La soierie à Jujurieux
Notice
Au XIXème siècle, des entrepreneurs de la soierie se sont installés à Jujurieux et y ont développé cette industrie. L'un d'entre eux, Claude-Joseph Bonnet, originaire du lieu, en a fait la richesse.
- Rhône-Alpes > Ain > Jujurieux
Éclairage
L'émission de FR3 du 31 août 1981, dans la série « L'été chez vous à .. » commence par une vision de l'un des 13 châteaux de Jujurieux (dans l'Ain). Si le plus ancien, celui de Chenavel date du Moyen Âge, et celui des Échelles de la Renaissance, la plupart ont été construits dans la seconde moitié du XIXe siècle : ils sont appelés « châteaux de l'industrie » et appartiennent à des entrepreneurs lyonnais de la soierie le plus souvent liés à la famille de Claude-Joseph Bonnet. Dès le début du reportage, le journaliste fait appel au spécialiste de l'histoire de Jujurieux, l'historien Henri Pansu qui a écrit plusieurs livres sur celui qui a fait la fortune du village. Originaire de Jujurieux, dont son père est maire pendant la Révolution, Claude-Joseph Bonnet (1786-1867) après des études avec un précepteur, a été mis en apprentissage à 15 ans chez un fabricant d'étoffes à Lyon. Il fonde en 1810 sa propre maison de soieries qui devient « l'une des plus importantes de la place ». Après les révoltes des canuts lyonnais de 1831 et 1834, il installe en 1835 à Jujurieux une manufacture (de filature, moulinage et tissage de la soie). Son usine est aussi une usine-internat pour les jeunes ouvrières venues des campagnes proches (le Bugey) ou plus lointaines (Ardèche, Savoie, Val d'Aoste et Piémont en Italie). Le pensionnat appelé « le Ménage » est encadré par des religieuses de Saint-Joseph et subsiste jusqu'en 1945. À côté des bâtiments industriels construits progressivement, on trouve une chapelle (desservie par un aumônier) et un réfectoire. Ce modèle d'usine-pensionnat va s'étendre jusqu'à la guerre de 1914-1918 dans tout le sud-est de la France. Claude-Joseph Bonnet est un patron autoritaire et paternaliste, confit en dévotion. Catholique fervent, travaillant jusqu'à sa mort à 91 ans, il n'hésite cependant pas à se plaindre des bonnes sœurs qui incitent ses ouvrières à prendre le voile. En 1863, éclate un vif incident parce que les sœurs sont pressées d'envoyer à leur noviciat les meilleures ouvrières et Bonnet, au plus fort de la querelle, écrit : « Si les sœurs ont pour mission de recruter des sujets pour Saint-Joseph, nous n'avons pas la même, nous avons à nous préoccuper de veiller aux besoins de notre nombreux personnel et aussi de faire que ce grand établissement ne soit pas pour notre maison de Lyon une cause de désastre ».
À la mort du fondateur, l'entreprise familiale qui emploie 1200 personnes à Jujurieux et dans les alentours - dont 550 ouvrières internes - est gérée par ses petits-fils qui, en 1887, font ériger son buste dans la cour de l'usine. Devenue société anonyme en 1911, l'entreprise garde son nom jusqu'à la fermeture définitive en 2001.
Les trois étapes de la production de la soie – tirer la soie du cocon dans « l'étouffoir », torsion du fil et tissage ont été modernisés par l'introduction de la machine à vapeur dans la première moitié du XIXe siècle. Dévidoirs, ourdissoirs et métiers Jacquard – que l'on voit sur les cartes postales anciennes - ont été installés dans de grands ateliers ou usines avec de hautes fenêtres pour laisser entrer la lumière. La matière première pouvait venir de très loin, de Chine par exemple. Le travail dans les entreprises textiles fait partie d'un cycle de vie féminin. La mécanisation du textile favorise le recrutement de très jeunes filles (moins payées) dans les usines textiles. La machine en divisant le travail le rend plus facile avec moins de force musculaire nécessaire et permet l'utilisation des capacités féminines et de qualités qualifiées de « naturelles » (précision, minutie, soin). Les hommes s'occupent de la teinture et de la finition ; ils assurent aussi l'entretien des machines et l'encadrement. Dans les usines Bonnet à Lyon et à Jujurieux, les jeunes filles entrent très jeunes autour de 12 ans et y restent jusqu'à leur mariage. L'entreprise paie peu ses ouvrières-pensionnaires, mais celles-ci dépensent également peu et se constituent ainsi un pécule qui constitue leur dot. Les parents sont contents de voir leurs filles « tenues ».
Les journées de travail sont longues de 5H du matin à 19H30 sous la direction des religieuses qui encadrent les jeunes filles. L'usine est très hiérarchisée. La production est organisée par les chefs d'ateliers et les contremaîtresses. Les sœurs s'occupent plus spécialement du pensionnat et des exercices spirituels. Elles passent aussi dans les ateliers pour s'assurer que tout est en ordre. Pendant des décennies, la vie de la commune et des environs a été réglée par le son de la cloche de la chapelle, puis de la sirène.
La production de la soierie est fortement touchée par la crise des années 1930, mais il subsiste une production de luxe d'étoffes de soie et de velours façonnés destinés à l'exportation, ainsi qu'une production plus courante de la maille.
Une réduction tardive mais brutale des personnels salariés par la maison Bonnet, a lieu en 1964. Les établissements « Les Petits-Fils de C.J. Bonnet » n'occupent plus à cette date que 58 personnes. C'est l'une d'elles que l'on voit chanter devant son métier dans le reportage de 1981. Ce chant paraît d'autant plus forcé que le bruit des métiers ne permet ordinairement guère d'entendre les paroles. Ce sont des métiers Jacquard reconnaissables à leur hauteur et aux cartes perforées qui guident les fils de soie pour tisser les dessins sur l'étoffe.
Vingt ans plus tard a lieu le dépôt de bilan en 2001. L'usine est ensuite devenue propriété publique du Conseil général de l'Ain qui a acquis la totalité des collections pour garantir la préservation des fonds, assurer leur restauration et proposer leur mise en valeur sur les lieux-mêmes. L'organisation industrielle, sociale et religieuse est devenu un projet patrimonial à destination de tous les publics.
Bibliographie :
- Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet ; Soierie et société à Lyon et en Bugey au XIXe siècle, Lyon, Imprimeur Tixier, tome 1, 2003 ; tome 2, 2011.