Entretien avec Michel Crespin, directeur de Lieux Publics

1985
05m 03s
Réf. 00635

Notice

Résumé :

Au cours d'un entretien dans l'enceinte du CAC de Marne-la-Vallée puis pendant la fête de l'été de la Caisse nationale du Crédit agricole de Saint-Quentin-en Yvelines, Michel Crespin, directeur de Lieux Publics, évoque les saltimbanques, traditionnels et "nouveaux", la création d'un centre dramatique dévolu aux arts de la rue et les événements à inventer à l'échelle des périphéries urbaines.

Date de diffusion :
1985
Thèmes :

Éclairage

Sur décision gouvernementale, une politique de villes nouvelles est décidée en 1965. Pour faire face à l'importance de la croissance démographique, cinq centres urbains sont créés : Cergy-Pontoise, Évry, Saint-Quentin-en-Yvelines, Marne-la-Vallée et Sénart. Ces villes, à la différence des banlieues dortoirs, doivent devenir des bassins de vie qui réussissent à fixer la population sur place. Le développement de l'action culturelle fait partie de cette mission.

À Marne-la Vallée, un Centre d'action culturelle est implanté dans l'ancienne ferme de la chocolaterie Menier, encore à l'état de friche. Fabien Jannelle en est nommé directeur en 1979. Il n'y a pas de salle de spectacle, la ville est en chantier, principalement habitée par de jeunes couples avec enfants. Jannelle fait appel à Michel Crespin, rencontré lors de la Falaise des fous (voir ce document), pour expérimenter des propositions en espace ouvert à la mesure de cet environnement. Sont ainsi réalisés en 1981 Ballon mère, Ballon enfant et Air, Rock et Feu et, en 1983, Air et Aérien, événement multiforme auquel participent notamment Michel Crespin avec Saut haut et Pierre Sauvageot, musicien et futur directeur de Lieux Publics, avec Faux Vent.

Lieux Publics, "Centre international de création pour les pratiques artistiques dans les lieux publics et les espaces libres", est fondé en 1983. Structure autonome associée au CAC, il se donne cinq missions : la création spectaculaire; la réflexion, avec l'organisation de rencontres professionnelles, Les Rencontres d'Octobre; la formation, en accueillant l'école de trapèze Jean Palacy; l'information, avec la création du Goliath, répertoire des artistes de rue et de cirque; la diffusion, en inaugurant Éclat, festival européen de théâtre de rue (voir ce document). Michel Crespin et Lieux Publics quitteront Marne pour Marseille en 1990.

Le Théâtre de l'Unité a déployé ses activités à Saint-Quentin-en Yvelines de 1978 à 1983. Il y a notamment inventé le mémorable Carnaval des Ténèbres et créé en 1980 La Femme-Chapiteau évoquée dans cet extrait (voir ce document). Jacques Livchine y invite les spectateurs à assister à une adaptation pour souris de Roméo et Juliette sous la jupe volumineuse d'Hervée de Lafond. On aperçoit aussi dans ce reportage un fragment du duo typiquement "nouveau saltimbanque" joué par Michel Crespin et Annick Hémon dite "Puce", Roger et Lucie ou "Monsieur Roger, l'homme qui ne craint pas la douleur et Madame Lucie, la seule femme qui n'a pas peur de Monsieur Roger". Le passage du registre forain à la dimension monumentale caractérise l'évolution des arts de la rue au cours des années 80.

Documentation

- Dir. Marcel Freydefond et Charlotte Granger : Le Théâtre de rue, un théâtre de l'échange, Louvain-la-Neuve, Études théâtrales, 2008

- Lieux Publics, Annuel 84

Sylvie Clidière

Transcription

Journaliste
Si à Beaubourg les saltimbanques traditionnels ont toujours leur place, à Marne-la-Vallée, la structure qui a pris le nom de Lieux publics, cherche de nouvelles formes de spectacles, qui permettraient d’animer ces villes nouvelles. Lieux publics est né de la rencontre en 1981 à la falaise des fous, qui fut le plus grand rassemblement de saltimbanques depuis une centaine d’années ; entre Fabien Jannelle, directeur de centre d’action culturelle, et Michel Crespin, de la génération des nouveaux saltimbanques.
Michel Crespin
Ce que j’appelle les nouveaux saltimbanques c’est vrai, c’est cette génération qui à partir de 65, les précurseurs 65, 68 bien sûr, complètement amplifie le phénomène donc de la rue et… en entre autres donc de l’expression artistique dans la rue, et puis ensuite ceux qui ont tenu, ceux qui ont continué, qui … pour qui c’était très, très important de travailler artistiquement dans la rue ont continué à… et ça a donné donc ce « mouvement » entre guillemets. C’est ça, les autres et bien ce sont ceux qui sont… de tradition familiale qui, historiquement sont les saltimbanques, les cogne-trottoir et autres artistes de rue, au tapis ou au cirque, puisqu’y a très souvent un passage du cirque à la rue et au music-hall pour certains gens.
Journaliste
Soutenu par le ministère de la culture, accueilli par le centre d’action culturelle de Marne-la Vallée, Lieux publics peut être producteur de ses propres spectacles ou sollicité pour la mise en place d’un projet. Il s’y intègre ; comme par exemple ici, lors de la fête de l’été de la caisse nationale du crédit agricole à Saint Quentin en Yvelines. Pourquoi avoir fait appel à des saltimbanques pour l’organisation de votre fête plutôt qu’à une autre forme de spectacle ?
Intervenante
Alors l’autre forme de spectacle on l’avait fait l’année dernière, c'est-à-dire qu’on avait associé le théâtre, la musique et la danse et beaucoup de chose se passaient à l’intérieur, mais on avait aussi fait appel à la même troupe de théâtre, le théâtre de l’unité ainsi qu’à Michel Crespin qui anime Lieux Publics et qui avait déjà amené le manège et quelques attractions pour les enfants ainsi que la Femme chapiteau pour … en ce qui concerne le théâtre de l’unité. Et on s’est aperçut que finalement les gens autour du buffet qui étaient dehors se baladaient pas mal et avaient plus… bon, comment dire… euh… l’envie d’être dehors et une animation dans les jardins. Et on se disait aussi que c’était dommage de pas utiliser les jardins qui sont quand même assez magnifiques et Michel Crespin donc, qui était là, avait eu l’idée en même temps que nous de dire l’année prochaine il faut absolument qu’on fasse une animation de rue.
Journaliste
Est-ce que vous n’êtes pas plus porche du cirque que du spectacle de rue ?
Michel Crespin
Non, non, je crois que ce que vous venez de voir c’est spécifiquement le spectacle de rue. Le cirque et la rue c’est différent, ce sont des choses différentes même si ce sont parfois, des fois les mêmes artistes qui la font. Mais la rue c’est la difficulté de la voix, c’est le public que l’on voit etc. déjà le cirque il y a des éclairages, le spectateur est assis sur un siège, il a une position assez idéale, qui est la position en cercle, que l’on a d’ailleurs dans la rue hein. Mais disons que dans la rue quand même y a tout ces bruits, les gens qui peuvent intervenir etc…. non la rue et le cirque sont des choses complètement différentes. J’ai inventé une structure qui permet de réfléchir des créations d’espaces ouverts donc la rue, mais qui ont… qui prennent en compte…. qui prennent en compte entre autre, le monumental, entre autre pour intervenir dans les périphéries des villes. Avec un numéro forain tel que vous l’avez vu, on n’intervient pas, on peut pas, on n’existe pas dans les périphéries des villes. On est trop petit. Par contre, un certain nombre d’évènements donc, j’utilise le terme d’évènement, un certain nombre d’évènements permettent d’être à l’échelle et donc avec des plasticiens, avec de la musique, avec des moyens, et une technologie, effectivement on peut exister et à ce moment là faire qu’il se passe quelque chose dans ces périphéries, alors que c’est pas avec un spectacle forain comme on l’a cru qu’il se passera quelque chose dans les périphéries. Maintenant, le fait de créer un centre dramatique des arts de la rue, permet, effectivement d’une part d’avoir la reconnaissance institutionnelle, c'est-à-dire de faire prendre en compte le travail de création que ces artistes font, et d’autre part d’avoir les moyens de ces créations, un bon numéro, un bon numéro euh… ramasse de l’argent à la manche hein ! Et y a des artistes qui continuent à travailler à la manche et qui ne font que ça d’ailleurs. John Guez qui est un excellent artiste de rue, en fait ne vit essentiellement que de la manche qu’il fait sur le plateau Beaubourg. Parce qu’en plus lui, c’est…c’est comme ça qu’il a envie. Non, je crois que ce sont des démarches parallèles. C’est vrai que maintenant de plus en plus, les artistes signent des contrats mais bon, disons que les… temps ont changé, mais que ça n’empêche pas l’investissement artistique des artistes et qui le font, qui font la rue.
Journaliste
Si depuis une quinzaine d’années, les hommes vont sur la lune, y a bien plus longtemps que les saltimbanques nous emmènent dans leurs étoiles. Nouveaux saltimbanques, ou traditionnels, ils ont la même passion, ils nous font partager leur moment spectacle éphémère. Arrivent à nous faire croire à la magie et à la réalité du rêve. Ils cherchent, ils inventent et trouveront toujours dans la rue, ce public qui les attend.