Scandale de Paradise Now du Living theatre au Festival d'Avignon
Notice
Reportage sur les représentations du spectacle Paradise Now par le Living Theatre au Festival d'Avignon de 1968. Sont montrés de brefs extraits du spectacle où les comédiens se dénudent et s'enlacent et la réaction des spectateurs choqués qui sortent ou, au contraire, veulent entrer sans payer.
Éclairage
Après la Seconde Guerre mondiale, le théâtre américain est avant tout, voire exclusivement, un théâtre commercial et de divertissement. Face à ce modèle hégémonique, plusieurs troupes ou compagnies souhaitent proposer un autre projet théâtral, valorisant davantage la recherche, l'expérimentation à travers un ancrage politique et social. Dans ce contexte, en 1947, Julian Beck et Judith Malina décident de créer la troupe du Living theatre à New-York. Lui est artiste peintre, proche de l'abstraction expressionniste ; elle est metteur en scène, ancienne étudiante de la New School Dramatics Workshop d'Erwin Piscator. La création de la troupe s'inscrit dans le mouvement du Off-Broadway (en opposition à Broadway, la célèbre avenue new-yorkaise où se trouvent les grands théâtres) qui regroupent plusieurs petits théâtres davantage tournés vers une programmation expérimentale et vers un théâtre d'Art.
A ses débuts, le Living theatre pratique avant tout un théâtre de textes, montant des dramaturges et poètes américains (Gertrude Stein, Paul Goodman, Allen Ginsberg), aussi bien qu'européens (Brecht, Lorca, Pirandello). Toutefois, très rapidement, en se concentrant sur la création collective, la troupe délaisse le texte, au profit de l'improvisation mettant en centre le travail de l'acteur et un engagement corporel fort, notamment inspiré des théories d'Artaud et de son Théâtre de la Cruauté, avec une redéfinition de la place du spectateur, non plus simple regardant, mais actant de la représentation, participant par sa parole, voire sa présence sur scène à la création du spectacle aux côtés des comédiens. En outre, cette réflexion théâtrale est indissociable d'un engagement politique qui s'accentue au début des années soixante. En effet, la révolution esthétique que représentent les spectacles du Living va de pair avec une radicalisation politique lié au contexte des Etats-Unis et à leur engagement au Viêt-Nam.
Pour toutes ces raisons, la venue du Living theatre en Europe constitue un choc esthétique et moral qui va durablement changer le rapport des artistes à la création. La présentation de Paradise Now au Festival d'Avignon de 1968 et la position ambiguë de Julian Beck et de Judith Malina face à Jean Vilar rendent compte de ces bouleversements. En effet, Julian Beck et Judith Malina ne mettent pas en scène, ils coordonnent en chef de troupe les préparatifs de Paradise Now. Les répétitions s'apparentent davantage à des discussions avec les acteurs pour savoir et décider de ce qu'ils veulent dire et faire. Les scènes ne sont pas fixées, l'enchaînement se construit sur un canevas ouvert ensuite à l'improvisation (mêlant chant et danse). L'ensemble converge vers une recherche pour stimuler la participation du spectateur. Plusieurs éléments expliquent ainsi le scandale de Paradise Now. Outre la nudité des acteurs, leur enlacement, c'est aussi la sortie des conventions théâtrales qui bousculent, les spectateurs ne sont pas tous dans un rapport frontal, certains sont assis autour de l'espace scénique (qui, par ailleurs ressemble bien peu à une scène), les acteurs improvisent, ces derniers n'hésitant pas à descendre dans le public et à s'adresser directement aux spectateurs, parfois les invectivant, ils se dévêtissent au milieu de l'assistance. Par conséquent, Paradise now tient plus de la performance, du happening, réinvestissant une sacralité archaïque proche de certaines formes ritualisées.
Le Living theatre est donc un théâtre de la contestation et de la revendication qui propose une vision engagée de l'art théâtral, dans lequel sont étroitement liées pratiques artistiques et manières de vivre.