Le tournage de la "Belle et la Bête" au château de Raray
Notice
Jean Cocteau découvrit en 1945 le château de Raray dans l'Oise, il y tourna toutes les scènes extérieures de La Belle et la Bête. Rencontre avec Yves de La Bédoyère qui, à l'époque, était un petit garçon qui vivait dans le château, et qui se souvient des conditions exceptionnelles de ce tournage.
Éclairage
Ce reportage est diffusée le 11/10/2003, à l'occasion du 40ème anniversaire de la mort du poète.
La Belle et la Bête est le premier long-métrage "classique" de Jean Cocteau. Auparavant, il a réalisé en 1930 le film surréaliste Le Sang du poète. Puis il délaisse le cinéma au profit du théâtre et de la poésie pour y revenir pendant la guerre, en étant notamment scénariste de L'Eternel Retour de Jean Delannoy qui appartient à la même veine de films que La Belle et la Bête. En effet, le genre fantastique français se développe à partir de 1940 : c'est une façon pour les cinéastes de s'évader de la réalité de l'Occupation (Les Visiteurs du soir de Marcel Carné est emblématique de cette tendance).
Fait rare en France en 1945, La Belle et la Bête est en partie tourné en extérieur dans le manoir de Rochecorbon (en Vallée de la Loire, du 27 août au 12 septembre 1945) et dans le parc de Raray (près de Senlis, du 21 au 28 septembre 1945). Les intérieurs sont filmés dans les studios d'Epinay-sur-Seine et de Saint-Maurice, dans une période extrêmement difficile. Aux coupures d'électricité fréquentes, s'ajoute la maladie de Cocteau qui le contraint à une hospitalisation de trois semaines qui interrompt le tournage du film. Celui-ci sera achevé en janvier 1946.
A cette époque, l'Oise n'est pas encore la terre de tournage que l'on connaît aujourd'hui, tout simplement parce que les moyens techniques rendaient le tournage en extérieur difficile. Depuis, cette région est particulièrement appréciée pour les films historiques. A proximité des studios parisiens, il propose de nombreux châteaux et la ville de Senlis est particulièrement connue pour ses ruelles médiévales, places, monuments historiques et hôtels particuliers.
Pour revenir à l'histoire du film, il faut noter le rôle de Pagnol, associé au projet au moment où Gaumont envisageait de le produire (André Paulvé sera finalement le producteur du film). C'est lui qui convainc le cinéaste de ne pas représenter la Bête sous la forme d'un animal à cornes comme le relate Cocteau dans son journal : "La bête, dit-il, ne doit pas être un herbivore, mais un carnivore. Un cerf n'effraie personne. On le tue. Un lion, un tigre, peuvent effrayer le marchand et sa fille". C'est lui aussi qui propose à Cocteau que sa compagne, Josette Day (qui a tant impressionné le petit garçon Yves de la Bédoyère, au moment du tournage), interprète le rôle de la Belle.
Le journaliste explique bien ce qui séduit Cocteau à Raray : le château et le parc ont souffert de la guerre et ne sont plus entretenus : "Fantomatique, envoûtant, le réalisateur tient son château des mystères...". Cocteau l'écrit aussi dans son journal "A Raray la singularité des angles s'impose. C'est la Bête et c'est Raray, le parc le plus bizarre de France."
Les quelques jours de tournage seront difficiles. Là aussi, le journal témoigne : "J'ai tourné sous la pluie, sans lumières, avec des torches, du magnésium et les fumées anglaises. Raray est dans la boîte. Je me suis acharné contre des circonstances désastreuses et j'ai voulu, coûte que coûte, faire surgir cette beauté accidentelle que j'aime."
Le film est un succès. Classé 16ème du box-office en 1946 avec 3,8 millions d'entrées, il reçoit le prix Louis Delluc. Il continue de poursuivre sa carrière sur les écrans au gré de ses restaurations. En 1995, le travail de restauration est confié à Henri Alekan. Ce dernier était le remarquable chef opérateur du film. L'architecture d'ombres et de lumière qu'il a construite a su répondre aux attentes de Jean Cocteau, opposant le réel (la vie dure de la Belle sous l'influence visuelle du Vermeer) et le merveilleux (le château, sous l'influence visuelle de Gustave Doré), pour faire de ce film l'un des plus grands de l'histoire du cinéma. Plus récemment, en 2013, le film a fait l'objet d'un nouveau travail de restauration exceptionnel.
AvecPeau d'Âne également tourné en Picardie, Jacques Demy rendra un très bel hommage au travail de Jean Cocteau.
Bibliographie :
AZOURY Philippe et LALANNE Jean-Marc, Cocteau et le Cinéma. Désordres, Editions Cahiers du Cinéma / Editions Centre Pompidou, Paris, 2003.
COCTEAU Jean, La Belle et la Bête, journal d'un film, Edition du Rocher, Monaco, 1958.