L'Amante anglaise de Marguerite Duras
Notice
Les comédiens Pierre Dux et Madeleine Renaud sont interviewés par Michael Lonsdale, qui leur demande de présenter leur personnage, et le sujet de la pièce. Dans un second temps, on peut voir un extrait de cette pièce, et constater que le dispositif de l'interview est totalement semblable au dispositif scénique, où les comédiens, assis face au spectateur devant le rideau de fer du théâtre, sont interrogés par un homme placé dans le public.
Éclairage
L'Amante Anglaise raconte l'histoire d'un crime. Celui que Claire Lannes a commis à l'encontre de sa cousine Marie-Thérèse Bousquet. A l'origine traité sous forme d'une pièce de théâtre (Les Viaducs de Seine et Oise), le thème est ensuite repris par Marguerite Duras sous forme de roman (L'Amante Anglaise), roman ensuite adapté au théâtre. De cette dernière adaptation naît un troisième texte, remanié, Le Théâtre de l'Amante Anglaise. Au commencement de ces trois ouvrages, un fait divers découvert par l'auteur : en 1949, à Savigny-sur-Orge, une femme avait assassiné son époux, puis, ayant dépecé le corps, l'avait jeté depuis un viaduc dans des trains de marchandises, pensant ainsi éparpiller les morceaux. Elle a été retrouvée grâce au recoupement ferroviaire, qui a mis en évidence que tous les trains ayant contenu un morceau du corps avaient circulé sur ce viaduc. Ayant découvert ce fait divers dans une chronique journalistique, Duras s'intéresse alors particulièrement au personnage de l'assassin, ayant appris que la criminelle, « inlassablement, posait des questions pour essayer de savoir le pourquoi de ce crime-là, qu'elle, elle avait commis. Et qu'elle n'y était pas parvenue » (Note à l'édition du Théâtre de l'Amante Anglaise, éd. Gallimard, col. L'imaginaire, 1991, p. 11).
L'Amante Anglaise est un roman particulier parce qu'entièrement dialogué, au discours direct. Dans ce roman, trois personnages sont interrogés successivement par un interrogateur, journaliste ou chroniqueur, qui affiche clairement son but : comprendre le geste de Claire. Successivement, le lecteur découvre les versions du cafetier qui les a accueillis le soir de la révélation, la version de l'époux de Claire, Pierre Lannes, et celle de Claire elle-même. Dans Le Théâtre de l'Amante Anglaise ne subsistent que deux versions : celle de Pierre, et celle de Claire. Le dispositif, pourtant, est strictement identique à celui du roman : deux personnes face à un interrogateur relatent les faits qui ont conduit au crime.
La vidéo laisse subsister une interrogation, qui témoigne de la constante évolution des textes de Duras : Pierre Dux parle, au début de l'interview, de trois voix (le cafetier, le mari, la femme). Il n'en subsiste, dans le texte publié longtemps après la création de la pièce, que deux voix. Il est donc probable que, depuis la création de la pièce, le texte ait encore bougé, à moins qu'il n'ait encore bougé au cours des répétitions.
L'identité très forte qui subsiste entre le texte du roman et celui de la pièce de théâtre qui en est tirée, pose la question du genre chez Marguerite Duras. Chez elle, en effet, les genres sont profondément imbriqués. Le théâtre, surtout, conserve une dimension très littéraire et narrative, et lorsque le roman, comme ici, est dialogué, il comporte une théâtralité évidente. Mais, au niveau de la théâtralité, L'Amante Anglaise pose une question et un défi au metteur en scène. En effet, il s'agit d'interrogatoires, de formes essentiellement statiques. Dans l'édition qui relate la mise en scène, Duras décrit un dispositif qui réduit le théâtre à sa plus simple expression : un texte et un comédien. Pas de décor : les acteurs sont assis face au public, à l'avant-scène, à l'extérieur du cadre théâtral qui place la fiction en retrait. L'un des personnages, l'interrogateur, est quant à lui totalement intégré au public, au sein duquel il se place, et peut se déplacer. Pour l'acteur, le texte pose la question de l'incarnation : doit-il réellement incarner le personnage, ou avant tout porter un texte ? On peut voir, dans cette vidéo, qu'ici, l'essentiel est bien le texte, et la façon dont les comédiens lui donnent vie, se laissent traverser par lui dans un jeu minimaliste, très peu incarné.