La fixation des dunes du Marquenterre par le boisement

31 juillet 1993
03m 28s
Réf. 00529

Notice

Résumé :

Michel Jeanson, créateur du parc du Marquenterre, évoque le gros travail qu'il a fallu faire pour fixer des dunes et combattre le sable. Ce sont des milliers de pins laricio de Corse qui ont été plantés. Laurent Meurot, responsable commercial du domaine, explique comment est exploitée cette forêt.

Type de média :
Date de diffusion :
31 juillet 1993

Éclairage

Entre la baie d'Authie et la baie de Somme s'étend un vaste complexe de dunes littorales, longtemps très mobiles. Le système dunaire actuellement en place est relativement récent. Apportés par la mer, les sables sont poussés par les vents dominants à l'intérieur des terres, et remobilisés à l'occasion de chaque tempête. Le danger des sables est déjà sensible à la fin du Moyen Age. Ces dunes qui sont propriété seigneuriale jusqu'à la Révolution, servent de garennes à lapins. Les habitants des communes riveraines y possèdent aussi des droits d'usages, pour le parcours pour leurs troupeaux. L'absence ou l'altération du couvert végétal renforce alors la progression du sable à l'intérieur des terres. Derrière ces dunes, les bas champs, qui sont des terres basses conquises sur la mer et les mollières (marais littoraux), apparaissent menacés. Les villages de Saint-Quentin-en-Tourmont, Saint-Firmin et Rue voient aussi leur port ensablé, et les églises de Saint-Quentin seraient par deux fois recouvertes par les sables.

Les techniques de fixation des dunes littorales sont mises au point dès la fin du XVIIIe siècle dans les landes de Gascogne, par l'ingénieur des Ponts et Chaussées Nicolas Brémontier. En Picardie, le naturaliste abbevillois Jean-François Baillon est le premier promoteur de la plantation d'oyats sur les massifs dunaires. La fixation se fait en plusieurs étapes. Il convient d'abord de limiter la mobilité des sables par la mise en place de fascines (fagots de branchages) ou l'installation de ganivelles (canisses de châtaignier). La plantation d'oyats permet en second lieu de fixer les "dunes blanches". Résistante à l'ensablement, bien adaptée à la sécheresse, cette espèce herbacée présente un enracinement traçant particulièrement dense. Cette étape peut préparer le boisement, en conifères (pin maritime, pin laricio, pin noir d'Autriche) voire en feuillus sur les stations les moins sèches (érable sycomore, chêne pédonculé) (1). Sous le Second Empire et la Troisième République, les propriétaires privés soutenus par l'administration des Ponts et Chaussées, chargée de la défense contre la mer, commencent déjà à fixer leurs dunes sur tout le littoral de la Picardie à la Flandre maritime. Mais ces efforts sont en partie ruinés par les dégâts de lapins, puis par les coupes à blanc opérées durant la Seconde Guerre mondiale.

En Marquenterre, les dunes situées à la pointe de Saint-Quentin, à l'extrémité de la baie de Somme, sont rachetées en 1923 par l'industriel Henri Jeanson, pour en faire un terrain de chasse. Ce domaine d'un millier d'hectares est repris en 1938 par son petit-fils, Michel Jeanson. Il est à l'origine du Parc ornithologique du Marquenterre, créé en 1973, et du domaine de Marcanterra (2).

Après la guerre, Michel Jeanson se groupe avec les propriétaires de l'Authie à la Somme, pour former une association syndicale destinée au boisement des dunes littorales. Ce boisement est facilité par la régression des populations de lapins, suite à l'introduction en France de la myxomatose (1952). Le choix de plantation se porte sur le pin laricio de Corse, compte tenu des expériences menées sur les dunes entre Canche et Authie. Cette variété de pin noir est assez bien adaptée au climat picard, car elle exige une assez forte pluviométrie annuelle (plus de 800 mm de précipitations par an) tout en tolérant des sols secs et sableux. Avec un tronc élancé assez droit, le pin laricio fournit un bois d'assez belle qualité, qui peut servir en menuiserie, charpente ou piquets .

L'enrésinement des dunes littorales conduit en apparence à une homogénéisation des paysages et des habitats naturels. Mais la variété des reliefs, la répartition inégale des boisements, conduit au maintien d'une mosaïque de milieux, d'un grand intérêt patrimonial : pelouses pionnières des pannes, prairies humides dunaires, pelouses des dunes grises, fourrés à troène et à argousier...

(1) M. Dorly, J. Duval, "Les dunes littorales du Nord de la France", Revue forestière française, n° 31, 1979, p. 421-434.

Voir les sites du parc du Marquenterre et de Marcanterra (consultés le 29 novembre 2013).

Jérôme Buridant

Transcription

Jean-Marc Huguenin
Il y a deux siècles et demi, cette église était un phare et Saint-Firmin-lès-Crotoy un port. Dans cette région, l’homme a d’abord gagné des terres sur la mer en construisant des digues. Puis il a dû gérer et maîtriser ce sable envahissant qui menaçait les cultures des bas champs.
(Bruit)
Jean-Marc Huguenin
Une maîtrise et une gestion de ce milieu qui a véritablement démarré après la Seconde Guerre mondiale dans le domaine du Marquenterre sous l’impulsion de Michel Jeanson.
(Bruit)
Michel Jeanson
Je sais que le sable sur les dunes, eh bien, il court. Quand il y a des tempêtes, vous avez le sable qui… On ne le voit presque pas mais il s’accumule petit à petit et ça inonde complètement l’arrière-pays. Nous avions une église, au XVIIe siècle, qui a été complètement ensablée. Il a fallu la reconstruire au bout du village pour être sûr qu’elle ne le soit pas. C’est un pays… Mon grand-père avait acheté ces dunes sur un coup de tête. C’était une folie. C’était une folie. Il l’a fait, d’ailleurs, à l’insu de ma grand-mère. Ma grand-mère… Il a fallu qu’il se fasse pardonner après.
(Bruit)
Jean-Marc Huguenin
C’est à partir de 1947 que commencent les grands travaux de fixation des dunes. Un travail de titan sur plusieurs milliers d’hectares avec des plantations d’oyats et de pins.
Michel Jeanson
Il y avait 2600 hectares de dunes entre la Somme et l'Authie. Toutes les dunes de la Somme, c’était 2600 hectares. On a fait l’association syndicale dont je me suis occupé comme président, si vous voulez, pendant 25 ans, et on a fixé les dunes. Les ouvriers, heureusement, à cette époque-là, il y avait beaucoup plus de possibilités qu’aujourd'hui. Et on a fixé les dunes. On a planté des oyats, on a planté des grandes dunes voisines avec de la paille. Et puis alors, à la suite de la fixation, alors, on a planté la forêt. Le pin laricio de Corse qui est vraiment l’essence vraiment que j’avais étudiée et tout ça. J’avais été voir en forêt du Touquet tout ce qui se faisait avant nous. Eh bien, c’était le laricio de Corse qu’il fallait planter. Mais ça a transformé le pays. On a planté 1 million et demi d’arbres.
(Bruit)
Jean-Marc Huguenin
Une forêt d’un million et demi d’arbres qu’il faut gérer aujourd'hui dans le cadre des activités sylvicoles du parc.
Laurent Meurot
La forêt de pin laricio est actuellement dans une phase de gestion rigoureuse qui passe par des éclaircies et des élagages importants. Donc au niveau de ces… Il faut savoir que c’est absolument indispensable de gérer une forêt. Une forêt qui n’est pas gérée court à sa perte. Ne pas gérer viendrait à condamner la forêt à terme. Si on n’intervient pas, les arbres continuent à pousser en hauteur. Et au bout d’un certain moment, ils vont se déstabiliser et à la première tempête venue, ils vont tomber pour la plupart. On essaie de tirer au maximum parti de ce bois qui est présent ici en essayant en tout cas de tirer un petit revenu, en tout cas, de réaliser ce qu’on appelle une opération blanche avec les éclaircies, c'est-à-dire de rentrer tout juste dans notre argent en réalisant avec les petits arbres donc des rondins, des rondins qui peuvent être traités pour ensuite servir à constituer des piquets de clôture ou des palissades. Et également, donc, avec les arbres un peu plus gros, en réalisant des sciages afin de faire des petits mobiliers tels que cette table ou différents petits bancs qu’on a mis en place progressivement.