Alain Françon met en scène Pièces de guerre d'Edward Bond

26 juillet 1994
02m 36s
Réf. 00014

Notice

Résumé :

Accueilli en 1994 par le Festival d'Avignon, Alain Françon met en scène les Pièces de guerre d'Edward Bond au Gymnase du Lycée Saint-Joseph. Extraits de Grande paix, dernière partie de la trilogie, et interview du dramaturge britannique.

Date de diffusion :
26 juillet 1994
Source :
A2 (Collection: JA2 20H )
Fiche CNT :

Éclairage

Edward Bond est un dramaturge, scénariste, metteur en scène, théoricien et traducteur anglais né en 1934. Il écrit pour le théâtre depuis la fin des années cinquante. Il devient rapidement un auteur emblématique du « Swinging London ». En 1965, sa pièce Sauvés (Saved) fait scandale en représentant notamment la lapidation d'un enfant dans son berceau. Les débats qui accompagnèrent en 1968 les représentations de Au petit matin (Early morning) aboutirent la même année à l'abolition de la censure théâtrale en Angleterre. Auteur de plus de quarante pièces, Edward Bond ne cesse de traduire son engagement politique en remettant en question sa propre dramaturgie et sa réflexion sur l'esthétique théâtrale.

En 1994, Alain Françon met en scène Pièces de guerre dans le cadre du Festival d'Avignon. Lors de la même édition est mis en scène, par Alain Milianti, un autre texte de Bond. Il s'agit de Bingo, une pièce écrite en 1974.

Trilogie écrite entre 1983 et 1985, Pièces de guerre est composé de trois pièces : Rouge, noir et ignorant ; La Furie des nantis ; Grande Paix (de cette dernière partie sont issus les extraits diffusés au cours du reportage). Représenté en intégralité, le spectacle dure sept heures. Alain Françon retrouve l'écriture de Bond après avoir créé, en 1992, La Compagnie des hommes (Paris, Théâtre de la Ville). Il avait alors inauguré un long compagnonnage avec l'auteur britannique dont il mettra en scène par la suite, et notamment au Théâtre National de la Colline, de nombreuses œuvres. Parmi la distribution, qui comprend, entre autres, Carlo Brandt, Clovis Cornillac, Gilles David et Valérie Dréville, figurent des comédiens qui participeront à ces mises en scène ultérieures. La scénographie, conçue par Jacques Gabel, représente un territoire dévasté. Le reportage montre par ailleurs l'interprétation d'une didascalie de la pièce selon laquelle la position des personnages reprend la construction d'un tableau de Francesco Goya (Tres de Mayo, 1814, Musée du Prado, Madrid, Espagne).

Le reportage présente la situation initiale de Grande Paix : un soldat reçoit l'ordre de revenir dans sa ville natale pour y tuer un enfant. Ne se résignant pas à tuer le bébé de sa voisine, il tue celui de sa mère. Il s'agit d'un exemple de ce qu'Edward Bond nomme « situation de la porte ou du seuil », où le personnage se trouve confronté à un dilemme qui ouvre la scène au tragique.

En faisant appel à la figure du Chœur, en revendiquant la trivialité et la poésie de la langue, le dramaturge interroge les fondements du théâtre et son rapport au contemporain. Toute la pièce développe, sur le mode du détour, une réflexion sur la justice, l'autorité et le langage du pouvoir. Ses personnages incarnent la posture conflictuelle de l'individu à l'encontre de la société.

Le document met en perspective le sujet de la pièce, et particulièrement le rapport de l'homme à la technique et à l'armement, avec l'actualité mondiale. Toute la dramaturgie de Bond est traversée par la pensée de l'héritage d'Auschwitz et d'Hiroshima. En cherchant à donner une forme théâtrale au monde qui suit immédiatement la catastrophe et le désastre, l'auteur fait venir sur scène des témoins dont le corps et la langue ont été bouleversés. Entre récapitulation et anticipation, la pièce met en jeu la violence extrême des images, des situations et des mots. Participant de ce nouveau théâtre de la cruauté que continue d'élaborer le dramaturge, Pièces de guerre représente le processus selon lequel l'humain est amené à côtoyer le mal et le monstrueux. C'est dans cette rencontre qu'adviendrait le « paradoxe de la paix » dont les protagonistes font ici l'épreuve.

Marie-Isabelle Boula de Mareuil

Transcription

Présentateur
Chaque soir, dans le journal, nous vous montrons des scènes de guerre et de haine. Nous cherchons bien sûr à comprendre les raisons de cette violence. Mais nous nous attachons, surtout, nous, journalistes, à déceler les raisons politiques ou économiques. Il y en a d’autres qui tiennent à la nature même de l’homme et il faut parfois prendre un détour pour tenter de comprendre ce mystère. Thierry Hay et Philippe Luzzi nous présentent d’Avignon l’écrivain anglais, Edward Bond.
Journaliste
Ce petit bonhomme aux allures d’enfant est un immense écrivain. Edward Bond a 60 ans et depuis les années 60, il fait scandale en Angleterre. Cadeau d’anniversaire, quatre pièces montées en Avignon et un décor tout blanc, celui du metteur en scène Alain Françon, pour Pièces de guerre. Après une explosion nucléaire, un gouvernement, plutôt militaire, donne un ordre.
Comédien 1
Pour prévenir le gaspillage, chaque soldat retournera sur les lieux de sa résidence civile et éliminera un enfant.
Comédien 2
Je dois tuer un enfant.
Comédienne
Quoi ? Tu dois tuer un enfant ?
Comédien 2
C’est un ordre.
Comédienne
Tuer un gosse ! Quel gosse ?
Comédien 2
N’importe quel gosse.
Comédienne
Tu ne peux pas faire ça.
Comédien 2
C’est un ordre.
Comédienne
On ne peut pas donner un ordre comme ça.
Comédien 2
L’armée, elle peut.
Journaliste
Edward Bond ne décrit pas le monde, il le pense. Ce qui l’intéresse dans la guerre, c’est le processus qui mène à l’horreur, comment, après Hiroshima et Auschwitz, un cerveau humain peut encore penser à tuer. Comment un homme peut aimer ses enfants et dès qu’il porte un uniforme, tuer ceux des autres sans problème. Comment le sang de l’histoire ne sert à rien.
Edward Bond
Je pense que le problème des armes, de l’armement est un problème très aigu et très urgent. Ce qui me fascine ? Oh, pourquoi les gens s’entretuent.
Journaliste
En période de guerre, chaque détail peut conduire à la violence. Le soldat a obéi, il a tué l'enfant mais il refuse de ramasser un paquet de cigarettes. Moralité…
Comédien 1
Qui vous a dit de bouger ?
Comédien 2
Faites pas de mal au petit.
Comédien 3
Non ! Non !
Comédien 1
Attrape !
Journaliste
Vision d’horreur à la Goya. A ceux qui trouveraient cela trop violent, Edward Bond conseille d’aller voir la réalité. Vous qui avez beaucoup parlé de la mort, qu’est-ce que vous voudriez qu’on écrive sur votre tombe ?
Edward Bond
No parking.