Stage de provençal pour les instituteurs

Enseigner les langues régionales ? Les premières demandes datent de la fin du XIXe siècle, portées notamment, au niveau occitan par le Félibrige. Les travaux des universitaires Philippe Martel, Yan Lespoux ou Michel Lafon font état des diverses étapes de cette lutte longtemps demeurée sans réel effet sur le terrain, peut-être parce qu’elle n’était pas portée par une demande sociale assez forte : lorsque la langue était encore majoritairement parlée dans les populations, les locuteurs ne voyaient pas l’intérêt d’enseigner une langue connue. Par ailleurs, ayant été très souvent victimes du mépris institutionnel et des sanctions appliquées aux usagers du « patois » à l’école, ils avaient intégré cette honte et ne voulaient pas l’imposer à leurs enfants.

La demande d’enseignement que l’on constate à présent a deux raisons : la disparition des locuteurs « naturels » fait percevoir comme imminente la mort de la langue, parallèlement au fait que s’éloigne le souvenir des stigmates de la minoration.

Dans les années 1970, les effectifs d’élèves étudiants les langues régionales s’envolent et justifient, comme pour les autres enseignements, la mise en place des formations des maîtres : formation à la langue pour ceux qui n’en ont pas une connaissance suffisante, mais aussi formation à la pédagogie de son enseignement. Cette formation peut être initiale, et s’effectuer avant que les futurs maîtres n’aient réussi leur concours, ou bien « continue », c’est-à-dire s’adresser à des maîtres déjà en poste. La formation continue des maîtres, financée par l’Éducation nationale, est une pratique courante, nécessaire à la mise à jour des connaissances et des compétences. Elle a peu à peu intégré les langues régionales, dès lors que les textes en ont inclus l’enseignement dans les cursus. En réalité, les premières formations ont été militantes, organisées, parfois avec l’assentiment des autorités académiques, par les associations : Lou Prouvençau a l’escolo, Lo Calen de Marseille, ou la section pédagogique de l’IEO dont Hélène Gracia a été l’une des animatrices essentielles pour le Languedoc. Par la suite les écoles occitanes d’été, dont le public est largement formé d’enseignants, seront aussi des lieux de formation continue.



Le film n’aborde pas ici la question des pratiques pédagogiques en matière d’enseignement du provençal, il se concentre sur les compétences linguistiques des enseignants qu’il s’agit essentiellement de conforter : comme le dit le maître formateur, tous les maîtres originaires du sud ont déjà des connaissances linguistiques. Lucien Gaillard, un des protagonistes du film, présenté comme conseiller pédagogique, explique la valeur du provençal, langue à part entière, langue de culture, langue littéraire qui permet aussi d’accéder à l’étude du milieu. Tous arguments « classiques ». Au XXIème siècle, l’argumentaire intégrera aussi l’intérêt intrinsèque du bilinguisme ou la formation à l’altérité et à la citoyenneté.

Notons l’éclectisme des références : si l’outil utilisé (le manuel Lou Prouvençau a l’escolo) et la graphie visible sur le tableau appartiennent à la mouvance mistralienne, la présence d’une affiche « Occitan langue nationale », qui se réfère à une campagne de l’Institut d’études occitanes (1977-1978), ainsi que celle d’un disque de la chanteuse Nicòla, montre une ouverture sur l’occitanisme. Cet œcuménisme est toujours de mise dans l’AELOC (association des enseignants de langue d’oc), association membre de la Fédération des enseignants de langue et culture d’oc pour l’académie d’Aix.

Lucien Gaillard (1914-1990), présenté comme conseiller pédagogique, est un historien provençal, de tradition mistralienne, et d’esprit très ouvert, auteur de nombreux ouvrages sur la Provence, ami du fondateur du Calen, le poète et militant Jòrgi Reboul.