Les frères Le Nain à Bourguignon

08 juin 1982
02m 40s
Réf. 00728

Notice

Résumé :

Évocation à travers l'œuvre des frères Le Nain, originaires de Bourguignon, un village à quelques kilomètres de Laon.

Type de média :
Date de diffusion :
08 juin 1982
Source :

Éclairage

C'est un autre artiste natif de Laon, l'écrivain Champfleury (1821-1889) ami de Victor Hugo et de Gustave Flaubert qui devait tirer de l'oubli ce trio de peintres originaires de la même ville que lui. Il le fit au nom du réalisme, qu'il professait en littérature et lui fit co-fonder la revue Le Réalisme. Admirant en peinture son contemporain Gustave Courbet, la filiation avec les Le Nain était doublement évidente pour ce Laonnais. On ne connaît pas les dates de naissance distinctes des trois frères, Antoine, Louis et Mathieu, fils d'un sergent royal du bailliage de Vermandois. On ne connaît pas non plus le nom du maître auprès duquel ils apprirent leur art. Un peintre flamand ? Ce ne serait pas impossible, voyant l'affinité de leur art avec les descendants de Brueghel par exemple, les Teniers. Ce que l'on sait c'est qu'ils sont à Paris à partir de 1629 et qu'ils répondent à des commandes officielles, Antoine devenant même Maître auprès de la Ville de Paris. Ce sont des artistes connus qui, pour deux d'entre eux Antoine et Louis, ont la malchance de mourir au moment qu'ils entraient à l'Académie royale en 1648. Une exposition importante leur a été consacrée au Grand Palais à Paris d'octobre 1978 à Janvier 1979, le catalogue en étant confié au spécialiste Jacques Thuillier (1). Deux aspects de leur travail, au moins, les rendent originaux. D'une part, ils signent leurs tableaux du seul et même nom Le Nain, sans faire référence à leurs prénoms. Ils professent un travail collectif, par conséquent, qui n'aura cependant pas empêché les spécialistes modernes de différencier le style de chacun. D'autre part ils prennent pour sujet de leurs tableaux les plus réussis, les plus émouvants, les paysans. En tant que tel, leur travail constitue un document passionnant sur la société des années de transition de la Régence, entre les règnes de Louis XIII et Louis XIV dites aussi années de la Fronde. À examiner leurs toiles les plus connues, le Repas des Paysans, Paysans devant leurs maisons, La forge on décèle une grande sobriété des conduites. Dans le Repas des Paysans, trois hommes en sarrau de drap redondant, pieds nus sur le pavé pour l'un des trois, boivent un verre de vin rouge clair, un panier de pain coupé reposant sur un coin de la table, dans l'ombre. Un esprit de communion préside, par lointaine évocation, à leur réunion. Cependant leurs regards ne sont pas accordés, déviant soit vers l'extérieur soit vers l'intérieur. Leur immobilité assise leur donne une dignité antique tout en les chargeant d'une puissance de révolte. Ce sont sans doute des vignerons que les trois frères côtoyèrent dans cette ville glorieusement vinicole que fut longtemps Laon (jusqu'à la crise du phylloxera) ou dans les vendangeoirs du village de Bourguignon-sous-Montbavin où la famille Le Nain possédait une maison. Laon, longtemps ville vigneronne, connut de nombreuses et sanglantes révoltes au cours de son histoire. Le vin échauffe les têtes et si placides paraissent-ils, on imagine ces paysans des Le Nain se lever un jour de leur chaise, pour de bon.

(1) On pourra consulter, outre le catalogue de Jacques Thuillier, l'article dû à Pierre Lefèvre, ancien bibliothécaire de Laon, "Les frères Le Nain et le Laonnois", Fédération des Sociétés d''histoire et d'archéologie de l'Aisne, 1980, accessible sur internet

sur le site de la Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie de l'Aisne.

Jacques Darras

Transcription

Vincent Fernand
En fait, les frères Le Nain ne sont pas nés ici mais à Laon distant de quelques kilomètres. Quant à leur date de naissance, elles sont très incertaines. Et si l’on parvient à établir l’ordre d’âge d’Antoine, Louis et Mathieu, il y avait deux autres frères avant eux. Rien, jusqu'à présent. Oui, les registres paroissiaux ont été détruits par les guerres. Rien n’a permis de confirmer les dates qui avaient été avancées avec certitude au siècle dernier. Question. Il en est de même pour l’attribution des toiles. Et prudemment, on dit, aujourd'hui, collectivement les frères Le Nain. Autre question. Mais on a de bonne raisons de penser qu’ils sont nés tous trois entre 1600 et 1610 dans une famille de Laon devenue bourgeoise par le mariage de leur père Isaac Le Nain et possédant de famille quelques terres et vignes à Bourguignon. Car il y avait des vignobles autour de Laon à cette époque. Et jusqu'au début du XXe siècle. Ce qui explique avec grande vraisemblance les nombreux verres de vin présents dans les mains des paysans pauvres peints par les Le Nain.
(Musique)
Vincent Fernand
De même, on retrouve fréquemment des instruments de musique sous les doigts des petits paysans. Autre caractéristique de ces tableaux. La musique est présente souvent. Image d’une douceur de vivre ou de l’oubli, du refuge ?
(Musique)
Vincent Fernand
Ceux-là, bien sûr, ne sont pas des paysans. Les frères Le Nain, il ne faut pas l’oublier, ont été des peintres de cour assez cotés sans doute. Ils ont vécu à Paris à partir de 1629, après avoir reçu, à Laon, l’enseignement ou les conseils d’un peintre dont le nom et le renom demeurent, aujourd'hui encore, un point d’interrogation. Ils reçoivent des commandes officielles : le portrait de la municipalité de Paris, le décor de la chapelle de la Vierge au couvent des Petits Augustins. On parle d’eux. On écrit sur eux. Ainsi, Nicolas D’Ubaye ou Scudéry. Et ils entrent à l’Académie royale dès sa fondation en 1648. C’est seulement à partir de 1641 que l’on trouve date et signature Le Nain sans aucun prénom. Portrait de groupe, étude de lumière, effet de tissus et de broderies. Souvent la sobriété. La rigueur de fond neutre. Et surtout, les regards. A qui appartiennent ces regards ? Question. Ces fillettes graves surprises dans leur ronde, nul ne saura jamais qui elles sont.