De Gaulle fait acte de candidature en 1965

04 novembre 1965
09m 10s
Réf. 00109

Notice

Résumé :

En vertu de la réforme constitutionelle de 1962, l'élection présidentielle des 5 et 19 décembre 1965 amène pour la première fois les Français à élire leur président au suffrage universel direct. Alors que la campagne électorale bat son plein depuis septembre pour les autres candidats, le Général attend près de deux mois avant de prendre la parole et d'annoncer sa candidature, lors de cette allocution télévisée. Sur chacun des thèmes abordés - son rôle passé, la nécessité de maintenir un régime "stable et efficace", le bilan d'une France conquérante, le rôle international de la France, la conception du rapport démocratique entre le peuple et son dirigeant - il met en avant l'idée de menaces qui pèseraient sur la France et que lui seul serait en mesure de repousser.

Type de média :
Date de diffusion :
04 novembre 1965
Type de parole :

Éclairage

Le mandat présidentiel du général de Gaulle s'achève en décembre 1965. Or la révision contitutionnelle de 1962 dispose que le nouveau président sera élu en suffrage universel. Depuis 1963, cette perspective est au premier plan des préoccupations des forces politiques qui envisagent regroupements et candidatures pour remplacer Charles de Gaulle. Après le socialiste Gaston Defferre qui tente de rassembler autour de lui socialistes et centristes, mais renonce finalement en juin 1965, faute de pouvoir concilier leurs positions, plusieurs candidats se sont fait connaître : Jean-louis Tixier-Vignancour pour l'extrême-droite dès 1964, le libéral Pierre Marcilhacy en avril 1965, et surtout en septembre 1965 François Mitterrand derrière lequel se rassemble toute la gauche, communistes compris, et, en octobre, le président du MRP Jean Lecanuet, soutenu par le centre-droit et la droite.

Mais bien que tout le monde soit persuadé de sa candidature, de Gaulle garde le silence, à la fois pour ne pas participer à la mêlée des candidatures et rester au-dessus des partis, et pour maintenir en haleine l'opinion publique. Ce n'est que le 4 novembre, à l'extrême limite de la date de dépôt des candidatures, qu'il sort de son silence pour annoncer aux Français (qui n'en doutaient pas) qu'il briguera sa propre succession.

Le discours qu'il prononce à l'Elysée ce 4 novembre et qui est la première des trois brèves interventions prononcées avant le premier tour est un rappel sommaire de son bilan depuis 1940, au cours de la guerre comme après la fondation de la Vème République qui a donné au pays force et stabilité. Et comme dans tous ses discours électoraux le schéma est le même, reposant sur une alternative simple : ou bien le pays le confirmera dans ses fonctions, assurant ainsi son avenir dans tous les domaines de l'action publique nationale et internationale, ou bien la République s'écroulera, la confusion régnera et toute l'oeuvre accomplie se trouvera compromise.

Serge Berstein

Transcription

(Musique)
Charles de Gaulle
Françaises, Français ! Il y a vingt-cinq ans, lorsque la France roulait à l'abîme, j'ai cru devoir assumer la charge de la conduire jusqu'à ce qu'elle fût libérée, victorieuse et maîtresse d'elle-même. Il y a sept ans, j'ai cru devoir revenir à sa tête pour lui éviter la guere civile, lui épargner la faillite monétaire et financière et bâtir avec elle des institutions répondant à ce qu'exigent l'époque et le monde modernes. Depuis lors, j'ai cru devoir exercer les pouvoirs de Chef de l'Etat afin qu'elle puisse accomplir au profit de tous ses enfants une étape sans précédent de son développement intérieur, recouvrer la paix complète, et acquérir dans l'univers une situation politique et morale digne d'elle. Aujourd'hui, je crois devoir me tenir prêt à poursuivre ma tâche, mesurant en connaissance de cause de quel effort il s'agit, mais convaincu qu'actuellement c'est le mieux pour servir la France. Car, ainsi, notre pays se voit offrir le meilleur moyen de confirmer par ses suffrages le régime stable et efficace que nous avons ensemble institué. Que l'adhésion franche et massive des citoyens m'engage à rester en fonctions, l'avenir de la République nouvelle sera décidément assuré. Sinon, personne ne peut douter qu'elle s'écroulera aussitôt et que la France devra subir - mais cette fois sans recours possible - une confusion de l'Etat plus désastreuse encore que celle qu'elle connut autrefois. Françaises, Français ! C'est dire que, suivant votre choix, notre pays pourra, ou non, continuer la grande oeuvre de rénovation où il se trouve engagé. Or, qu'il s'agisse de son unité, de sa prospérité, de son progrès social, de sa situation financière, de la valeur de sa monnaie, de ses moyens de défense, de l'enseignement donné à sa jeunesse, du logement, de la sécurité, de la santé de sa population, l'avance qu'il a réalisée depuis sept ans apparaît comme éclatante. Certes, il y a encore, il y aura toujours beaucoup à faire. Mais comment y parviendrait-on, si l'Etat, livré aux partis, retombait dans l'impuissance ? Au contraire, quel élan nouveau prendra notre République quand celui qui a l'honneur d'être à sa tête aura été approuvé par vous dans son mandat national ! En même temps, se trouvent en jeu : la situation et l'action de la France dans un monde au-dessus duquel planent d'incommensurables dangers ; l'indépendance reprise sans renier nos amitiés ; la coopération pratiquée avec des peuples où notre colonisation était devenue anachronique et souvent sanglante ; l'union de l'Europe occidentale poursuivie de telle sorte qu'elle s'organise dans des conditions équitables et raisonnables, que la France y reste elle-même et, qu'au plus tôt, tout notre continent puisse s'accorder pour marcher en commun vers la paix et vers le progrès ; le rayonnement de notre culture vivifié et grandissant ; la considération et l'audience des autres peuples obtenues justement par nous, en soutenant partout la cause de la libération, du développement et de l'entraide dont dépend le sort de la communauté humaine. Eh bien ! Voici que le monde entier regarde vers vous pour savoir si vous allez, par votre vote, ratifier ou effacer ce que nous avons accompli au-dehors, appuyer ou empêcher ce que nous sommes en voie d'y réussir. Une grande responsabilité nationale incombera donc, dans un mois, à vous toutes et à vous tous. C'est là d'ailleurs la rasion d'être de la loi constitutionnelle qui s'appliquera pour la première fois et en vertu de laquelle le peuple français tout entier désignera le Chef de l'Etat, garant du destin de la nation. En élisant le président de la République, il vous sera donné de fixer, en conscience, par-dessus toutes les sollicitations des tendances partisanes, des influences étrangères, et des intérêts particuliers, la route que va suivre la France. A moi-même, que vous connaissez bien, après tout ce que nous avons fait ensemble dans la guerre et dans la paix, chacune de vous, chacun de vous, aura l'occasion de prouver son estime et sa confiance. Ainsi, devant tous les peuples, le scrutin historique du 5 décembre 1965 marquera le succès ou le renoncement de la France vis-à-vis d'elle-même. Françaises, Français ! J'espère, je crois, je sais, qu'elle va triompher grâce à vous ! Vive la République ! Vive la France !
(Musique)