Le Sacre du Printemps de Stravinski vu par Cocteau et entendu par Auric
Notice
Jean Cocteau évoque le fameux scandale de la création du Sacre du Printemps hué par le public en 1913 au Théâtre des Champs Elysées. Georges Auric évoque le triomphe, beaucoup moins connu, du Sacre du Printemps lors de sa première exécution en concert, l'année suivante au Casino de Paris, toujours sous la direction de Pierre Monteux et en présence de Stravinsky.
Éclairage
Jean Cocteau (1889-1963) et Georges Auric (1899-1983) sont des amis de longue date. Cocteau est l'instigateur du fameux Groupe des Six (réunissant les compositeurs Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre) dans les années 1920, et tous deux ont collaboré aux Ballets Russes, puis à l'Opéra de Paris avec Phèdre en 1950.
Jean Cocteau débute sa carrière chez Diaghilev : à dix-neuf ans, fasciné par Nijinski et la danse, il se faufile dans les coulisses du Châtelet, désireux de s'intégrer à la compagnie. On connaît la condition que lui impose Diaghilev : « Etonne-moi ».
Cocteau qui possède un don inné pour le dessin réalise de vivantes caricatures de Nijinski, Diaghilev, Stravinski, Pavlova et autres célébrités, témoignages d'une valeur inestimable. En 1911 Diaghilev lui commande deux affiches, dont celle de Karsavina (conservée dans le foyer du Théâtre du Châtelet). En 1912 il écrit l'argument du Dieu Bleu, musique de son ami Reynaldo Hann. Succès modeste, malgré la présence de Nijinski dans les splendides décors et costumes de Léon Bakst. En 1913, Cocteau présent au scandale de la création du Sacre du Printemps rédige de nombreux articles relatant l'évènement. L'année suivante il propose à Stravinski un nouveau ballet. Malheureusement la guerre fait échouer le projet.
Jean Cocteau ne provoque pas moins un scandale en pleine guerre, le 18 mai 1917 au Théâtre du Châtelet, avec Parade. Il est l'auteur de l'argument, Massine de la chorégraphie, Satie de la musique et Picasso des décors et costumes. Cocteau incite Eric Satie à truffer sa partition de bruitages, machines à écrire, sirènes etc... Le public est furieux et en sortant un spectateur lance à sa femme : « Si j'avais su que c'était si bête, j'aurais amené les enfants ! »
Jean Cocteau écrit encore pour les Ballets Russes Le Train Bleu avec Milhaud, Nijinska, Picasso, Coco Chanel et Henri Laurens en 1924. Trois ans plus tard il rédige pour le vingtième anniversaire des Saisons Russes de Diaghilev le texte de Oedipus Rex mis en musique par Stravinski. Cocteau dessine également décor et costumes, et jouera même le récitant lors de sa reprise en 1950 sous la direction de Stravinski.
Entre temps il imagine en 1946 au Théâtre des Champs Elysées son chef d'œuvre Le Jeune Homme et la Mort pour Jean Babilée, chorégraphie de Roland Petit. Enfin, pour Serge Lifar, un ami de vingt ans, il imagine le livret, les décors et costumes de Phèdre sur la musique de Georges Auric. Ballet crée à l'Opéra de Paris en 1950 et repris de nombreuses fois, notamment en septembre 2011.
Georges Auric n'en est pas à son premier essai chorégraphique : il compose pour les Ballets Russes Les Facheux, décors et costumes de Braque en 1924, et l'année suivante Les Matelots pour lancer le nouveau protégé de Diaghilev, Serge Lifar, 20 ans, à la Gaité Lyrique.
Georges Auric écrit également les musiques de trois ballets pour Balanchine : La Pastorale créé par les Ballets Russes en 1926, puis après la mort de Diaghilev La Concurrence en 1932 à Monte-Carlo, et enfin en 1978 Balanchine lui commande pour le NYCB la partition de Tricolore dont il confie la chorégraphie à Peter Martins, Jean-Pierre Bonnefous et Jerome Robbins. Ce dernier qui règle le tableau Marche de la Garde Républicaine a lui-même créé vingt ans plus tôt le ballet 3x3 sur une musique de Georges Auric.
Plus connu par ses musiques de film pour René Clair (A nous la liberté) et Jean Cocteau (L'éternel retour, Orphée, etc...) sans oublier son tube Moulin-Rouge, Georges Auric joue pourtant un rôle important dans l'histoire de la danse. Nommé directeur de l'Opéra de Paris en 1961 c'est lui qui permet à Maurice Béjart (La Damnation de Faust) et Roland Petit (Notre-Dame de Paris) de faire d'éclatants débuts au Palais Garnier, et c'est encore lui qui programme une mémorable soirée Béjart-Stravinski-Boulez, avec la création de Renard et l'entrée au répertoire de Noces et du Sacre du printemps en avril 1965.