Maria Callas interprète Norma à l'Opéra de Paris en 1964

21 mai 1964
09m 48s
Réf. 01100

Notice

Résumé :

À l'occasion de la première apparition de Maria Callas en tant qu'artiste invitée à l'Opéra de Paris, pour huit représentations de la Norma de Bellini, à partir du 22 mai 1964, reportage sur les coulisses de la répétition générale, avec interviews de Georges Prêtre, Franco Zeffirelli, Emmanuel Bondeville et Georges Auric, et court extrait du 1er acte de l'opéra de Bellini.

Date de diffusion :
21 mai 1964
Source :

Éclairage

Trop rares furent les apparitions de Maria Callas à l'Opéra de Paris : dans les années cinquante, alors qu'au faîte de sa technique vocale, elle régnait sur La Scala de Milan, elle ne paraît qu'une seule fois au Palais Garnier, le 19 décembre 1958, pour un Gala Marie Claire resté fameux. Évènement aussi musical que mondain, où celle qui a alors le statut de diva fait la conquête du Tout-Paris en interprétant quelques airs d'opéra sous forme concertante, puis le deuxième acte de Tosca de Puccini. L'ensemble, qui fut la première captation télévisée depuis le Palais Garnier, a été heureusement préservé en vidéo et commercialisé depuis. Mais c'est seulement en 1964, à l'invitation de l'Administrateur de l'époque, Georges Auric, et du Directeur Emmanuel Bondeville - œuvrant tous deux alors à un formidable renouvellement artistique du répertoire de la Réunion des théâtres lyriques nationaux - qu'elle paraît enfin sur la scène de l'Opéra Garnier pour huit représentations de la Norma de Bellini.

Sous la baguette du jeune George Prêtre (dont elle avait fait la connaissance en 1961 pour l'enregistrement de son disque récital Callas à Paris), et dans une production au naturalisme historique élégant et racé signée Franco Zeffirelli (rendant parfaitement hommage à l'esprit romantique de l'œuvre - l'une des plus représentatives de son époque), la Callas domine de sa présence impériale, et malgré le déclin sensible de sa voix, un spectacle où brillent également le Pollione de Franco Corelli et l'Adalgisa de Fiorenza Cossotto. Cette production de Norma sera pour Callas la dernière, alors qu'elle interprète depuis sa prise de rôle à Florence en 1948 le rôle emblématique de la druidesse. C'est avec ce rôle qu'elle a rendu au bel canto romantique, alors tombé en désuétude et trahi depuis près d'un siècle, ses vraies lettres de noblesse, suscitant ce qu'on considère désormais comme une véritable renaissance du genre. La Callas donne ainsi au bel canto une importance historique plus considérable encore qu'à ses autres interprétations, pourtant magistrales, du répertoire plus tardif du XIXe° siècle.

Le reportage d'actualité tourné pendant la générale permet de voir les seuls extraits filmés de Callas en ce rôle majeur, dans la scène précédant le fameux Casta Diva, hélas absent. Vêtue de blanc, de pourpre et d'or, la tête ceinte de laurier, elle offre pour son invocation à la lune l'une des images les plus transcendantes qui soit d'une véritable Diva romantique.

Callas ne reviendra à l'Opéra de Paris que pour neuf représentations de Tosca en février-mars 1965, puis une ultime série de cinq Norma, abandonnant la dernière au 2e acte, le 29 mai de la même année, avant une ultime Tosca à Londres, le 5 juillet, qui marquera ses adieux définitifs à la scène. La production sera reprise en 1972, avec entre autres Monserrat Caballé.

Pierre Flinois

Transcription

(Musique)
Journaliste
L’Opéra de Paris présente à partir de demain soir une très grande reprise, celle de la Norma de Bellini interprétée par Madame Maria Callas. Nous avons assisté à la dernière répétition sur la scène du Palais Garnier. Georges Prêtre dirige l’orchestre et les chœurs de l’Opéra dans cette œuvre, l’une des plus belles de la musique italienne.
(Musique)
Journaliste
Madame Maria Callas incarne avec un talent et une autorité remarquable une Norma forte et romantique, tout à fait dans l’esprit de la musique de Bellini et du livret de Romani, créés en 1831 à la Scala de Milan.
(Musique)
Journaliste
Monsieur Georges Auric, vous êtes administrateur de la Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux. Madame Callas vient chanter demain soir à l’Opéra de Paris, la Norma. C’est en fait la première fois que Madame Callas chante à l’Opéra en tant qu’artiste de l’Opéra, n’est-ce pas ?
Georges Auric
En effet, elle a chanté à l’Opéra, je crois, voici trois ans mais pour une soirée de gala uniquement, pour cette soirée de gala et au contraire, cette année-ci, nous avons la joie de l’avoir ici pour huit représentations de la Norma de Bellini. Je vous avoue très franchement que cette acceptation de Madame Callas a été pour moi une très grande joie. Voici déjà plusieurs mois que j’ai eu l’occasion de la rencontrer pour parler de ce projet qui me passionnait particulièrement. J’ai toujours été émerveillé, contrairement à ce que de mauvais esprits avaient peut-être laissé entrevoir, j’ai toujours été émerveillé de son caractère absolument exquis, de la façon dont elle a tout compris dans ce que je lui exposais au sujet de ces représentations de la Norma ; et d’autre part, je suis émerveillé, et je tiens à le dire, par la perfection de ce qu’elle apporte dans cet opéra de Bellini.
Journaliste
Monsieur Zeffirelli, vous êtes le metteur en scène italien de la Norma. C’est la première fois que vous mettez en scène à l’Opéra de Paris ?
Franco Zeffirelli
Non, moi, je suis déjà venu à l’Opéra de Paris il y a trois ans je crois, avec Lucia di Lammermoor , mais c’était une proposition en anglais, avec Mademoiselle Sutherland et c’est le spectacle qui venait d’Angleterre déjà fait.
Journaliste
C’est donc en fait, la première fois que vous faites une création originale ?
Franco Zeffirelli
Une création originale et c’est ma deuxième fois, la deuxième fois que je fais Norma dans ma vie. Je l’ai montée il y a sept ans en Italie.
Journaliste
Alors, comment se présente Norma pour un metteur en scène moderne ?
Franco Zeffirelli
C’est très simple. Pour commencer, il faut comprendre la musique et aimer la musique de Bellini, et accepter les conditions et les styles de l’époque dans laquelle Bellini écrivait cette œuvre. Alors il ne faut pas chercher de la moderniser trop parce que ça créerait un contraste négatif dans l’ensemble. Et la musique de Bellini doit être surveillée de la façon scénique avec les goûts scéniques du début du XVIIIe siècle ; et comprendre très bien les moments critiques des normes, les points critiques des normes, qui étaient un pont entre Gluck et Verdi. Il y a beaucoup de XVIIIe dans le style général de l’opéra et en même temps, c’est une fenêtre ouverte sur le romantisme.
Journaliste
Monsieur Bondeville, vous êtes directeur de l’Opéra et vous avez à la fois de la Norma et de Madame Callas un souvenir ou des souvenirs qui remontent à 1952, n’est-ce pas ?
Emmanuel Bondeville
Oui, des souvenirs très précis. En février 1952, je suis parti à la Scala pour entendre des artistes italiens et précisément jouer Norma. Norma, avec Madame Callas dans le rôle principal, Madame Stignani dans le rôle d’Adalgisa, Penno dans le rôle du ténor et Rossi-Lemeni dans le rôle de la basse. Et aujourd’hui, pendant les répétitions, je puis mettre à profit les souvenirs que vous me permettez d’évoquer en ce moment, souvenirs d’une puissance incomparable ; et en regardant Madame Maria Callas travailler, en l’entendant, je me rends compte qu’il y a chez elle des facteurs d’exception. Des facteurs d’exception, par exemple, dans le style d’une perfection incroyable, dans l’art du geste qui est aussi beau que celui que les plus grands sculpteurs ont connu ou ressuscité et encore une fois, c’est un exemple incomparable que nous recevons, c’est un souvenir magnifique aussi que nous allons garder. Pour ma part, je le garderai pour une deuxième fois. C’est très beau et c’est très rare.
(Musique)
Journaliste
Georges Prêtre, vous dirigerez demain Madame Callas et l’Orchestre de l’Opéra dans la Norma. Pourquoi cet opéra, qui est l’un des plus beaux de la première moitié du XIXe siècle, est-il peu joué ?
Georges Prêtre
Et bien, cet opéra était peu joué parce qu’il demande surtout, tout repose sur le rôle de Norma, il demande une grande tragédienne lyrique.
Journaliste
Une grande tragédienne qui est Madame Callas ?
Georges Prêtre
Qui est Madame Callas et je crois justement que c’est elle qui a repris la Norma parce que c’était un rôle superbe pour elle.
Journaliste
En quoi, selon vous, Madame Callas est une grande tragédienne ?
Georges Prêtre
Non seulement elle chante, elle sent ce qu’elle chante, elle joue ce qu’elle chante. Alors ça quand même, c’est assez rare.
Journaliste
Comment se présente la partition de la Norma ? Comment l’avez-vous travaillée ?
Georges Prêtre
Je l’ai travaillée... tout d’abord, je dois vous dire que la partition me semblait, l’orchestration parfois un peu pauvre, mais je me suis trompé. Quand je l’ai travaillée avec Madame Callas, j’ai vu que même ces formules qui pourraient sembler formules d’accompagnement avaient un souffle, et justement avec elle, il n’y a plus de formule d’accompagnement.
Journaliste
Qu’est-ce que vous appelez des formules d’accompagnement ?
Georges Prêtre
Formules d’accompagnement, par exemple,
(Musique)
Georges Prêtre
C’est très dépouillé, ça semble très dépouillé. La difficulté est là dans l’orchestre d’ailleurs. C’est devoir soutenir le souffle, soutenir le phrasé, mais cette partition très dépouillée est superbe et vous avez des mélodies extraordinaires durant toute la pièce.
(Musique)