Architectures rurales : l'airial du Rouncaou
Notice
A quelques kilomètres de Taller se trouve l'airial du Rouncaou, propriété des Seguin, anciens métayers, transformée depuis peu en chambres d'hôtes et camping. Dans ce lieu chargé d'histoire, exemple type de l'architecture paysanne landaise, Marie-Thérèse Seguin raconte la vie d'autrefois pendant qu'à l'extérieur les hommes s'adonnent à des activités d'un temps révolu.
Éclairage
À 7 km du bourg de Taller, entre pays de Brassenx et Marensin [1], le cœur d'un airial bat encore à Roncau. Ce dérivé du latin médiéval runcare, "défricher" [2] , rappelle une terre mise en valeur anciennement puisque le mot a disparu du lexique gascon moderne.
C'est un univers authentique. Toutes les composantes traditionnelles de l'airial planté de chênes, où hommes et bêtes se côtoient, s'y déclinent dans une belle harmonie. Tout d'abord, la maison, l'ostau, est recouverte d'un toit à quatre eaux, abrité par des tuiles-canal héritières, comme dans tout le Midi, de la tegula des Romains. Destinée à abriter deux ménages, elle s'organise en parties symétriques appelées part davant et part darrèr, "partie orientale et occidentale", séparées par des cheminées adossées.
Qu'elle soit de taille remarquable, comme à Taller, ou plus modeste, la maison landaise est montée sur une ossature de bois. Les pièces maîtresses de la semelle (sòla), les petits poteaux porteurs (estantons), et les pièces de charpente, arbalétriers (balestrèrs), entrait (trav), panne faîtière (cirman), poteaux porteurs (estants), et poinçon (cindre) sont en chêne tandis que chevrons (cabirons) et colombage (corona) sont en pin.
Tenues par un savant assemblage de tenons et de mortaises, l'ensemble est démontable, transportable et évolutif. Les récents travaux menés sur la maison, dite de Guiraute, à Sabres, apportent un éclairage intéressant sur ce concept très ancien qui permet à la bâtisse de s'adapter à la famille ou tinel [3].
On comprend, dès lors, qu'ici "le charpentier soit plus important que le maçon".
Au sud du Pays de Born, en Marensin, en Maremne et, d'une façon générale, sur toute la côte landaise, le parement de mortier est fait de chaux aérienne garni de briquettes (barrons) organisées en "feuilles de fougère", contrairement aux autres techniques employées ailleurs dans les Landes, qui utilisent plutôt un torchis fait de paille tressée, mélangée à de la terre, et badigeonné de chaux.
Allusion à l'ancienne pratique du métayage, la maîtresse de maison de Roncau, rappelle que la demeure abrite sous les combles un grenier où l'on conservait jadis le maïs partagé avec le propriétaire (lo mèste). Le métayage dans les Landes est en effet un statut bien particulier, un mode de faire-valoir indirect, apparu sans doute dès la fin de l'époque médiévale. Il consiste, suivant l'étymologie, à partager "à moitié" les revenus de l'exploitation avec le propriétaire [4]. Cet échange, qui n'est pas fondé sur l'argent comme les contrats de fermage, est plus ou moins aléatoire selon les lieux et la nature des rapports entre les hommes.
Qu'il s'appelle bordilèr, habitant une simple bòrda, hasendèr, mettant en valeur les terres comme dans les haciendas ou fazendas latino-américaines, ou meitadèir, le métayer est redevable d'un loyer en nature très variable.
Dernier avatar d'une société féodale fondée sur la soumission absolue du serf au seigneur pour les uns, structure originale fondée sur un contrat moral dans une société d'hommes libres, régie par coutumes et franchises, pour les autres, le métayage est un sujet de controverse [5]. S'il est assuré que, dans la plupart des cas, ce système reposait sur un consensus adopté par les deux parties, la condition de certains a conduit, dans l'immédiat après-guerre 14-18, à la révolte des Picatalòs [6].
Disséminés autour de la bâtisse, la sot du porc, lo porèr (poulailler), lo cariu qui abritait les mules, la hornèra (four à pain), lo cerèr (la grange)[7], lo lenhèr [8] ou grange à bois et l'étable aident à appréhender ce qu'était l'ancien mode de vie.
Les gens de Roncau, les Seguin, gardent, de fait, le souvenir des temps pas si lointains, où l'on y vivait en autarcie, produisant tout ce qui était nécessaire à la vie, de la laine des vêtements au pain quotidien. "On a travaillé comme des bêtes de somme", rappelle Marie-Thérèse, fière cependant de ce que les quatre générations précédentes ayant vécu sous ce toit ont transmis.
Agriculteurs installés sur une exploitation de 14 hectares, puis forestiers, ces anciens métayers gardent avec eux l'ancien berger de la propriété, descendant d'une lignée de pasteurs ; ils maintiennent ainsi tout l'héritage économique de la Lande passée du système agro-pastoral à la sylviculture et savent que ce mode de vie est un luxe, un retour tant espéré par des générations de citadins à l'authenticité. Alors ils donnent l'exemple, décidant de transmettre, valorisant ce qu'ils ont de plus cher. Au lieu de détruire, ils aménagent, précurseurs dans les années 1995, d'un tourisme vert thématique.
[1] FENIE, Jean-Jacques et Bénédicte, Dictionnaire des pays et provinces de France, Bordeaux : éd. Sud-Ouest, 2000, 349 pages.
[2] DU CANGE, et al., Glossarium mediæ et infimæ latinitatis, Niort : L. Favre, 1883-1887.
[3] Collectif, De la lagune à l'airial, Actes du colloque de Sabres, novembre 2009, Belin-Belliet : éd.d u Parc naturel régional des Landes de Gascogne.
[4] L'origine du mot meitadièr, "métayer", est, en gascon comme en français, le latin medietatem, "moitié" car, en théorie, la récolte était partagée en deux, entre propriétaire et fermier.
[5] DUPUY, Francis, Le pin de la discorde: les rapports de métayage dans la Grande Lande, Paris : Maison des Sciences de l'Homme, 1996.
[6] Littéralement "pique-lombrics", d'où "piocheur, paysan". Ce surnom fut donné aux métayers révoltés en 1919-1920 entre Dax, Peyrehorade et Saint-Vincent-de-Tyrosse. Contestation des baux et manifestations enflammèrent ce secteur des Landes sur fond d'action syndicale et de soleil venant de l'est. On parla même d'un "bolchevisme agraire"...
[7] Du latin cellarius qui a donné le français cellier, le cerèr est une grange à foin.
[8] Le lenhèr est l'endroit où l'on range la lenha ou "bois de chauffage". Le mot procède du latin lignum.