La fixation des dunes du Marquenterre par le boisement
Notice
Michel Jeanson, créateur du parc du Marquenterre, évoque le gros travail qu'il a fallu faire pour fixer des dunes et combattre le sable. Ce sont des milliers de pins laricio de Corse qui ont été plantés. Laurent Meurot, responsable commercial du domaine, explique comment est exploitée cette forêt.
Éclairage
Entre la baie d'Authie et la baie de Somme s'étend un vaste complexe de dunes littorales, longtemps très mobiles. Le système dunaire actuellement en place est relativement récent. Apportés par la mer, les sables sont poussés par les vents dominants à l'intérieur des terres, et remobilisés à l'occasion de chaque tempête. Le danger des sables est déjà sensible à la fin du Moyen Age. Ces dunes qui sont propriété seigneuriale jusqu'à la Révolution, servent de garennes à lapins. Les habitants des communes riveraines y possèdent aussi des droits d'usages, pour le parcours pour leurs troupeaux. L'absence ou l'altération du couvert végétal renforce alors la progression du sable à l'intérieur des terres. Derrière ces dunes, les bas champs, qui sont des terres basses conquises sur la mer et les mollières (marais littoraux), apparaissent menacés. Les villages de Saint-Quentin-en-Tourmont, Saint-Firmin et Rue voient aussi leur port ensablé, et les églises de Saint-Quentin seraient par deux fois recouvertes par les sables.
Les techniques de fixation des dunes littorales sont mises au point dès la fin du XVIIIe siècle dans les landes de Gascogne, par l'ingénieur des Ponts et Chaussées Nicolas Brémontier. En Picardie, le naturaliste abbevillois Jean-François Baillon est le premier promoteur de la plantation d'oyats sur les massifs dunaires. La fixation se fait en plusieurs étapes. Il convient d'abord de limiter la mobilité des sables par la mise en place de fascines (fagots de branchages) ou l'installation de ganivelles (canisses de châtaignier). La plantation d'oyats permet en second lieu de fixer les "dunes blanches". Résistante à l'ensablement, bien adaptée à la sécheresse, cette espèce herbacée présente un enracinement traçant particulièrement dense. Cette étape peut préparer le boisement, en conifères (pin maritime, pin laricio, pin noir d'Autriche) voire en feuillus sur les stations les moins sèches (érable sycomore, chêne pédonculé) (1). Sous le Second Empire et la Troisième République, les propriétaires privés soutenus par l'administration des Ponts et Chaussées, chargée de la défense contre la mer, commencent déjà à fixer leurs dunes sur tout le littoral de la Picardie à la Flandre maritime. Mais ces efforts sont en partie ruinés par les dégâts de lapins, puis par les coupes à blanc opérées durant la Seconde Guerre mondiale.
En Marquenterre, les dunes situées à la pointe de Saint-Quentin, à l'extrémité de la baie de Somme, sont rachetées en 1923 par l'industriel Henri Jeanson, pour en faire un terrain de chasse. Ce domaine d'un millier d'hectares est repris en 1938 par son petit-fils, Michel Jeanson. Il est à l'origine du Parc ornithologique du Marquenterre, créé en 1973, et du domaine de Marcanterra (2).
Après la guerre, Michel Jeanson se groupe avec les propriétaires de l'Authie à la Somme, pour former une association syndicale destinée au boisement des dunes littorales. Ce boisement est facilité par la régression des populations de lapins, suite à l'introduction en France de la myxomatose (1952). Le choix de plantation se porte sur le pin laricio de Corse, compte tenu des expériences menées sur les dunes entre Canche et Authie. Cette variété de pin noir est assez bien adaptée au climat picard, car elle exige une assez forte pluviométrie annuelle (plus de 800 mm de précipitations par an) tout en tolérant des sols secs et sableux. Avec un tronc élancé assez droit, le pin laricio fournit un bois d'assez belle qualité, qui peut servir en menuiserie, charpente ou piquets .
L'enrésinement des dunes littorales conduit en apparence à une homogénéisation des paysages et des habitats naturels. Mais la variété des reliefs, la répartition inégale des boisements, conduit au maintien d'une mosaïque de milieux, d'un grand intérêt patrimonial : pelouses pionnières des pannes, prairies humides dunaires, pelouses des dunes grises, fourrés à troène et à argousier...
(1) M. Dorly, J. Duval, "Les dunes littorales du Nord de la France", Revue forestière française, n° 31, 1979, p. 421-434.
Voir les sites du parc du Marquenterre et de Marcanterra (consultés le 29 novembre 2013).