Marguerite Duras sur La Musica, Deuxième
Notice
A l'occasion de la création, vingt ans après La Musica, de La Musica, Deuxième, avec Miou-Miou et Sami Frey, Marguerite Duras est interrogée par Marie-Claire Gautier, sur son rapport au roman, au théâtre et au cinéma, et sur sa conception de la mise en scène. L'auteur précise que, pour elle, tous ces arts se rejoignent autour du processus d'écriture.
Éclairage
Marguerite Duras (1914-1996), a écrit de très nombreux romans, des pièces de théâtre, des scénarios pour le cinéma. Elle a mis en scène ses propres textes, et a également réalisé des films à partir de ses propres scénarios. Chez elle, la littérature ne connaît pas la frontière des genres. Elle passe de l'un à l'autre, et adapte également nombre de ses textes du roman vers le théâtre, ou du théâtre vers le roman, parfois en passant par le cinéma, parfois jusqu'à la fusion (India Song est présenté comme, à la fois, un roman, un scénario, une pièce de théâtre).
Duras pratique également fréquemment la récriture et l'autocitation. S'emparant d'une histoire, elle la réécrit périodiquement, modifie les modes de narration ou le discours, complète, change, coupe et reconstruit. Ici, vingt ans après la pièce La Musica, elle écrit un deuxième acte, reprenant la même situation, et la creusant, de façon à faire ressortir d'autres facettes. Selon elle, elle développe ici les personnages, leurs caractères et leurs relations, alors qu'elle s'était, dans un premier temps, concentrée avant tout sur la situation.
Pour Duras, La Musica deuxième, « ce sont des gens qui divorcent, qui ont habité Évreux au début de leur mariage, qui s'y retrouvent le jour où leur divorce est prononcé. Je les ferais parler des heures et des heures. Dans la première partie de la nuit, leur ton est celui de la comédie, de la dispute. Dans la deuxième partie de la nuit, non, ils sont revenus à cet état intégral de l'amour désespéré, voix brisées du deuxième acte, défaites par la fatigue, ils sont toujours dans cette jeunesse du premier amour, effrayés. » Cet attachement aux passions amoureuses, qui demeure une des thématiques fortes de l'œuvre de Duras, habite de nombreux textes. Ici, elle souligne que cette idée – apporter une suite à La Musica – la poursuit depuis vingt ans. Comme très souvent chez elle, l'écriture semble naître de l'obsession, d'un retour régulier du même. L'écriture de Duras se répète, comme les thématiques réapparaissent régulièrement dans ses textes. Mais ici, il ne s'agit pas uniquement d'ajouter une suite à un texte existant, mais bien de le recomposer, et de le confronter à un nouveau creuset, celui de la mise en scène.
Le rapport de Marguerite Duras au théâtre est particulier. Elle l'exprime ici lorsque, alors que la journaliste lui demande comment elle conçoit la mise en scène, elle répond « c'est de la mise en littérature ». Il y a, chez Duras, la conviction que l'écriture, la littérature, est au centre du théâtre, même dans la mise en scène, et que le travail scénique est une forme différente d'écriture. Elle rejette d'ailleurs le jeu et l'incarnation, pensant que le jeu enlève de la profondeur au texte. Pour Duras, la mise en scène est un travail d'écriture différent du roman, qui permet d'explorer de nouvelles possibilités, de nouvelles pratiques. Mais elle considère le texte comme central dans la représentation, avant le jeu ou le décor.
Cette interview montre également la facette provocatrice du personnage de Marguerite Duras : elle affirme ici que personne, en dehors d'elle, ne peut mettre en scène ses pièces – alors même qu'ailleurs, et pour commencer dans les introductions de certaines éditions, elle loue des metteurs en scène, et notamment Régy, pour leur travail. Elle a par ailleurs affirmé dans plusieurs écrits qu'elle souhaitait que les acteurs, au théâtre, ne jouent pas, mais lisent, refusant ainsi la théâtralité.
Enfin, Marguerite Duras évoque l'intérêt de la mise en scène pour elle comme un moyen de creuser le texte, de le faire évoluer. Le passage par l'oralité, la profération, la conduit à faire évoluer son texte et à le modifier.
L'interview se clôt sur l'évocation du sentiment de l'inachevé. Pour Duras, rien n'est jamais fini, et l'évolution constante de ses écrits, leurs fluctuations, de genre et de composition, l'illustrent parfaitement.