VSPRS, chorégraphie d'Alain Platel
Notice
Après Purcell, Bach et Mozart, le chorégraphe flamand convoque dans Vsprs la musique de Monteverdi, qui évoque à ses yeux la dévotion religieuse, mais qu'il combine, dans un registre qui s'ouvre au jazz et aux consonances tziganes, au sens de la transe.
- Europe > Belgique
- Europe > France > Ile-de-France > Paris > Théâtre de la Ville
Éclairage
Avec un brio où grâce et trivialité imbriquent leurs racines, le chorégraphe belge Alain Platel a déluré la danse contemporaine – comme seule avant lui, Pina Bausch l'avait entrepris -, faisant cabaret d'un théâtre des corps livrés à l'audace de leurs débords. En poète du désordre, il a semé avec les fresques pagailleuses des Ballets C. de la B., l'insolente vitalité d'une humanité de bric et de broc, trouvant le juste ton d'une théâtralité de la déglingue, cependant affranchie d'un réalisme social auquel certains voulaient le réduire. C'est avec Bonjour madame, comment allez-vous, il fait sans doute pleuvoir, etc., qu'Alain Platel s'est fait connaître, en 1993. Chorégraphe de la mouise ? Pas seulement. Car très tôt, un certain lyrisme se dégage des humanités malmenées qu'il met en scène. C'est alors un alliage unique de trivialité et de grâce que réussit à forger Alain Platel.
A partir de La Tristeza Complice, en 1995, sur des musiques de Purcell réorchestrées à l'accordéon, il commence à donner forme, sur le vif d'une verve expressive haute en couleurs, à une sorte d'opéra contemporain fort éloigné des conventions du genre (voir la vidéo). Il rééditera semblable aventure en compagnie de Jean-Sébastien Bach avec le tumultueux Iets op Bach (1998), puis avec Mozart dans le tout aussi intrépide Wolf, créé en 2003 dans la Cour d'honneur du Festival d'Avignon (voir la vidéo).
C'est à partir des chaudes couleurs de Monteverdi qu'Alain Platel crée ensuite Vsprs, en 2006. Le madrigaliste italien, précurseur de l'opéra au tournant des XVIe et XVIIe siècles, avait déjà inspiré, en 1988, le mémorable Ottone, Ottone d'Anne Teresa De Keersmaeker. La chorégraphe avait alors puisé dans Le Couronnement de Poppée les fils chatoyants d'une fresque riche en surprises. Alain Platel, pour sa part, jette l'ancre dans Les Vêpres de la Vierge, monument d'art sacré, publié par Monteverdi à Venise en 1610. « J'avais seize ans lorsque j'ai entendu pour la première fois Les Vêpres de la Vierge, par une journée estivale torride, dans une église gantoise », indiquait le chorégraphe à la création. « On y utilisait des instruments baroques authentiques qui jouaient un peu faux à la fin de chaque partie. Il fallait donc les accorder en permanence. Je pouvais alors siffler intégralement Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi... C'était, à mes yeux, une des œuvres de dévotion la plus aboutie ». De quelle « dévotion » parle-t-il ici ? La liturgie brinquebalante de ses spectacles manifeste une sorte de religiosité profonde - certes humaine bien plus que divine-, et ce qu'il met en scène, sous des contours parfois extravagants, n'a rien d'hérétique. En conjuguant Purcell, Bach ou Mozart ou Monteverdi, dans Vsprs, avec les déliés d'une geste contemporaine, Platel ne se contente pas de célébrer un répertoire musical classique, mais il le fait rejaillir d'une façon absolument inouïe. Rien d'autre, au fond, qu'un travail d'interprétation dans lequel la musique demande à être vue d'un œil neuf.
Dans Vsprs, la trouvaille aura été de fondre Monteverdi dans un swing jazzistique aux consonances tziganes. Fabrizio Cassol, le saxophoniste du groupe Aka Moon (feu follet qu'Anne Teresa de Keersmaeker avait déjà invité dans In Real Time et I said I) élabore cette fusion musicale, aux surprenantes potentialités. Le second ressort d'une vision engendrée par la musique aura été la présence des musiciens sur scène – quasiment dans le feu de l'action. Vsprs réunissait en effet les musiciens baroques de l'ensemble Oltremontano et une soprano (Claron McFadden ou Maribeth Diggle), les musiciens de jazz d'Aka Moon et les virtuoses manouches Tcha Limberger et Vilmos Scikos. Une quête de l'extase, également nourrie lors des répétitions par la vision de films de Jean Rouch, qui saurait marier l'Occident chrétien avec des sensualités plus orientales et nomades.