Voeux pour l'année 1961

31 décembre 1960
12m 30s
Réf. 00069

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle présente aux Français ses voeux pour l'année 1961, année qu'il envisage avec confiance malgré les temps troublés. Il souhaite que tous les Français profitent du progrès économique et social. A l'extérieur, il critique l'attitude de l'URSS "colonisatrice" et "agitatrice", et formule de grandes ambitions pour l'Europe. Il évoque ensuite la question algérienne, et demande aux Français, appellés à voter par référendum le 8 janvier, d'approuver le principe de l'autodétermination. Il laisse planer la menace de son départ en cas de réponse "négative ou confuse", et appelle à un "oui franc et massif".

Type de média :
Date de diffusion :
31 décembre 1960

Éclairage

Le 31 décembre 1960, le général de Gaulle présente ses voeux aux Français ; il l'avait fait pour la première fois, le 1er janvier 1960.

L'un des thèmes principaux de cette allocution est l'appel que lance le Général à un " oui franc et massif " au très prochain référendum en faveur de l'autodétermination de l'Algérie (le 8 janvier). Car 1961 doit être "l'année de la paix " et le pari est risqué. En effet, début décembre, le voyage en Algérie a tourné au drame : acclamé par les Musulmans, vilipendé par les Européens, des heurts sanglants et mortels se produisent. Mais, à une semaine du référendum, le chef de l'État déclare que " c'est là la seule solution valable ". Il avertit qu'en cas de résultat négatif, il serait contraint de se retirer.

Réalisant ensuite le bilan de l'année 1960, il commence par saluer la stabilité des institutions ; il rappelle ensuite le formidable développement économique et social vers lequel la France s'achemine (le plan Pinay-Rueff qui a permis un assainissement financier, la création du nouveau Franc le 1er janvier, le IIIe Plan intérimaire pour 1960-1961). Il évoque aussi " l'extérieur " et le rôle que la France est appelée à y jouer, et tout d'abord avec les pays de la Communauté : conformément à la loi constitutionnelle de juin 1960, tous les Etats africains liés à la France ont proclamé leur indépendance. Pour ceux restés au sein de la Communauté, il promet une " coopération amicale et féconde ".

Il formule ensuite de violentes critiques à l'encontre de l'URSS : si les premiers mois de l'année sont marqués par un rapprochement (la non-condamnation de la première explosion nucléaire française à Reggane en janvier, la visite de Khrouchtchev en mars), à partir de mai, la situation se dégrade (l'échec de la conférence de Paris en raison de l'affaire de l'avion-espion américain abattu sur le territoire de l'URSS, la crise américano-cubaine, l'infiltration soviétique au Laos et au Congo belge). Surtout, ce que de Gaulle ne tolère pas, ce sont les attaques formulées par le biais de l'ONU sur la politique algérienne de la France. D'ailleurs, un mois plus tôt, il avait mis en garde contre les dangers d'une " Algérie soviétique ".

Pour s'émanciper des encombrantes superpuissances, de Gaulle mise sur la construction européenne et affirme l'un des objectifs pour 1961 : " construire l'Europe " afin qu'elle devienne " la plus grande puissance ". Deux semaines après cette allocution, la seconde étape de la construction du Marché commun sera amorcée, grâce à l'accord des Six sur la politique agricole commune (PAC).

Aude Vassallo

Transcription

Charles de Gaulle
Françaises, Français ! Je souhaite en notre nom à tous une bonne année à la France. Je le fais en toute confiance, non point que 1961 doive être une année sans épreuve, au contraire, rien n'annonce qu'elle se passera dans la quiétude, mais si l'univers est troublé, la France, elle, ne l'est pas. Solide, laborieuse, cohérente, je crois que jamais, en dépit des difficultés, elle ne fut plus capable de saisir ses propres chances et d'être utile aux hommes et à la paix. Un grand peuple, pour avancer, va forcément pas à pas, et à travers beaucoup d'obstacles, mais l'essentiel est qu'il marche vers un but bien défini et qu'il suive constamment sa ligne. C'est notre cas et nous avançons. Aussi notre pays, moi compris, va-t-il commencer l'année avec l'esprit d'entreprise et rempli de sérénité. A l'intérieur, grâce à des institutions rendues plus stables et plus efficaces et sur la base de l'équilibre bien établi de nos finances, de nos échanges, de notre monnaie, nous poursuivrons le vaste développement scientifique, technique, scolaire, économique dans lequel nous nous sommes engagés qui est le chemin de la prospérité, du rayonnement, de la puissance et qui ouvre la carrière à une jeunesse multipliée. Mais tout comme cela s'est passé en 1960, il s'agit qu'une élévation du niveau de vie de tous corresponde à cet accroissement de l'activité du pays. Dans le courant de 1961, ce doit être le cas notamment pour les jeunes familles et pour les vieilles gens. En même temps, il nous faut continuer à baisser les barrières qui séparent les catégories sociales. Chances égales donnée aux jeunes, par l'enseignement commun, Promotion plus ouverte au long de l'échelle de la société, participation accrue des travailleurs à la marche des entreprises, accession plus large des organisations du travail et de la technique aux responsabilités régionale et nationale de l'économie française. Tel est notre but et c'est ce que nous voulons, c'est en finir avec les séquelles périmées de la lutte des classes d'autrefois, c'est intéresser au développement du pays, tout ceux qui y contribuent et c'est accélérer le progrès par cet engagement général. Au dehors, nous sommes confrontés avec les grands problèmes qui dominent l'univers, mais sans nous laisser troubler par les tumultes que cultivent tel ambitieux ou tel démagogue. C'est ainsi que nous tenons pour naturel et en soi pour souhaitable et pour salutaire, le grand mouvement qui emporte nombre de peuple d'Asie, d'Afrique, d'Amérique en retard sur notre siècle vers l'affranchissement et vers le développement. C'est de tout coeur qu'aujourd'hui, nous adressons nos souhaits aux jeunes républiques africaines et à la république malgache qui, venant de l'union française, pratiquent avec nous en toute indépendance une coopération féconde et amicale. Nous ne confondons nullement cet élan vers la liberté avec la xénophobie où se ruent les dirigeants de certains autres Etats nouveaux dépassés par la charge qu'ils doivent assumer. Nous espérons fermement que chez tous ces peuples, l'ordre et le progrès s'instaureront en définitive, malgré l'empire soviétique qui non content de coloniser 40 millions de musulmans asiates et caucasiens, et d'asservir une bonne douzaine de peuples qui lui sont complètement étrangers, encourage et exploite toutes les secousses pour prendre pied dans les pays troublés. Nous ne nous laisserons pas paralyser par cette odieuse agitation. Nous ferons donc en 1961 ce que nous avons à faire, aider à construire l'Europe qui, en confédérant ses nations, peut et doit être pour le bien des hommes la plus grande puissance politique, économique, militaire et culturelle qui ait jamais existé. Aider cette Europe rassemblée et l'Amérique sa fille, à réorganiser leur alliance, de manière à mieux défendre le monde libre et à agir en commun par toute la terre. Aider à acquérir la libre de disposition d'eux-mêmes, ceux, les peuples qui y aspirent et notamment ceux qui sont courbés sous le joug totalitaire. Aider à prendre leur part du progrès ceux qui en sont écartés. Aider l'Ouest et l'Est à en venir à la détente et au désarmement, pour peu que l'empire soviétique cesse de manier les torches incendiaires, tout en lançant pour la montre des vols de colombes épouvantées. Pour l'Algérie, nous voulons que 1961 soit l'année de la paix rétablie afin que les populations puissent décider librement de leur destin et pour que naisse l'Algérie algérienne. A cette Algérie-là qui se gouvernera elle-même qui fera leurs parts et garantira leurs droits aux diverses communautés et qui sera unie à la France dans les domaines où celle-ci peut l'aider, nous offrons d'avance notre concours pour son développement, compte tenu non point des mythes, des regrets, des rancunes mais des facteurs réels du problème, c'est là la solution valable. Et j'invite en particulier la communauté de souche française d'Algérie, à se débarrasser décidément des troubles et des chimères qui la couperaient de la nation. Et, non seulement à admettre ce que le pays va décider mais en faire son affaire, à saisir la chance nouvelle qui est offerte à sa valeur et à son énergie, car l'Algérie a besoin de la communauté française et la France a besoin d'elle. En Algérie, bien entendu, quoi qu'il arrive, la France protégera ses enfants, dans leur personne et dans leurs biens, quelle que soit leur origine, tout comme elle sauvegardera les intérêts qui sont les siens. Françaises, Français, je vous le demande, donnez au projet qui vous est soumis une approbation immense. D'abord parce que c'est le bon sens, mais aussi pour cette raison que l'enjeu dépasse de beaucoup les préférences théoriques, les intérêts particuliers, les attachements partisans et que jamais ne fut plus nécessaire notre cohésion nationale. Car s'il devait arriver par malheur que la réponse du pays fut ou négative ou indécise, en raison d'une faible majorité ou marquée par beaucoup d'absention, quelle conséquence résulterait de cette impuissance et de cette division ! Quelle excitation en recevrait les chercheurs d'aventure d'une part et, d'autre part les tenants de la subversion ? Quel prurit agiterait les clans du doute, de la hargne, du dénigrement en Algérie ? De quel découragement seraient saisis les raisonnables, de quel impulsion les furieux, dans le monde, quelle conclusion désastreuse en serait tirée quand à la capacité de la France, d'assumer la responsabilité des affaires qui la concerne, et à moi-même, vous le savez bien quel coup serait ainsi porté m'empêchant de poursuivre ma tâche. Françaises, Français, au contraire que le référendum soit positif et soit éclatant ! Voilà la nation, son gouvernement, son parlement, son administration, son armée bien fixée sur la route à suivre et sur le but à atteindre. Voilà les Algériens bien éclairés sur leur destin, voilà l'étranger bien prévenu que la France sait ce qu'elle veut et me voilà, moi-même, raffermi et plus fort pour être le guide de la France et pour élargir la porte de la paix et de la raison Françaises, Français, aujourd'hui tous ensemble, nous offrons nos voeux à la France. Le 8 Janvier, nous lui offrirons le oui franc et massif de notre espoir et de notre foi. Vive la République ! Vive la France.