Le facteur Cheval
Notice
Un buste a été inauguré en l'honneur du facteur Cheval et les PTT ont réalisé un timbre original dont la représentation est son palais idéal. Ce dernier, situé à Hauterives, se détériore, en partie sous l'effet de l'érosion.
Éclairage
Un long et patient travail d'édification rongé à grande vitesse par l'érosion ? C'est la crainte mise en lumière par ce reportage du JT de France 3 tourné le 2 août 1984 pour l'inauguration du buste du facteur Cheval à l'occasion du 60e anniversaire de sa mort.
En 1879, Ferdinand Cheval, employé des postes depuis douze ans, met la première pierre à son « Palais idéal » dans la petite commune d'Hauterives, en pays drômois. L'homme a 43 ans ; il a fait plusieurs métiers (boulanger, ouvrier agricole...) avant de devenir facteur. C'est au cours de ses longues tournées, 32 km journaliers à pied, par tous les temps, qu'il repère les pierres, molasses aux formes poétiques, grès arrondis, tufs ou porphyres rouges, revient les ramasser le soir ou tôt le matin avec sa brouette et les entasse dans son jardin. Il s'attèle alors à son « temple de la Nature », fruit de rêves féériques, de croyances paysannes et de lecture : celle des revues qu'il transporte dans sa besace, la Revue illustrée, le Magasin pittoresque ou la Veillée des Chaumières, où il découvre les premiers reportages illustrés sur les curiosités d'Orient et d'Asie. Car, à l'époque, l'expansion coloniale donne à voir à la métropole les peuples et les cultures du monde entier. Pendant 33 ans, Ferdinand assemble au mortier de chaux et au ciment ses pierres, coquillages et galets, élève des statues géantes – les gardiens du Temple –, que l'on dirait sorties tout droit de l'île de Pâques, construit un temple égyptien, un chalet suisse, une mosquée ou encore un temple hindou, le tout agrémenté de grottes et de cascades ornées d'un bestiaire impressionnant. Dans ces différents édifices, tout comme dans les sentences et maximes partout présentes, se fait jour la pensée universaliste du facteur, qui unit les religions et les cultures des cinq continents. Mais aussi sa mégalomanie. N'ira-t-il pas, tel un pharaon, jusqu'à se construire son propre tombeau, qu'il voulait au départ au sein de son palais... et que la municipalité l'obligera à bâtir plus loin, dans le cimetière ?
Moqué par ses voisins, Cheval sera salué par André Breton, chef de file des surréalistes, qui dédie un poème au Palais idéal, et par Jean Dubuffet qui voit en lui un pionnier de l'art brut. Malraux, en dépit des avis très négatifs de son ministère (« un affligeant ramassis d'insanités »), décidera de classer le « Palais idéal » en 1969 comme seul exemple d'architecture naïve.
S'il échappe au temps, ne s'inscrivant dans aucun courant artistique, le palais du Facteur Cheval n'en subit pas moins les outrages. Il s'émousse, s'arrondit, s'érode. 60 ans après la mort de son créateur, le chef-d'œuvre en péril, usé par les eaux de pluie, le ruissellement, le gel et le nombre croisant de visiteurs, a dû être sérieusement restauré (il aura fallu dix ans de travaux, achevés en 1993). Depuis, il est sous surveillance, entretenu chaque année par un atelier spécialisé. Cela a pour l'instant évité de le mettre sous cloche, comme le suggérait la personne interviewée dans le reportage.