. Ces coupes servent à la fois à mieux hiérarchiser les réserves, à récolter les bois murs, à éclaircir les peuplements et à ouvrir des clairières nécessaires aux régénérations naturelles. Avec cette méthode, le milieu n'est jamais fortement perturbé. Les espèces conservent leur habitat. Les sols, qui restent protégés par le couvert végétal, ne sont pas perturbés. En forêt du Nouvion, les sols limoneux sont riches, mais sont très sensibles aux processus érosifs comme aux remontées de la nappe phréatique, qui peuvent conduire à l'asphyxie des racines. Cette méthode réduit donc les possibilités d'engorgement et limite les risques d'érosion.

Ce mode de sylviculture nécessite un haut niveau de savoir-faire, mais il est économiquement rentable. En ne travaillant plus à l'échelle des parcelles, mais en raisonnant à l'échelle des arbres pris isolément, le forestier produit des bois d'excellente qualité, et de très haute valeur marchande (3). La forêt du Nouvion constitue une expérience originale, qui démontre que l'on peut gérer une forêt en conciliant la rentabilité économique avec les impératifs écologiques.

(1) voir le site Prosilva (consulté le 31/08/2013).

(2) Le terme de station désigne un terroir forestier présentant un climat, une topographie, un sol, une végétation spontanée, homogènes.

(3) Brice de Turckheim, "Sylviculture irrégulière et continue proche de la nature en forêt du Nouvion : principes, applications, résultats et perspectives", Forêt carrefour, forêt frontière : la forêt dans l'Aisne, sous la dir. de Jérôme Buridant, Langres : Guéniot, 2007, p. 49-56.

Jérôme Buridant

Transcription

Virna Sacchi
Suite de nos balades en forêt dans les départements du Nord. Troisième étape, ce soir, la forêt du Nouvion-en-Thiérache, dans l’Aisne. 3000 hectares qui appartenaient au comte de Paris, le descendant des rois de France. Vendue depuis, cette forêt privée est gérée comme une entreprise grâce à l’exploitation de sa ressource, le bois. Jean-Louis Manand et Sébastien Gurak nous emmènent.
Jean-Louis Manand
Le château du Nouvion. Le comte de Paris, Henri d’Orléans, dernier descendant des rois de France y est né. Son souvenir et celui de sa famille sont encore présents dans la commune même si le château et sa forêt ont depuis longtemps changé de propriétaire. La forêt du Nouvion est donc privée. Défense d’entrée. C’est une entreprise. Les arbres, ici, c’est de l’argent.
Michel Martin
92 par 0 en destination charpente, et 2,50 mètres en palettes, bois de chauffage.
Jean-Louis Manand
Monsieur Martin, c’est bon ou ce n’est pas bon, ça, pour l’économie ?
Michel Martin
Pour l’économie, donc, le chêne que vous avez là, on va… La première bille, donc, de 10 mètres sur 92, on pense avoir 100-120 euros du m3. La partie inférieure, pour nous, le dé, c’est 32 euros le m3. C’est destiné au bois de chauffage.
Jean-Louis Manand
Une forêt, ça peut donc être rentable. Encore faut-il savoir l’exploiter. Au Nouvion, on ne coupe plus à ras de grandes parcelles qu’on replante ensuite. On gère quasiment arbre par arbre.
Michel Martin
On va enlever le charme et l’érable sycomore pour qu’il y ait un peu de lumière latérale. Il n’en faut pas beaucoup. Juste qu’il y ait un peu de lumière latérale pour qu’il puisse continuer de pousser.
Amaury Loquez
Bien sûr, il faut une gestion douce de la forêt pour ne pas perturber l’environnement et aussi pour un gain en qualité du bois. On regarde l’individu en lui-même et non pas l’ensemble de la parcelle. C'est-à-dire que chaque arbre est regardé attentivement et on regarde la qualité potentielle qu’il peut apporter pour le valoriser au mieux.
Jean-Louis Manand
Le bois le moins noble, comme ces stères destinés au chauffage domestique, est vendu sur place. Mais presque tous les beaux arbres de la forêt du Nouvion partent à l’étranger. L’industrie du bois en France est sur le déclin. La mondialisation, comme ailleurs, est passée par là.
Amaury Loquez
L’Inde nous achète des résineux pour faire un petit peu de construction dont ils ont besoin là-bas puisqu’ils sont en grand développement. On fait aussi des érables pour l’Inde et aussi quelques petits frênes de moins gros diamètre.
(Bruit)
Michel Martin
Donc celle-ci va partir sur le Portugal pour la manchisterie, donc les manches de bèches ou de pioches ou de marteaux.
Jean-Louis Manand
Donc c’est une forêt qui rapporte de l’argent ?
Michel Martin
C’est une forêt qui rapporte de l’argent.
Jean-Louis Manand
Même si la conjoncture n’est pas bonne ?
Michel Martin
Même si la conjoncture n’est bonne, on a quand même un revenu régulier pour le propriétaire.
Jean-Louis Manand
Voilà. On quitte le département de l’Aisne et la forêt du Nouvion sur ce qu’on appelle un arbre remarquable c'est-à-dire un arbre extraordinaire. Celui-là, par exemple, est très très vieux. Il a 5 siècles. Il aurait été planté très exactement en 1550. Demain, direction le département de l’Oise et la forêt de Compiègne. Et on ira justement à la découverte de ces arbres remarquables.