Bicentenaire de la mort de Quentin de La Tour au musée Lecuyer de Saint-Quentin
Notice
A Saint-Quentin on célèbre le bicentenaire de la mort de Quentin de La Tour au musée Lecuyer où une exposition lui est consacrée. Christine Debrie, conservateur évoque le peintre portraitiste de la Cour, et pastelliste de renom.
- Europe > France > Picardie > Aisne > Saint-Quentin
Éclairage
Rendre visite au Musée Antoine Lécuyer à Saint-Quentin pour y admirer les pastels de Maurice Quentin de La Tour est une expérience fastueuse. Le reportage diffusé par la télévision en 1988 à l'occasion du bicentenaire du peintre n'en restitue malheureusement pas tout à fait la saveur. Il faut aller se rendre compte soi-même sur place, dans la ville où est né le peintre, combien Quentin de La Tour fut un artiste de génie. Exerçant son art, le pastel, pendant toute la durée du XVIIIe siècle jusqu'aux portes mêmes de la Révolution, La Tour aura laissé les témoignages les plus brillants, les plus lumineux sur son siècle justement appelé "Siècle des Lumières". Car La Tour travaille la lumière, à même la lumière, pour mettre en lumière les sujets qu'il peint. C'est un portraitiste qui se fait rapidement connaître des milieux intellectuels mais aussi de la Cour de Louis XV, en réalisant le portrait de Voltaire en 1735. Immédiatement, le monde s'ouvre à lui. Il est agréé par l'Académie Royale de peinture et sculpture deux ans plus tard, reçu à l'Académie en 1746, nommé peintre du roi en 1750, Conseiller à l'Académie l'année suivante, il expose à tous les Salons jusqu'en 1773 et aura un appartement au Louvre dès 1745. Soit l'image même de la réussite officielle puisque sa réputation dépasse les limites nationales et vient à la connaissance du grand peintre et graveur anglais Hogarth. Comment en est-il arrivé là ? Fils d'un chantre de Saint-Quentin, il quitte sa ville à quinze ans tout juste, entre en apprentissage chez le graveur Tardieu avant de rejoindre l'atelier de Louis de Boullogne puis celui du peintre Dupouch auprès duquel il passera un contrat de six ans. C'est bien évidemment son talent de dessinateur précis et vif ainsi que sa maîtrise de la couleur, les roses, les bleu, les blancs dans l'expression de la texture faciale qui font reconnaître très vite son originalité. Ce qu'il sait restituer à merveille c'est le mouvement dans l'expression. Selon ses propres termes il s'agit de savoir "faire tourner une tête et circuler l'air entre la figure et le fond". D'où la nécessité d'un long travail préparatoire, sous forme d'une succession d'esquisses et de croquis effectués à la craie le plus souvent, comme la recherche du cadrage juste dans un rapport équilibré d'ombre et de lumière. La Tour est un tel perfectionniste de son art, qu'on semble lui avoir pardonné les outrances de sa personnalité. Son goût de l'argent pour commencer. Ainsi demande-t-il quarante huit mille livres pour le portrait de la Marquise de Pompadour. Sa vanité, par ailleurs, comme si le fait de faire poser pour modèles philosophes et savants (Voltaire, Rousseau, d'Alembert etc...), lui avait donné le droit de s'exprimer librement sur tout. Ici cependant, la prudence s'impose. Qui sait si le pastelliste n'aurait-pas plutôt fait preuve d'un grand esprit de liberté, trop direct et trop franc pour ses contemporains ? On ne peut s'empêcher en effet de voir se refléter, sur ses autoportraits, un esprit grandissant de rébellion, depuis le classique Autoportrait au jabot de dentelle en passant par l'Autoportrait à la toque, où l'artiste semble s'être peint en valet de comédie (Sganarelle ou Figaro), jusqu'au carrément désinvolte Autoportrait à l'index ou l'auteur qui rit pour en venir enfin à l'ultime et émouvant autoportrait où l'on voit le pastelliste vieillissant, pas encore sénile certes, mais rides au front, cheveu dégarni, poil de la barbe envahissant la joue. Il rit, cependant, La Tour rira jusqu'à la fin. Il y a quelque chose d'un personnage mozartien en lui. Il rit, tout en faisant place aux émotions nobles. Ainsi avant même de s'y retirer, rejoint par l'âge, a-t-il eu soin de doter sa ville, Saint-Quentin, d'institutions charitables ainsi que d'une école de dessin (1782). Mais ce qui retient l'attention, parcourant les salles du Musée Lécuyer, à deux siècles de distance, c'est l'extraordinaire leçon de vitalité et de vivacité que le portraitiste nous a légués. Comment s'étonner que son plus grand admirateur ait été son voisin du Cateau Cambrésis, le presque picard Matisse. Il y a de la joie chez eux tous, comme chez La Fontaine ou même Claudel. Faudra-t-il un jour définir la Picardie comme terre joyeuse par excellence ?