Branlotin du Cirque Aligre
Notice
L'entretien de Branlotin La Désespérance, le dresseur de rats, est entrecoupé d'extraits du spectacle du cirque Aligre qui alterne les prouesses circassiennes et les parodies de numéros du répertoire circassien jouées par des rats. Les images et les propos de l'artiste présentent le lent et patient travail nécessaire au dressage de l'animal.
Éclairage
Durant les années 1970, période incertaine et porteuse des espoirs déçus de mai 68, les troupes, expérimentant de nouvelles formes spectaculaires, pour la plupart en plein air ou sous petits chapiteaux, sillonnent la France, de Maisons de la Jeunesse et de la Culture en places de village. Non structurées économiquement, elles se font et se défont au hasard des rencontres, des sympathies éprouvées, des histoires de cœur, quelquefois, des coups de gueule, aussi.
En 1976, Igor Gonin (dit Igor) et son frère Nicolaï (dit Branlo) fondent le Petit Cirque (en palc). L'année suivante, avec Jacques Maistre (dit Paillette) qui avait participé au Palais des Merveilles de Jules Cordière et au Puits aux Images, ils achètent un chapiteau et créent le Cirque Aligre : « Pourquoi Aligre ? Pourquoi pas. Cela sonne bien, cela ne ressemble à rien. "Le nom est venu comme ça, non dans la prose de la chose, juste dans la musique du mot." Ainsi naquit le "Cirque acrobatique et burlesque du baron Aligre." Pourquoi baron ? Pourquoi pas. » [1]. C'est avec leurs savoir-faire perfectionnés dans les rues, soit celles du Quartier Latin et de ses alentours, soit celles du quartier Mouffetard qu'ils bricolent un spectacle. On peut y voir, entre autres, Zoé Maistre au trapèze, Bruno Privat et Nigloo. Clément Marty, devenu Martex, les rejoint plus tard, avec son cheval. Entre temps, ils ont inventé le skovatch, la langue des voyageurs, de ces circassiens des temps non encore advenus et pourtant chargés du poids du passé.
Les aventures sont tumultueuses, les alliances éphémères, les récits incertains concurrencent donc les légendes.
Un des mythes fondateurs du nouveau cirque s'appuie sur un événement fantastique survenu au Festival d'Avignon, lorsque les cosaques Bartabas le Furieux, Igor le Magnifique et Branlotin la Désespérance, tous trois descendants du Baron Aligre, affolent les touristes avignonnais à la terrasse des café. Gisèle et Jean Boissieu décrivant Bartabas, racontent : « Aux heures apéritives, on voyait débouler, place de l'Horloge, sur un cheval géant, un cavalier noir, le visage caché sous un masque vénitien. Au milieu de la foule, frôlant les tables, il enchaînait au grand galop des figures de haute école. » [2] Quant à Branlo, il « exhibe un rat en le tenant par la queue, fait mine de l'avaler, des sons de cloche enregistrés sonnent à tout volée » [3].
Tout en convoquant des éléments porteurs de références nées dans la piste, l'exploit, l'animal sauvage, l'orchestre (Igor est à l'accordéon, Branlo au violoncelle) ..., ils composent des images à la violence revendiquée qui font défaillir les codes convenus. Igor précise : « on jouait sur la peur. Quand les spectateurs n'avaient pas peur, on leur foutait vraiment la trouille, c'était comme une provocation amoureuse. La violence faisait partie du jeu. » [4]. Si de 1982 à 1984, ils font vivre le Cirque des Rats (en Espagne), c'est que le dressage de cet animal est la spécialité de Branlo. Le nouveau cirque a éludé la question de la gestion des ménageries d'animaux sauvages. Par contre, il sait mettre en scène les animaux qui se sont introduits dans les villes. Les rats qui parcourent les égouts, les corbeaux qui fouillent les poubelles. La bête sauvage devient pestiférée ou oiseau de mauvais augure. Le surhomme domptant l'animal, bien qu'affichant des allures de cosaque, se transforme en un monstre issu des bas-fonds des quartiers les plus insalubres, les actes de bravoure apparaissent comme de salutaires provocations, car l'humour est convoqué pour chasser toutes les phobies et angoisses convoquées.
Nous retrouverons certains d'entre eux au Circo Zingaro (Igor, Branlo et Bartabas) et dans la Volière Dromesko (Igor et Lily).
[1] Jean-Pierre Thibaudat, Dromesko, Souvenirs d'Igor, Arles, Actes Sud, L'impensé, 2010, p. 23.
[2] Gisèle et Jean Boissieu, Avignon : L'après Vilar 1968-1994, Marseille, Editions L'Autre Temps, p. 33.
[3] Jean-Pierre Thibaudat, op. cit., p. 30.
[4] Igor, cité par Jean-Pierre Thibaudat, op. cit., p. 28.