Cinquantenaire de la création de La Cantatrice chauve

16 février 2007
02m 39s
Réf. 00225

Notice

Résumé :

A l'occasion du cinquantenaire de la création de La Cantatrice Chauve, retour sur le parcours de cette pièce au théâtre de la Huchette. Dans ce théâtre, en effet, depuis 50 ans, se joue la pièce la plus célèbre d'Ionesco, telle qu'elle fut mise en scène à sa création. Le metteur en scène et un des acteurs témoignent des réactions mitigées du public à la création de la pièce, et des images d'archives proposent un commentaire de l'auteur lui-même.

Date de diffusion :
16 février 2007
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

Lorsqu'il écrit La Cantatrice chauve, Ionesco la qualifie d'« anti-pièce ». Ce texte, écrit, d'après l'auteur, en s'inspirant des phrases sans queue ni tête contenues dans un manuel pour apprendre l'anglais, est devenu l'un des modèles de ce qu'on a appelé le Théâtre de l'Absurde, renouveau du théâtre dans les années cinquante. Dans La Cantatrice chauve, tous les canons du théâtre sont mis à mal : il n'y a pour ainsi dire pas d'intrigue, ce qui est annoncé n'arrive jamais, et les personnages sont interchangeables, à tel point que le metteur en scène Nicolas Bataille, à la création de la pièce, décidera d'intervertir les couples dans la scène finale de la pièce, qui voit le recommencement de l'action. Les dialogues sont décousus, semblant n'avoir ni queue ni tête. Des personnages apparaissent sans explication – à l'image de ce capitaine des Pompiers qui vient demander s'il n'y aurait pas un petit feu à éteindre... La pièce se construit en singeant le théâtre bourgeois et ses codes, en s'en jouant allègrement pour mieux en montrer la superficialité.

A l'époque de sa création, en 1950, comme en témoignent Nicolas Bataille, Marcel Cuvelier et Ionesco lui-même, la pièce est mal reçue. Quelques années plus tard, elle fait le succès du Théâtre de la Huchette, où elle est reprise en même temps que La Leçon. Un succès qui ne s'est pas démenti depuis, les productions d'Ionesco ayant pour ainsi dire assuré la pérennité du petit théâtre du Quartier Latin, où les autres salles d'avant-garde qui fleurirent dans les années cinquante ont depuis longtemps disparu.

Comme l'indique la journaliste en lancement du reportage, la longévité de cette programmation est exceptionnelle. La pièce a été jouée pendant cinquante ans, sans interruption. Certes, une partie de la distribution a été modifiée – il existe des doublures, de façon à ce que les acteurs ne jouent pas tous les soirs – mais pour l'essentiel, l'esprit et l'esthétique de la création sont préservés. Il est alors intéressant de constater que la mise en scène, la pièce, et le lieu dans lequel elle est programmée, qui avait au départ une vocation avant-gardiste, se sont peu à peu orientés vers une démarche muséale. La Cantatrice Chauve est une des rares pièces dont on peut encore voir la mise en scène de création, pour ainsi dire inchangée. Cette logique suit le destin de la pièce, écrite contre un théâtre enfermé dans ses codes et ses traditions, devenue un classique figé dans le temps.

Exemplaire des petits théâtres de la rive gauche qui se sont ouverts à la faveur du renouveau théâtral des années cinquante, le théâtre de la Huchette, inauguré en 1948, a permis la découverte de nombreux auteurs du Nouveau théâtre, tels que Jacques Audiberti, Jean Genet, et, bien sûr, Eugène Ionesco. Elle est une des seules salles de ce type qui soir parvenue à survivre, en grande partie grâce au succès de La Cantatrice Chauve, désormais passage incontournable des visites touristiques de la capitale.

Anaïs Bonnier

Transcription

Présentatrice
50 ans, c’est un record mondial. La Cantatrice chauve de Ionesco est jouée en effet dans le quartier latin au théâtre de la Huchette depuis le 16 février 1957. Un petit chef-d’oeuvre de l’absurde, intemporel. Michel Vial, Georges Minangoy.
Eugène Ionesco
S’il n’y a que des jeunes qui viennent, les spectateurs qui sont là et qui viennent une fois, au bout de dix ans ils ne viennent plus, ils deviennent notaires.
Journaliste
Eugène Ionesco, décédé en 1994, ici devant le théâtre de la Huchette, qui jouait alors depuis trente ans, ses deux premières pièces. La Cantatrice Chauve et La Leçon connaissent, ce soir, leur 15761ème représentation, passées en un demi-siècle, de l’avant-garde au classicisme.
Nicolas Bataille
J’étais très désireux de jouer un théâtre qui soit de notre époque. Lorsque j’ai eu le texte, entre les mains, je me suis dit, mais voilà, je l’ai montré aux comédiens, c’est la bombe atomique. On jouait, un peu clownesque. Et puis, on s’est aperçu que ça tuait le texte. C’est là que je me suis dit, il faut, au contraire, jouer ça pratiquement comme Hedda Gabler. Plus on sera sérieux, plus le texte prendra sa verve comique.
Comédien
C’était le plus joli cadavre de Grande-Bretagne hein ! Il ne paraissait pas son âge.
Journaliste
En optant pour le ton guindé et flegmatique, au lieu de forcer le comique, Nicolas Bataille a, dès le départ, su mettre en évidence la cocasserie de Ionesco qui a d’abord déconcerté le public et la critique.
Marcel Cuvelier
Je me souviens d’une représentation où il y avait un club de spectateurs très chic... ça s’appelait le Théâtre Club. Et à la fin du spectacle, il y avait des dames en vison qui criaient "Ionesco au poteau !".
Journaliste
Depuis 50 ans, les deux pièces courtes, moins d’une heure chacune, ont été interprétées par des dizaines de comédiens. Chaque rôle, distribué quatre fois afin de permettre un roulement et finissant par constituer pour eux l’aventure d’une vie. La rue de la Huchette est beaucoup plus animée qu’en 1957. Les restaurants, aujourd’hui, ont envahi ce vieux quartier pittoresque, dont le théâtre est devenu le site touristique majeur.
Eugène Ionesco
Je me suis amusé d’avoir agité et mécontenté des gens !
Journaliste
La Leçon et La Cantatrice Chauve de Ionesco remplissent, donc, chaque soir, les 90 places d’un petit théâtre parisien. Un peu tiré par les cheveux, certes, selon un critique de l’époque mais leurs coq-à-l’âne, n’ont rien perdu de leur étrange pouvoir.