Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou et Emile Moreau
Notice
Une scène extraite de la pièce, avec Annie Cordy dans le rôle titre et Roger Pierre dans le rôle du maréchal Lefebvre, dans le cadre de l'émission 36 chandelles du 12 mai 1958.
Éclairage
Comédie sur fond historique en 3 actes et un prologue, Madame Sans-Gêne est un « vaudeville épique » créé en 1893, au Théâtre du Vaudeville (Paris), avec la très populaire Réjane dans le rôle de Catherine Hubscher. Catherine est blanchisseuse de son état et, lors de la prise des Tuileries par les révolutionnaires en 1792, va sauver la vie au duc de Neipperg et épouser, quelques temps après, Lefebvre, l'un des futurs maréchaux de Napoléon. Devenue Mme la maréchale, la Sans-Gêne fait à ses dépens l'amusement de la haute société par sa gouaille, ses manières et un maintien qui n'ont rien de la prestance d'une dame du monde. Les deux sœurs de Napoléon, dont elle s'est attiré les foudres par son franc-parler, entendent bien la faire chuter et poussent l'empereur à faire divorcer Lefebvre de cette ancienne blanchisseuse, qui fait tache dans le « décorum ». Napoléon convoque donc Catherine, mais celle-ci, sous sa langue des faubourgs, parvient par son bon sens, en rappelant ses « états de service » comme vivandière sur le front, et en voulant se faire payer une note de blanchisserie impayée par un certain Buonaparte, au moment de la Révolution, à convaincre l'Empereur de renoncer à son projet et de lui rendre les honneurs qui lui sont dus, lors d'une partie de chasse, devant toute la Cour.
Comme on le voit, il y a beaucoup de drôlerie dans les situations : l'Empereur des français se trouve pris en défaut par une femme du peuple, qui ne s'en laisse pas compter. La pièce fait intervenir une cinquantaine de personnages historiques et insiste, à grands renforts d'effets comiques, sur la dénonciation des intérêts privés qui font les coulisses du pouvoir : Madame Sans-Gêne est de fait une brillante satire sociale et politique, relevée par des effets de langue tout à fait savoureux. Le tableau de mœurs commente vertement les foudroyantes ascensions sociales des hauts dignitaires de l'Empire qui n'étaient encore que peu de temps auparavant de simples boutiquiers ou valets sous l'Ancien Régime. La pièce repose également sur la multiplication des effets de réels : dans le prologue, c'est tout le Paris révolutionnaire qui apparaît (toute sa géographie et l'atmosphère des barricades) ; puis, dans la suite de la pièce, c'est le pittoresque de la Cour, avec ses salons et le mobilier de style Empire, où se pressent des personnalités hautes en couleur, jamais avares d'un bon mot.
Le texte a été écrit à quatre mains, comme cela se faisait beaucoup pour les formes comiques, au XIXe siècle. Moreau et Sardou (ce dernier a été élu à l'Académie française en 1877) ont par ailleurs collaboré ensemble à deux autres pièces, Cléopâtre et Dante. La pièce, malgré ses accents argotiques et son arrière-plan historique, a très bien vieilli depuis sa création et le rôle de la Sans-Gêne est même devenu un rôle très prisé des actrices connue pour leur gouaille : Lily Mounet (Théâtre de l'Odéon, 1931), Béatrice Bretty (Comédie-Française, 1938, 1951), Madeleine Renaud (Théâtre Sarah-Bernhardt, 1957) [1], Jacqueline Maillan (Théâtre de Paris, 1973) [2], Clémentine Célarié (Théâtre Antoine, 2000). Côté cinéma, signalons l'adaptation de Roger Richebé, en 1941, avec Arletty dans le rôle titre, celle de Christian-Jaque en 1962 avec Sophia Loren et Robert Hossein et, côté télévision, les téléfilms de Claude Barma en 1963 avec Sophie Desmarets et Raymond Pellegrin et celui de Philippe Broca en 2002, avec Mathilde Seigner et Bruno Solo. Annie Cordy, qu'on voit ici dans une courte scène enregistrée pour l'émission 36 chandelles en 1958, a par ailleurs joué l'intégralité de la pièce, qui a fait l'objet d'une captation télévisée par Abder Isker, en 1981.
[1] Cf. l'émission « Le masque et la plume » du 2 janvier 1958 et la critique assez verte de Bernard Dort sur la prestation des Barrault
[2] Dans une mise en scène de Michel Roux et dans une scénographie de Roger Harth, célèbre pour ses contributions à « Au théâtre ce soir » au Théâtre Marigny, où la pièce sera enregistrée et diffusée à la télévision en 1974.