Vieux travestis et tendresse salvatrice
Notice
Sur une idée de Vanessa Van Durme, acteur devenu actrice, le chorégraphe Alain Platel, le metteur en scène Frank Van Laecke et le compositeur Steven Prengels créent en 2010 Gardenia pour sept vieux travestis.
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Éclairage
Poète des humanités en marge, le turbulent fondateur des Ballets C de la B, à Gand, s'est fait connaître en 1993 avec Bonjour madame, comment allez-vous, il va sans doute pleuvoir, etc, une chorégraphie « brute de décoffrage » fondée sur l'exposition sans fard des rapports humains. Entre grâce et trivialité, Platel a trouvé sa marque de fabrique, celle d'une œuvre étonnante dans laquelle le plus grand raffinement se mêle au prosaïsme le plus cru. Dans Bernadetje (créé en 1996, et accueilli à Paris au Théâtre de la Bastille en 1997), en collaboration avec le dramaturge Arne Sierens, il propulsait des jeunes gens dans un manège d'autos-tamponneuses, transposé sur scène, et parvenait à convoquer, sans chichis ni faux-semblants, toute la gouaille d'une adolescence rugueuse. Dans un contexte tout à fait différent, mais dans le même registre, Alain Platel signe en 2010 le magnifique Gardenia. Ici, les « héros » sont huit anciens artistes travestis, dont la moyenne d'âge oscille entre cinquante-six et soixante-sept ans. « Les démarches sur le plateau en pente, hésitantes, semblent mener de la boîte à la maison de retraite : des paillettes noctambules aux somnifères. Triste comme un dimanche. Tout au premier degré, on va de l'homme à la femme, de l'employé de bureau à l'artiste, du costard à la panoplie féminine. Les metteurs en scène n'ont pas gommé le « mauvais goût » : perruques de traviole, blondeurs Madonna, tics comme des clins d'œil trop appuyés, mains sur les hanches en position matrone, faux cils, robes de divas », écrit le journal Libération lors du festival d'Avignon 2010 [1].
A l'origine de ce spectacle transgenre, loin des clichés : Vanessa Van Durme. Etudiant en art dramatique au conservatoire de Gand, c'est en tant que jeune acteur prometteur qu'il commence au Nederlands Toneel Gent. Un changement de sexe plus tard, elle est cette Vanessa grande gueule d'amour qui racontera son parcours dans un solo, Regarde maman, je danse, mis en scène par Frank Van Laecke, star du théâtre et de l'opéra en Belgique. Alors auteur pour la télévision ou le théâtre de boulevard, Alain Platel lui fera prendre une autre direction en la distribuant dans le rôle d'une mère courage, Tosca, dans la pièce Tous des Indiens (1999). Inspirée par le documentaire Yo soy asi [2], qui conte les déboires d'un cabaret barcelonais de travestis qui ferme ses portes, Vanessa Van Durme convainc sans peine Alain Platel et sa « tendresse salvatrice », Franck Van Laecke, qui cosigne la mise en scène, et le compositeur Steven Prengels, de l'aider à réaliser le projet de spectacle. « Gardenia parle d'espoir, de ces maisons de confiance qui ont disparu, du temps qui passe. C'est une salle de spectacle rêvée où se joue la dernière revue de notre troupe. Mais aucun ne veut arrêter », confiait Vanessa Van Durme [3]. Et le titre, Gardenia ? C'est le nom d'une fleur blanche qui ne vit qu'un jour...
[1] Marie-Christine Vernay, « Gardenia, débauche chorégraphique fleurie », Libération, 12 juillet 2010.
[2] Yo soy asi, film de Sonia Herman Dolz, 2000.
[3] Philippe Noisette, Journal du Théâtre national de Chaillot, novembre 2010.