Rudolf Noureev
Introduction
Artiste, danseur, bête de scène, chorégraphe, sex symbol, star... Rudolf Noureev a tout d'une splendide anomalie. Jamais un homme n'a fait miroiter autant de facettes et concentré l'attention du public aussi longtemps. Son talent immense, sa carrière en rapport, ses excès passionnels, son invention permanente d'un parcours unique en son genre composent un kaléidoscope toujours changeant. Avant même sa mort, le 6 janvier 1993 à l'âge de 54 ans, le danseur le plus photographié au monde était déjà une légende. Il a laissé derrière lui, outre un immense héritage, un répertoire de grands ballets classiques revus par ses soins qui constitue aujourd'hui le fonds de commerce du Ballet de l'Opéra de Paris.
Une vie
Une saga de cinéma ! Rudolf Noureev est né le 17 mars 1938 à bord du Transsibérien, dans la région du Lac Baïkal. Sa mère, Farida, et son père Hamet ont eu quatre enfants : il est le seul garçon. Gamin peu costaud, vivant dans la faim et la misère - il couchait sur de la terre battue -, il habitait Oufa. Cette extrême pauvreté a construit Noureev. Très jeune, sa mère emmène la famille voir un spectacle à l'Opéra d'Oufa. Un déclic. Il intègre un cours de danse folklorique et veut devenir danseur en dépit de l'interdiction. Il a 15 ans lorsqu'il commence sa formation et entre à l'école Vaganova, à Leningrad, deux ans plus tard. Alexandre Pouchkine, professeur, le fait vite franchir toutes les étapes. Il est engagé au Kirov comme soliste et devient le Prince que toutes les étoiles s'arrachent comme partenaire.
Lorsqu'il passe à l'ouest le 16 juin 1961, à l'issue de la première tournée du Kirov à Paris, il accède à une célébrité mondiale. Trop dissipé, Noureev est sommé de rentrer à Moscou. C'est à l'aéroport du Bourget, alors qu'il va embarquer dans un avion sous la surveillance du KGB, qu'il se réfugie auprès de douaniers français. Il est libre, sous haute surveillance et ne retournera dans son pays qu'en 1987 pour revoir sa mère. Deux ans plus tard, il redanse sur la scène de ses débuts, le Mariinski, ex-Kirov.
Un homme
Les histoires, les scandales, anecdotes, bons mots et autres formules-choc, explosent l'image de Rudolf Noureev en éclats contradictoires. Beau, flamboyant, charismatique, séducteur et sexy, mais encore agressif, brutal, le danseur à qui « personne n'arrivait à la cheville » selon ses propres termes provoquait des émeutes lorsqu'il apparaissait. A la Une de tous les journaux et tabloïds, il est l'ami de Jackie Kennedy, de la Princesse Margaret, mais encore de Mick Jagger et de Freddie Mercury. Son appétit sexuel défraye la chronique. Il devient une icône érotique et politique, emblème du mouvement de libération des années 60. « En pleine guerre froide et expansion de la culture de masse capitaliste, il est la bonne personne au bon moment, commente l'écrivain Christophe Fiat qui a écrit un spectacle intitulé Rudolf Noureev is dead . Il séduit les foules, apparaît en compagnie de femmes riches comme Jackie Kennedy mais ses amants sont ses escorts boys. »
Il mourra du sida en 1993. Bosseur forcené, il n'a eu de cesse de dépasser ses limites et de sublimer sa taille moyenne (1,73 m). Les contradictions s'accumulent pour dresser le portrait complexe et fascinant d'un homme magique. « Naïf et timide à sa façon » selon le danseur étoile de l'Opéra Charles Jude, qui fut son ami pendant vingt ans. « Sentimental qui rêvait d'avoir une famille » dit la danseuse Florence Clerc.[1] Invité sur les scènes du monde entier, vivant dans les différentes maisons - et même sur l'île de Galli (Italie) - qu'il possédait un peu partout, il brûlait la vie par les deux bouts.
L'Après-midi d'un Faune de Nijinski dansé par Noureev
[Format court]
Ultime séquence du ballet de Nijinski, depuis la fuite de la Première Nymphe, jusqu'à l'extase finale du Faune sur le châle qu'il lui a dérobé. Scène tournée lors d'une répétition en costume et dans les décors de Léon Bakst au Théâtre du Châtelet, où Rudolf Noureev se produit en 1982 avec le Ballet de Nancy dans un hommage à Serge Diaghilev.
[1] Le Monde, 7 janvier 2003.
Un danseur
Noureev a tout dansé ! Les ballets classiques comme les œuvres contemporaines et tout ce que l'on peut imaginer entre ces deux extrêmes. Chacune de ses interprétations lui a permis de faire un point sur les rôles et de mesurer sa capacité à évoluer. Sans cesse. Sans fin. Jeune étoile au Kirov à la fin des années 50, il demandait à l'un de ses amis de le filmer au travail pour pouvoir ensuite améliorer ses prestations. Si sa petite taille a été effectivement un complexe - il avait fait dessiner des modèles de pourpoint spéciaux pour allonger ses bras -, il a su en tirer des accents uniques et flamboyants.
Répétition de Paradis perdu avec Roland Petit, Margot Fonteyn et Rudolf Noureev
[Format court]
Diffusé le soir de la première de Paradise Lost à Covent Garden, ce court reportage montre Rudolf Noureev, un gros bonnet de laine enfoncé jusqu'aux oreilles, répéter avec Margot Fonteyn et Roland Petit le ballet que ce dernier crée pour eux, accompagnés au piano par le compositeur Marius Constant. Les artistes répondent aux questions posées en rivalisant de charme, de séduction et de bonne humeur.
Interprète somptueux de tous les rôles de Prince, il a revitalisé le rôle masculin principal et redoré le blason du danseur. Il fait découvrir au public les grands ballets de Marius Petipa qu'il a contribué à rendre populaire en Europe. Il les remontera et en proposera des versions personnelles dès 1967. Devenu l'une des étoiles du Royal Ballet en 1962, il aura pour partenaire d'élection Margot Fonteyn avec laquelle il formera un couple exceptionnel en dépit de leur différence d'âge dans de nombreux ballets dont Marguerite et Armand, chorégraphié pour eux en 1962 par Frederick Ashton.
Deux solos du Lac des cygnes par Noureev
[Format court]
Ces deux solos du Prince sont extraits du premier Lac des Cygnes chorégraphié par Noureev pour le Ballet de l'Opéra de Vienne en 1964, et dont il est le principal interprète avec Margot Fonteyn. Cette production fut filmée en 35 mm, en couleurs, et publié par Unitel en vidéocassette deux ans plus tard. Nous voyons ici en entier les deux solos ajoutés par Noureev et chorégraphiés par et pour lui à la fin du premier acte.
Sur le versant néo-classique, il a interprété des pièces de Martha Graham, Paul Taylor, Glen Tetley, John Neumeier, Jiri Kylian, George Balanchine, évidemment Roland Petit, Maurice Béjart qui créa le pas de deux du Chant du compagnon errant (1971), pour lui et Paolo Bortoluzzi. Curieux de tous les styles, ultra-doué pour toutes les danses, il a tout dévoré sans jamais combler son formidable appétit. Ce sont ses multiples collaborations, ses nombreux apprentissages qui lui ont donné selon Charles Jude son « style inimitable, une grande liberté dans le torse avec pourtant des ports de bras rigoureux sur un jeu de jambes virtuose. »
L'Après-midi d'un Faune de Nijinski dansé par Noureev
[Format court]
Ultime séquence du ballet de Nijinski, depuis la fuite de la Première Nymphe, jusqu'à l'extase finale du Faune sur le châle qu'il lui a dérobé. Scène tournée lors d'une répétition en costume et dans les décors de Léon Bakst au Théâtre du Châtelet, où Rudolf Noureev se produit en 1982 avec le Ballet de Nancy dans un hommage à Serge Diaghilev.
Une star
Star et bosseur, Noureev ne se refuse rien. Il devient acteur de cinéma. Pour Ken Russell, il accepte de jouer Valentino (1977) et pour James Toback Exposed (1982). Il se produit dans de nombreux films sur la danse dont des versions pour le cinéma de dix-sept ballets. Sur le tournage de Le jeune homme et la mort, ballet de Roland Petit qu'il interpréta avec Zizi Jeanmaire, ce fan de cinéma - il adorait Charlie Chaplin, Sergueï Eisenstein, Fred Astaire, Bette Davis ...-, rencontra le réalisateur Pierre Jourdan. Avec lui, il tourna en 1970 le documentaire intitulé Un danseur, « portrait un peu psychanalytique d'un danseur à travers son travail quotidien » explique le réalisateur. « J'ai aussi donné ma vision de Noureev, cette bête de scène fascinante dont les sautes d'humeur allaient bientôt prendre le dessus sur le côté tendre, merveilleusement enfantin. » Noureev, qui suivait la construction et le montage du film plan par plan, passe à son tour derrière le caméra en 1988 pour réaliser le film Casse-Noisette d'après sa propre chorégraphie avec le Ballet de l'Opéra de Paris.
Acteur, il tourne dans la comédie musicale The King and I en 1989 et fait un tabac aux Etats-Unis. Il s'essaye en chef d'orchestre et dirige notamment en 1991 Apollon Musagète de Stravinski avec l'Ensemble de Basse-Normandie et Roméo et Juliette de Prokofiev au Met avec Sylvie Guillem et Laurent Hilaire.
Le Jeune homme et la Mort de Roland Petit avec Zizi Jeanmaire et Rudolf Noureev
[Format court]
Le document s'ouvre sur Zizi Jeanmaire et Rudolf Noureev, dans une scène du Jeune Homme et la Mort filmé pour la télévision française fin 1966 aux studios de Saint Maur. Roland Petit explique comment il remanie sa chorégraphie selon ses interprètes : « Pas de confection, mais du sur mesure ». La seconde partie du reportage est consacrée au Jeune Homme et la Mort depuis le début du ballet, avec Noureev allongé sur un lit et vu des cintres, puis de face jusqu'au fameux passage acrobatique du Jeune Homme escaladant une chaise et son dossier.
Un chorégraphe
De Fred Astaire qu'il admirait, il disait qu'à l'instar de George Balanchine, il « ne suivait pas la musique mais marchait dessus. » Son sens de la formule, servi avec un fort accent russe, fait toujours la magie d'une conversation avec les danseurs français dont il a forgé le tempérament. Directeur de la danse à l'Opéra de Paris de 1983 à 1989, il sut choisir et valoriser les interprètes en les distribuant très jeunes dans de grands spectacles. Des étoiles comme Charles Jude, Isabelle Guérin, Elisabeth Platel, Laurent Hilaire, Manuel Legris, Sylvie Guillem et bien d'autres, ont profité de son enseignement. Ils ont aussi musclé leur talent grâce aux nombreuses invitations lancées par Noureev à des chorégraphes comme Jerome Robbins, Bob Wilson, Lucinda Childs et même William Forsythe qu'il révèle avec France Danse en 1983.
Don Quichotte de Noureev à l'Opéra
[Format court]
Don Quichotte constitue le premier grand ballet que Rudolf Noureev a chorégraphié d'après Marius Petipa pour le Ballet de l'Opéra de Paris, en mars 1981. Ce reportage montre l'introduction du célèbre Pas de deux final, filmée à la répétition générale. Noureev en costume de Basile, mais pas coiffé, danse avec Noëlla Pontois dans le décor... de l'acte précédent !
Noureev a remis au goût du jour les plus fameux ballets de Marius Petipa dont il proposa des relectures aiguisées tout en conservant la trame chorégraphique. Parmi les chefs d'œuvres toujours à l'affiche de l'Opéra de Paris, Le Lac des Cygnes, Don Quichotte, Raymonda ... C'est avec La Bayadère, qu'il remonte en 1992 qu'il terminera sa carrière. Il mourra le 6 janvier 1993.
Répétition de La Belle au bois dormant de Noureev au Palais des Sports
[Format court]
Très vivant reportage réalisé au Palais des Sports en janvier 1976 pendant les répétitions de La Belle au Bois Dormant dans la chorégraphie de Marius Petipa revue par Rudolf Noureev. On y découvre de larges extraits de la célèbre Valse des fleurs interprétée par le London Festival Ballet, puis Noureev en manteau et casquette de cuir intervient pour régler un problème d'éclairage. Le spectacle reprend avec la variation d'entrée de Noureev en costume du prince Florimond au second acte. On revient au premier acte avec le célèbre Adage à la Rose interprété par Eva Evdokimova en princesse Aurore entourée de quatre prétendants, et le reportage s'achève sur la seconde variation de Noureev au deuxième acte, brillant et décontracté.
Sa version de Cendrillon (1986) sur la musique de Prokofiev prend des libertés avec l'originale chorégraphié par Rostislav Zakharov. Noureev situe l'action dans des studios de cinéma hollywoodien dans les années 30 et ose un spectacle de divertissement entre films muets et comédie musicale. dans des costumes d'Hanaé Mori, Noureev fait interpréter le rôle de la marâtre par un homme travesti et sur pointes. Le résultat combine classique nerveux et burlesque insolite sans jamais perdre de vue la cruauté du conte originel.
Roméo et Juliette de Noureev au Palais Garnier
[Format court]
Pour les fêtes de fin d'année 1991 le Palais Garnier reprend Roméo et Juliette de Rudolf Noureev sur la musique de Prokofiev. Dans ce reportages de brefs extraits permettent d'admirer la scène de duel Tybalt - Mercutio (Kader Belarbi en rouge et Nicolas Le Riche en jaune), la nuit d'amour de Roméo et Juliette (Manuel Legris et Elisabeth Maurin), la fastueuse scène de bal chez les Capulet, et la mort de Juliette se poignardant sur le corps de Roméo. Pendant l'entracte, brève interview des deux protagonistes.
En construisant ses ballets, Noureev complexifie souvent les chorégraphies, celles des hommes en particulier. A la démesure de son talent et de sa virtuosité, il ajoute non seulement des pas mais des solos et des ensembles, dans Le Lac des Cygnes, La Belle au bois dormant et Casse-Noisette . Il multiplie les obstacles techniques, transforme chaque variation en bijou de complexité. Il valorise les rôles masculins et redonne au danseur une place de premier plan sans jamais perdre de vue le sens profond et l'identité stylistique d'un ballet.
Voir et revoir les ballets dont il a signé les mises en scène reste un plaisir et une leçon.