L'industrie du textile à Tarare

05 octobre 1976
04m 42s
Réf. 00003

Notice

Résumé :

Tarare, dont l'industrie est essentiellement basée sur le textile, subit la crise. Une des solutions serait de diversifier l'activité afin de pallier au problème du chômage.

Date de diffusion :
05 octobre 1976
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Éclairage

Ce reportage s'intéresse particulièrement à l'industrie textile de la ville et de la zone d'emploi de Tarare (12 045 habitants en 1975, 10 869 habitants en 2009) située à 40 km à l'ouest de Lyon et 42 km au sud-est de Roanne, au confluent de deux rivières, la Turdine et le Taret. Si le lin et le chanvre y sont tissés dès le XVIe siècle pour le marché local mais aussi pour le Proche-Orient, c'est à la fin du XVIIIe siècle que l'agglomération prend son essor, lorsque Claude Marie Simonet (1749 - 1822) réalise le projet de son oncle Georges-Antoine Simonet (1710-1778) et fonde la première fabrique de toile de coton légère, fine et peu serrée : la mousseline. Les établissements, généralement de taille modeste, se multiplient, des entreprises de blanchiement et d'apprêt sont créées et complètent la filière. La ville se développe au cours du XIXe siècle (apogée de 15 092 habitants en 1866) parallèlement à l'accroissement de la demande de textiles ; la qualité des mousselines tissées à Tarare, primées aux Expositions universelles, leur ouvre un marché européen jusque dans les années 1860. La concurrence étrangère, notamment anglaise (le traité de libre-échange signé avec le Royaume-Uni en 1860 décuple l'entrée de cotonnades anglaises en France) provoque la diversification de la production : plumetis, mousseline brodée de petits pois en relief et organdi, mousseline apprêtée utilisées pour l'habillement ; tarlatanne, mousseline très aérée et apprêtée employée pour les patrons de vêtements, les parementures et le renfort en général, de reliure comme de toile à peindre ou encore singalette, mousseline aérée employée pour la gaze à pansement. Cependant, si l'industrie textile occupe la quasi totalité de la main-d'oeuvre locale, la mousseline n'est pas l'unique production de Tarare. La relative proximité de Lyon, la présence d'énergie hydraulique et de main-d'oeuvre ont attiré les industriels lyonnais de la soierie : Gubian ouvre la voie de la fabrication de velours et peluche en 1836, suivi en 1843 par Jean-Baptiste Martin qui installe une vaste usine-pensionnat comprenant un moulinage et un tissage.

Comme souvent, c'est au moment où la mousseline, toile de coton, n'est plus tissée à Tarare que la ville l'institue en objet patrimonial : en 1955, la fête des mousselines est instaurée dans son rythme quinquénnal. La production de voile d'ameublement, qui a peu à peu supplanté la production destinée à l'habillement, avait adopté la rayonne (fibre artificielle) dès la fin des années 1920 puis employé massivement le Tergal (fibre synthétique polyester), produit à partir de 1954 par la Rhodiacéta. Tarare devient ainsi la capitale du voile Tergal, assurant 80% de la production nationale et 78% de la production mondiale. Son leadership cependant, comme il l'a été pour la mousseline, reste fragile ; si l'industrie locale excelle dans la mise au point de nouvelles fabrications, elle peine rapidement à lutter contre les productions étrangères, moins onéreuses et les industriels, viscéralement individualistes, tardent à s'unir pour protéger leur fabrication (marque « Plein Jour »). La décolonisation a fermé les marchés des traditionnels voiles d'Algérie et dans les années 1970 commence une période de déclin que la conversion réussie d'une entreprise appartenant à une activité annexe ne parvient pas à enrayer. En effet, en 1936, le groupe Hippolyte Champier reprend la BAT (Blanchiment et apprêts de Tarare) et s'oriente vers l'enduction sur tissu ; en 1948, il dépose la marque Taraflex pour une gamme de revêtements de sols techniques qui, outre la Marine et la SNCF, équipent les salles de sport, emportant le marché des revêtements des terrains de volley-ball et hand-ball pour les jeux olympiques de Montréal (1976). En proie à des difficultés économiques, Champier vend Taraflex au groupe Gerflor en 1978.

Le reportage, diffusé en 1976, propose une vision argumentée et volontiers critique de la situation du textile à Tarare. Il rend compte de l'état d'une économie marquée par la monoactivité textile qui s'appliquerait aussi bien à d'autres petites villes proches (Cours, Thizy, Amplepuis voire, plus à l'est, Vienne) frappées de plein fouet par la crise générale liée au premier choc pétrolier et à l'augmentation de l'inflation, confrontées à la réduction des exportations et à l'affaissement du marché intérieur. Les interviews croisées, exceptée la première, apparemment celle d'un syndicaliste, montrent que Tarare vit encore sur le modèle industriel du XIXe siècle où les entreprises sont dirigées par un patronnat familial qui détient l'ensemble du capital. Investissant dans les périodes fastes, essentiellement routiniers la plupart du temps et vivant dans l'illusion d'une gloire pourtant révolue, les industriels assistent aux mutations économiques et sociales en spectateurs, prompts à attribuer leurs difficultés aux malheurs du temps, à la fatalité qui joue contre leur industrie ou à l'impéritie des politiques gouvernementales. En 2007 ne subsistent dans le canton de Tarare que quelques entreprises textiles occupant à peine plus de 750 salariés.

Florence Charpigny

Transcription

Journaliste
L’ouest lyonnais est d’abord malade du textile et la crise qui vient de secouer le groupe Champier à Tarare où 600 salariés risquaient d’être licenciés, n’a servi que de révélateur à un mal plus profond, endémique et qui couvait depuis des années. C’est celui qui menace tout le système économique établi sur une mono industrie. Comme la prospérité de la région de Tarare reposait uniquement sur le textile, tout a fort bien marché tant que le textile n’a pas connu de difficultés. Au premier signe de crise, la région a montré sa vulnérabilité, en dix ans, une trentaine d’usines ont fermé leurs portes.
Intervenant 1
Depuis des années, c’est dans le textile qu’on voit les industries disparaître les unes après les autres. Et disons que le textile, il faut dire les choses comme elles sont, représentait plus de 80% disons, de l’activité dans la région. On a favorisé les concentrations et partant de là, des régions comme nous ont été complètement abandonnées, délestées. Premièrement donc, par rapport à la politique telle qu’elle a été menée. Mais je pense aussi deuxièmement, il faut peut-être aussi reconnaître qu'à un certain moment, les industriels ici se sont trouvés très bien parce que ça marchait bien et qu’à un certain moment, et bien, ils ont peut-être pensé d’abord à leurs biens personnels avant de penser à restructurer leurs entreprises et je pense que là aussi, bon il y a certainement ce problème: il est posé.
Journaliste
Effectivement, un certain patronat casanier, sans imagination et conservateur porte une lourde responsabilité dans la crise actuelle. Le remède, d’abord une réforme des mentalités.
Intervenant 2
Sortir de cette industrie qui est incontestablement trop monolithique, ce n’est pas si facile que ça en a l’air au premier abord. Il faut donc réunir un certain nombre de conditions. Evidemment c’est le lot, la fonction et le devoir des industriels en place mais il faut aussi réunir un certain nombre de critères qui à mon avis passent par d’abord des équipes nouvelles, plus jeunes, des locaux différents et une administration différente de celle de l’entreprise qui veut faire cette diversification. Et à mon avis, c’est là l’essentiel d’une réussite parce qu’il faut rompre le charme avec les habitudes anciennes pour ne pas dire passées.
Journaliste
Près de 50% des actifs travaillent encore dans le textile, le textile qui a perdu 2 000 emplois sur 2 ans. Comme seuls 20% de ces chômeurs ont pu retrouver du travail, cela a provoqué l’exode vers Lyon, en particulier parmi les jeunes qui trouvent difficilement sur place un emploi qui corresponde à leur qualification. C’est la fameuse dévitalisation de l’ouest lyonnais. Les difficultés ont tout de même provoqué une réflexion salutaire, maintenant on cherche à diversifier l’industrie en s’inspirant de réussites comme Taraflex, ou alors en cherchant un faisceau de petites industries.
Intervenant 3
Personnellement, ce que j’ai demandé et ce que je souhaite, c’est qu’il y ait une diversification. Je ne demande pas à ce que des entreprises importantes viennent s’implanter dans la région car lorsque l’on dit entreprises importantes, on dit entreprises nationales, même multinationales. Cela veut dire parfois au bout de quelques années restructuration. Je veux simplement qu’il y ait des moyennes et petites entreprises de sous-traitance qui permettent d’assurer une diversité et un emploi convenable pour les gens qui veulent rester dans cette région.
Journaliste
Il existe des entreprises qui ont su se développer à partir d’industries traditionnelles de l’ouest lyonnais. C’est le cas de la matelasserie qui se sert de la technique de l’effiloché utilisée dans la couverture. Dans une certaine mesure, ces industries dynamiques pourraient ici apporter des solutions aux problèmes de l’emploi. Elles pourraient embaucher mais leurs dirigeants ne le veulent pas, ils expliquent leur réticence.
Intervenant 4
Elle provient peut-être du climat général politique en France. Il y a, il faut le reconnaître, disons une certaine morosité qui n’incite pas l’industriel à se développer d’une façon inconsidérée. Et puis il y a un certain nombre de lois sociales qui sont aussi un frein à l’expansionnisme sans conditions. Les lois sociales qui sont logiques en elles-mêmes font un petit peu peur aux industriels. Il n’est pas possible comme dans le temps de faire une sélection du personnel. C’est l’ensemble de ces considérations qui font que l’industriel a peut-être une certaine crainte. Donc c’est la crainte un petit peu de l’avenir, et c’est la crainte de…
Journaliste
D’avoir les mains liées ?
Intervenant 4
D’avoir un petit peu les mains liées, il faut dire le mot.
Journaliste
La mono-industrie explique indéniablement les difficultés de l’ouest lyonnais, ce n’est pas la seule explication car la région souffre aussi d’un manque de concertation entre ses villes. Elles jouent leurs particularismes au lieu de l’unité, ce sera le second volet de ce reportage.