Alain Françon met en scène Pièces de guerre d'Edward Bond
Notice
Accueilli en 1994 par le Festival d'Avignon, Alain Françon met en scène les Pièces de guerre d'Edward Bond au Gymnase du Lycée Saint-Joseph. Extraits de Grande paix, dernière partie de la trilogie, et interview du dramaturge britannique.
Éclairage
Edward Bond est un dramaturge, scénariste, metteur en scène, théoricien et traducteur anglais né en 1934. Il écrit pour le théâtre depuis la fin des années cinquante. Il devient rapidement un auteur emblématique du « Swinging London ». En 1965, sa pièce Sauvés (Saved) fait scandale en représentant notamment la lapidation d'un enfant dans son berceau. Les débats qui accompagnèrent en 1968 les représentations de Au petit matin (Early morning) aboutirent la même année à l'abolition de la censure théâtrale en Angleterre. Auteur de plus de quarante pièces, Edward Bond ne cesse de traduire son engagement politique en remettant en question sa propre dramaturgie et sa réflexion sur l'esthétique théâtrale.
En 1994, Alain Françon met en scène Pièces de guerre dans le cadre du Festival d'Avignon. Lors de la même édition est mis en scène, par Alain Milianti, un autre texte de Bond. Il s'agit de Bingo, une pièce écrite en 1974.
Trilogie écrite entre 1983 et 1985, Pièces de guerre est composé de trois pièces : Rouge, noir et ignorant ; La Furie des nantis ; Grande Paix (de cette dernière partie sont issus les extraits diffusés au cours du reportage). Représenté en intégralité, le spectacle dure sept heures. Alain Françon retrouve l'écriture de Bond après avoir créé, en 1992, La Compagnie des hommes (Paris, Théâtre de la Ville). Il avait alors inauguré un long compagnonnage avec l'auteur britannique dont il mettra en scène par la suite, et notamment au Théâtre National de la Colline, de nombreuses œuvres. Parmi la distribution, qui comprend, entre autres, Carlo Brandt, Clovis Cornillac, Gilles David et Valérie Dréville, figurent des comédiens qui participeront à ces mises en scène ultérieures. La scénographie, conçue par Jacques Gabel, représente un territoire dévasté. Le reportage montre par ailleurs l'interprétation d'une didascalie de la pièce selon laquelle la position des personnages reprend la construction d'un tableau de Francesco Goya (Tres de Mayo, 1814, Musée du Prado, Madrid, Espagne).
Le reportage présente la situation initiale de Grande Paix : un soldat reçoit l'ordre de revenir dans sa ville natale pour y tuer un enfant. Ne se résignant pas à tuer le bébé de sa voisine, il tue celui de sa mère. Il s'agit d'un exemple de ce qu'Edward Bond nomme « situation de la porte ou du seuil », où le personnage se trouve confronté à un dilemme qui ouvre la scène au tragique.
En faisant appel à la figure du Chœur, en revendiquant la trivialité et la poésie de la langue, le dramaturge interroge les fondements du théâtre et son rapport au contemporain. Toute la pièce développe, sur le mode du détour, une réflexion sur la justice, l'autorité et le langage du pouvoir. Ses personnages incarnent la posture conflictuelle de l'individu à l'encontre de la société.
Le document met en perspective le sujet de la pièce, et particulièrement le rapport de l'homme à la technique et à l'armement, avec l'actualité mondiale. Toute la dramaturgie de Bond est traversée par la pensée de l'héritage d'Auschwitz et d'Hiroshima. En cherchant à donner une forme théâtrale au monde qui suit immédiatement la catastrophe et le désastre, l'auteur fait venir sur scène des témoins dont le corps et la langue ont été bouleversés. Entre récapitulation et anticipation, la pièce met en jeu la violence extrême des images, des situations et des mots. Participant de ce nouveau théâtre de la cruauté que continue d'élaborer le dramaturge, Pièces de guerre représente le processus selon lequel l'humain est amené à côtoyer le mal et le monstrueux. C'est dans cette rencontre qu'adviendrait le « paradoxe de la paix » dont les protagonistes font ici l'épreuve.