Pierre Soulages parle de son rythme de création

24 décembre 1967
03m 52s
Réf. 00004

Notice

Résumé :

Pierre Soulages parle de son rythme de création. Il évoque les périodes où tout ce qu'il fait est mauvais. C'est souvent le cas quand il rentre de voyage.

Type de média :
Date de diffusion :
24 décembre 1967
Source :

Transcription

Jean-Claude Bringuier
Est-ce que tu travailles toujours vite ?
(Silence)
Pierre Soulages
Ça dépend ce que tu entends par travailler vite. Oui, il y a des tableaux qui se font… Il y a des toiles que je termine dans l’après-midi, dans les 2 heures. Et puis il y en a d’autres, comme ça, qui durent, qui continuent pendant des jours. Et puis quelquefois, ça n’aboutit à rien.
Jean-Claude Bringuier
Souvent ?
Pierre Soulages
Ça arrive. Ça arrive. Ça dépend des périodes.
Jean-Claude Bringuier
Quand ça n’aboutit à rien, qu’est-ce que tu fais ?
Pierre Soulages
Quand ça n’aboutit à rien, je les brûle. Je ne les brûle pas tout de suite. J’attends d’en avoir un certain nombre. Et puis je vais à la campagne et je fais un grand feu. Mais il y a des périodes où ça va très mal, où tout ce que je fais aboutit à… enfin, se termine dans… se termine dans ce feu. Quelquefois, 80 % de ce que je fais. Quelquefois, tout ce que je fais pendant une certaine période. Et d’autrefois, alors, j’ai plus de chance. Et ça, je ne sais pas pourquoi.
Jean-Claude Bringuier
Tu ne sais pas ?
Pierre Soulages
Non. Et au fond, je n’ai jamais su pourquoi.
Jean-Claude Bringuier
Quand ça marchait, quand ça marchait pas.
Pierre Soulages
Et en général, ça arrive quand même… ça arrive assez souvent quand je n’ai pas peint de quelque temps, quand je rentre de voyage. Alors je me mets au travail et puis ça marche rarement comme ça.
Jean-Claude Bringuier
Ça traîne ?
Pierre Soulages
Ça ne traîne pas. Je crois que ça va trop vite peut-être même. Et je pense que… enfin, c’est une explication que je me donne, que j’ai trouvé, mais je ne sais pas si c’est vrai ou si c’est la bonne. Mais quand je suis en voyage, bien sûr, je pense toujours à la peinture. Et c’est toujours très mauvais de penser à la peinture quand on n’a pas un pinceau et des couleurs à la main. Et alors quand on arrive, quand on rentre de voyage, qu’on le veuille ou non, même quand on veut l’oublier, il semble que… enfin, même si je veux l’oublier, je tiens compte, je crois, de ce à quoi j’ai pensé pendant tout le temps que j’étais en voyage. Et ça intervient dans ce que je fais. Ça embrouille ce que je suis en train de vivre avec les couleurs et la toile et le pinceau à la main, et ça débouche sur des toiles ratées, très souvent.
Jean-Claude Bringuier
Et quand ça dure, comme ça, un certain temps, les périodes… pas d’échec mais enfin, de…
Pierre Soulages
Si d’échec.
Jean-Claude Bringuier
De mauvaise production, ce n’est pas paniquant à force ?
Pierre Soulages
Si, mais tu sais… Voilà c'est là où… C’est paniquant. Mais chaque fois qu’on commence une toile et que la toile commence à se développer, on croit que ça y est, quoi. Seulement…
Jean-Claude Bringuier
On croit que celle-là, c’est la bonne ?
Pierre Soulages
On croit que ça y est, que ça va faire une toile. Et puis, évidemment, c’est la catastrophe quelquefois. Mais ça n’empêche pas l’envie de recommencer. Enfin, pour l’instant.