La Cantatrice chauve mise en scène par Jean-Luc Lagarce
Notice
Après une présentation de la pièce d'Ionesco, dont le journaliste rappelle qu'à sa création, elle fit scandale et fut retirée de l'affiche, avant d'être reprise quelques années plus tard, pour être jouée sans interruption jusqu'à aujourd'hui, un reportage présente la mise en scène de Jean-Luc Lagarce, bien décidé à renouveler le regard porté sur l'œuvre, notamment en adoptant une esthétique plus proche de l'esthétique télévisuelle que du décor de théâtre bourgeois initialement imaginé par Ionesco.
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Éclairage
Eugène Ionesco (1909-1994) écrit la Cantatrice Chauve en 1950, contre les codes du théâtre bourgeois. Il y invente une manière de déconstruire le langage et le sens, gomme l'action au profit de la parole, et laisse, de façon générale, une impression d'absurdité. La pièce, initialement appelée L'anglais sans peine, s'inspire des phrases stéréotypées des manuels de conversation en langue étrangère. Elle utilise le stéréotype, poussé à son paroxysme, pour dénoncer l'absurdité du monde. La Cantatrice Chauve fit scandale en 1950 lors de sa création, mais fut reprise en 1957 au théâtre de la Huchette, où elle est toujours jouée, dans la mise en scène d'origine (voir ce document).
Le metteur en scène et auteur Jean-Luc Lagarce (1957-1995) affiche ici sa volonté de renouveler le regard des spectateurs sur la pièce d'Ionesco. Fortement inspiré par le Nouveau Théâtre des années cinquante, et par Ionesco en particulier – sa première pièce, Erreur de construction, est truffée d'allusions à la Cantatrice Chauve – Lagarce s'attache à interroger le fondement de la pièce de Ionesco, et transpose ainsi les codes auxquels elle s'attaque. A l'époque d'Ionesco, comme l'indique la journaliste, le modèle de divertissement dominant, contre lequel Ionesco compose sa pièce, est le théâtre de boulevard, modèle bourgeois figé dans ses codes et ses stéréotypes. L'auteur écrit en réaction à ce théâtre, expérimentant un nouveau langage, un rapport neuf à l'action et au personnage. Le discours, composé de phrases décousues, apparemment dépourvu de logique, pointe l'absurdité de certaines conventions sociales. L'action réside essentiellement dans la parole, la pièce ne comporte, pour ainsi dire, pas d'intrigue. Enfin, et surtout, les personnages sont indéterminés et stéréotypés. Leurs noms sont passe-partout (Smith, Martin) et l'indifférenciation va si loin qu'ils deviennent interchangeables : à la fin de la pièce, l'action recommence, les Smith et les Martin ayant échangé leurs places.
Pour Jean-Luc Lagarce, le code dominant du divertissement dans les années 90 est donc le feuilleton télévisé. C'est de ces codes qu'il s'empare dans son spectacle. Il transforme le salon anglais décrit par Ionesco en didascalie par une façade de maison aux tons pastel, entourée d'un carré de pelouse synthétique et d'une palissade immaculée. Dans ce décor de carton-pâte, les deux couples – tailleur framboise pour les femmes, costume coloré pour les hommes – sont habillés de la même façon, ce qui renforce d'autant leur aspect stéréotypé. Les couleurs vives, les paillettes, plantent un univers factice dans lequel les personnages évoluent. Les répliques dépourvues de suite sont ponctuées, de façon anarchique, de rires enregistrés, comme dans les sitcoms.
Pour Jean-Luc Lagarce, la traduction de l'absurde ionescien se fait naturellement par le biais de l'univers télévisuel. L'irruption soudaine de rires inexpliqué, le jeu forcé, burlesque, des acteurs, renforcent l'apparente absence de sens du texte, et en actualisent la réception.