Pierre Soulages au sujet de la reprographie artistique

20 octobre 1992
01m 50s
Réf. 00020

Notice

Résumé :

Pierre Soulages est l'invité de Michel Field dans sa toute jeune émission Le cercle de minuit sur France 2. Durant cet entretien le peintre émet des réserves sur la pertinence de la reprographie des œuvres en publication artistique.

Type de média :
Date de diffusion :
20 octobre 1992
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Éclairage

L'émission Le cercle de minuit, débutée le 7 septembre 1992 sur France 2, proposait quotidiennement et en direct l'essentiel de l'actualité artistique et culturelle du moment. Pierre Soulages fut un des premiers invités de Michel Field, son présentateur. Ce document permet de cerner l'ambiance qui régnait sur ce plateau mais aussi et surtout la manière dont Pierre Soulages aime mener ses entretiens. La méthode d'interview de Michel Field reste très ouverte et l'artiste en profite pour l'emmener vers un sujet qui lui tient à cœur : celui de la reprographie artistique.

De son point de vue, bien souvent les reproductions en catalogue desservent les œuvres d'art ainsi que les amateurs de ce type de tirage. La reproduction biaise parfois la notion de format, de rapport à l'œuvre, de lumière et dans le pire des cas de couleur et de contraste. La réflexion que mène Pierre Soulages dans ce document démontre son profond intérêt pour la présentation et l'appréhension de ses œuvres par le spectateur. En effet, les œuvres de Pierre Soulages possèdent la particularité de s'activer par la présence du regardeur, par ses mouvements dans l‘espace autour et face à elles et par l'expérience sensible qu'il peut faire de leur matérialité. La reproduction brute des œuvres de Soulages annihile donc toute expérimentation sensorielle du spectateur.

Dépendant de la société de l'image, de la communication et de la mondialisation de l'information et de la donnée, Pierre Soulages comme bien d'autres artistes a dû innover pour communiquer autour de son travail et protéger ses œuvres de toute mésinterprétation induite par une reproduction biaisée. Afin d'éviter cet écueil, Pierre Soulages a eu la volonté dès les années 1960 de présenter ses œuvres au sein même des espaces d'expositions qu'il a lui-même conçus pour les mettre en valeur. Ses peintures sont donc le plus souvent possible photographiées sur cimaises ou sur câbles, de biais, frontalement, ou dans une appréhension plus globale de l'espace d'exposition. Selon Pierre Soulages, c'est la seule et unique manière de restituer la plasticité de l'œuvre, d'en imposer la matérialité au regardeur d'une image.

Léa Salvador

Transcription

Michel Field
Vous êtes un peu sévère avec le livre d’art. Vous dites que quelquefois, ça a une fonction dissuasive. C'est-à-dire que les gens sont très contents d’avoir des reproductions chez eux et ils ne vont plus au musée.
Pierre Soulages
C’est exact. On a l’impression qu’ils ont vu. Et dans un livre d’art, d’abord, il y a la réduction. Un tableau est toujours réduit. Dans un livre d’art, on voit aussi bien… pratiquement sur la même dimension, le… le Véronèse, Les Noces de Cana et un Vermeer de Delft. Et pourtant, c’est très loin d’avoir la même dimension. Et à peu de choses près, c’est la même chose dans un livre d’art. D’abord. Ensuite, dans le livre d’art, ou bien on coupe dans la peinture - alors si c’est un détail, ça va. Mais on ne peut pas toujours faire ça. Et d’ailleurs, ce n’est pas souhaitable - ou bien alors, on voit la peinture avec la marge blanche qu’il y a autour. C’est un blanc qui est faux. C’est le blanc concret du papier. Et sur ce blanc concret, il y a la reproduction. D’ailleurs, c’est pour cette raison que, dans les années 60, j’avais demandé qu’on ne photographie pas mes toiles mais qu’on photographie les murs sur lesquels se trouvaient mes toiles. C’est un catalogue qui, d’ailleurs, a surpris à l’époque. Et depuis, il y a pas mal d’artistes qui ont compris l’intérêt de cette façon.
Michel Field
C’était la volonté de ne pas couper la toile de son contexte qui lui donne son sens ?
Pierre Soulages
Oui, et puis de faire comprendre qu’il s’agissait d’une chose concrète, d’un objet, d’une chose avec son épaisseur, avec l’ombre qu’elle fait sur le mur, avec la chose qu’on peut prendre à la main, ou du moins, que l’on peut… Ça restitue aussi une échelle. Enfin, je trouvais que c’était moins terrible que ces reproductions auxquelles nous sommes habitués et, qu’au fond, on devrait refuser. Parce que je les trouve… Elles transforment par trop ce qu’est réellement la peinture.