François Truffaut présente son film "Les Quatre cents coups"

09 mai 1959
04m 38s
Réf. 00055

Notice

Résumé :

Triomphe des "Quatre cents coups" lors de sa projection à Cannes, et entretien avec François Truffaut qui parle de sa position vis-à-vis du Festival et de ce qu'on appelle la "Nouvelle Vague".

Type de média :
Date de diffusion :
09 mai 1959
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Transcription

François Chalais
On l'attendait mais on n'osait presque plus y croire : un film a fait chavirer la monotonie des programmes. "Les 400 coups", de François Truffaut. Même l'oeil du jury, soudain, s'est allumé. Porté en triomphe, Jean Pierre Léaud, quatorze ans, est devenu le roi du festival. Qu'importe la désapprobation sur certains visages, qu'importent certaines erreurs, François Truffaut, c'est un homme de cinéma. Profitons de ses films avant qu'il n'en fasse des congrès. François Truffaut, l'année dernière, vous avez écrit sur le festival de Cannes les articles les plus violents qu'on n'ait jamais écrits. Alors, cette année, vous revenez à Cannes, vous représentez la France au festival. Ce sont pourtant toujours les mêmes gens qui dirigent ce festival. Qu'en pensez-vous ?
François Truffaut
Je pense que cela fait honneur à leur objectivité. De toute manière, le reproche que j'ai toujours adressé au festival, les reproches que j'ai adressés au festival se résument en un seul qui est d'accueillir un trop grand nombre de films qui n'ont rien à voir avec l'art cinématographique et d'utiliser uniquement l'article qui prévoit l'exclusion d'un film pouvant nuire à certains pays et de ne jamais utiliser tel autre article qui prévoit qu'on peut supprimer un film qui n'est pas digne du festival.
François Chalais
Comment est-ce qu'on vous a accueilli, vous-même, en haut lieu ?
François Truffaut
Très simplement, avec beaucoup de sobriété et de simplicité, mais bien.
François Chalais
Vous avez souri de part et d'autre ?
François Truffaut
Oui, et échangé de nombreuses poignées de mains.
François Chalais
Vous étiez satisfait ?
François Truffaut
Assez.
François Chalais
On a dit que vous étiez en train, avec plusieurs de vos camarades, de faire tourner le cinéma français, de le révolutionner, même. On a dit qu'une nouvelle école était créée dont vous étiez l'un des chefs. Est-ce que vous le pensez ?
François Truffaut
Je pense que si la nouvelle école existe, en tout cas, je n'en suis pas le chef mais un des représentants, et je pense même que le lien entre ceux qui la composent est très extérieur. Il concerne peut-être la façon d'envisager le tournage des films mais il n'est absolument pas esthétique. Je veux dire par là qu'une dizaine de films réalisés dans la contrainte, comme le sont la plupart des films français, ou comme l'étaient la plupart des films français, présentent beaucoup de points communs. Alors qu'une dizaine de films réalisés dans la liberté, ce qui est notre cas, se trouvent extrêmement différents les uns des autres. Et ce qui frappe quand on regarde un tableau des jeunes cinéastes et de leurs films, c'est les énormes différences de conception et d'esprit et de tour de pensée entre ces différents films.
François Chalais
On a dit aussi que "Les 400 coups", c'était un peu votre histoire personnelle ?
François Truffaut
C'est un film qui est partiellement autobiographique. Et en tout cas, ce qui n'est pas autobiographique est biographique. Autrement dit, tout est puisé dans la réalité. Rien n'est inventé.
François Chalais
Est-ce que vous pensez que vous êtes au-dessus ou au-dessous de la réalité ? Que les choses sont plus graves, que votre film, "Les 400 coups", est un film violent, est un film dur qui dénonce beaucoup de choses.
François Truffaut
Je coirs qu'il aurait été beaucoup plus violent si je l'avais tourné plus jeune et qu'il serait sans doute plus serein si j'avais attendu davantage. Mais je crois qu'il n'est jamais outrancier.
François Chalais
Il va se passer quelque chose, maintenant. C'est que maintenant que vous avez réussi, on va vous donner de l'argent pour faire des productions. Vous allez vous retrouver, probablement, dans le même état que les metteurs en scène, justement, qui ont sclérosé le cinéma français jusqu'à présent, depuis quelques années. Est-ce que vous pensez que vous allez pouvoir garder cette fraîcheur que vous avez vous, vous et vos camarades ?
François Truffaut
Il s'agit de savoir ce qui est important et de s'y tenir. En ce qui me concerne, j'essaierai de ne pas céder sur ce que je crois être l'essentiel qui est le scénario d'un film et la distribution.
François Chalais
Une dernière chose : "Les 400 coups" est un film qui est dédié à André Bazin ?
François Truffaut
En effet. Je crois que André Bazin qui était le plus grand critique cinématographique a également été presque un père pour moi. En tout cas, mon tuteur. Et je n'aurais sûrement pas fait de cinéma si je ne l'avais pas rencontré.
François Chalais
Il est mort très jeune, cette année.
François Truffaut
Il est mort très jeune, l'année dernière. Et je peux dire que mon film se termine là où ma rencontre avec Bazin a eu lieu.