La salsa, Willie Colon
Notice
Bernard Lavilliers nous entraîne à la découverte de la Salsa à New York. Interview du musicien Willie Colon à propos de ses origines et qui qualifie New York de "La Mecque du son tropical" . Bernard Lavilliers dans un bar du quartier porto-ricain compose, à la guitare, un air de salsa. Des séquences de danses dans les discothèques illustrent le reportage.
Éclairage
Même si une grande partie de ses rythmes est d'origine cubaine, c'est essentiellement dans le mouvement de circulation artistique qui relie New York et Porto Rico que l'émergence de la Salsa a trouvé sa source au cours des années 1960 et 1970. Ce style musical est en effet issu de la rencontre à New York, plus précisément dans les quartiers à majorité portoricaine de Spanish Harlem, des polyrythmies caribéennes et du Jazz nord-américain.
Cette rencontre avait déjà été, plus tôt dans le siècle, à l'origine d'une grande diversité de manifestations musicales, parmi lesquelles on peut mentionner : le Latin Jazz créé au début de la décennie 1940 par les Cubains Machito et Mario Bauza ; le Cubop né quelques années plus tard de la rencontre du trompettiste new-yorkais Dizzie Gilespie et du percussionniste cubain Chano Pozo ; ou encore le Mambo où s'illustrèrent au cours des années 1950, sur les scènes du fameux dancing Palladium Ballroom, les orchestres du Cubain Machito et des Portoricains Tite Puente et Tito Rodriguez.
Après le déclin du Mambo au milieu des années 1960, toute une nouvelle génération de jeunes musiciens installés à New York, en majorité portoricains ou d'ascendance portoricaine, vont rénover le latin Sound par l'apport de sonorités venues de la musique urbaine nord-américaine moderne : Rock, Pop, Funk, Rythm'n Blues. Ils nous donneront ainsi, dans un premier temps, le Boogaloo, suivi très rapidement par la Salsa. Une musique dont l'apparition est d'ailleurs également largement due aux initiatives de producteurs et d'animateurs issus des communautés juives et italiennes, comme Jerry Massucci, Ralph Mercado ou «Issy» Sanabria, témoignant ainsi d'un nouvel élargissement de l'horizon des métissages ethno-musicaux qui ont historiquement constitué l'un des principaux ressorts de la vitalité et du renouvellement constant de la musique caribéenne.
Citons les noms de quelques-uns de ces musiciens inventeurs de la Salsa : Cheo Feliciano, Willy Colon, Johnny Colon, Ray Barretto, Bobby Valentin, Eddie Palmieri, un peu plus tard Willie Rosario. Et, heureuse coïncidence !! Vous les voyez justement figurer (presque) tous au générique de l'excellent documentaire réalisé par Jean-Pierre Jenssen en 1986 « Salsa / Les enfants du Rock », avec la participation de Bernard Lavilliers en visiteur inspiré. Un film qui alterne dans un montage bien rythmé des interviews vraiment excellents (comme celui d'Eddie Palmieri parlant avec passion de sa démarche créatrice) et de longs moments musicaux animés par les meilleurs orchestres de l'époque.
Le film, tourné en partie à Porto Rico et en partie à New York, nous fait également bien sentir les différences de climat entre la langueur tropicale de Borriquen et la grisaille des quartiers pauvres de la gigantesque Big Apple, où s'entassent, comme à Spanish Harlem ou dans le Bronx, les populations d'origine portoricaine. Une manière efficace de nous faire sentir, sans trop de paroles, la double identité quelque peu douloureuse de ces populations « nuyoricaines » où s'enracine l'âme de la Salsa, musique associé à la fois à l'exubérance caribéenne et au stress de la grande ville moderne.
Le film nous présente également quelques scènes de danse où l'on voit déjà pratiquer ce que l'on appellera quelques années plus tard le « Salsa New York Style » : une danse issue du Mambo, mais intégrant les apports du Hustle (le « Disco » si vous préférez), du Rock'n Roll et des danses de music-hall de Broadway. Un style qui, contrairement à ce que l'on imagine parfois, mit beaucoup de temps à s'imposer face au Hustle, ne commençant à être massivement dansé sur la musique dite « de Salsa » que plus de 15 ans après l'apparition de celle-ci, grâce aux efforts assidus, entre autres, du danseur Eddie Torres et de Tito Puente.
Peut-être peut-on émettre quelques réserves sur les longs passages représentant Lavilliers en train de déambuler en débardeur dans les rues du Bronx ou d'enregistrer ses propres chansons, qui malgré leurs qualités, n'atteignent pas aux sommets de la Salsa new-yorkaise. Par ailleurs, le scénario fait l'économie, à mon avis réductrice, d'une petite explication sur l'évolution des formes d'expression salsera. Au moment où le film est tourné, en 1986, la Salsa romantica, plus portoricaine et commerciale, est en effet en train de supplanter la Salsa brava new-yorkaise originelle, plus stridente et provocatrice. Mais presque rien n'est dit sur ces différences de styles, même si toute la première partie du film nous plonge de manière très vivante dans l'univers musical alors très actif de Porto Rico, avec des nights clubs, ses quartiers entièrement dédiés à la production musicale salsera comme la Calle 15 ou ses radios spécialisées comme la Z93.
Malgré ces quelques défauts, quelle richesse d'information dans cet excellent documentaire, réalisé par de grands amoureux et connaisseurs de la Salsa, et qui fournit également un précieux point d'appui au musicologue historien désireux de connaître l'état de cette expression au milieu des années 1980 !!!