Le statut des femmes agricultrices

28 avril 1984
04m 09s
Réf. 00546

Notice

Résumé :

Rencontre, dans les Landes, avec trois agricultrices qui se battent pour que leur statut soit reconnu comme tel : Maïté, chef d'exploitation depuis 5 ans à la tête d'un élevage bovin, Henriette, femme d'agriculteur et vice-présidente du Modef des Landes et Michèle, chef d'exploitation depuis 4 ans spécialisé dans l'élevage de canetons.

Date de diffusion :
28 avril 1984
Source :

Éclairage

Avant la Révolution, le statut de la femme n'est pas, dans nos régions, si défavorable que dans les pays de droit coutumier de la France septentrionale : elle conservait la propriété de sa dot, du douaire que lui apportait son mari et, souvent de la moitié des biens acquis durant le mariage, tous biens qu'elle pouvait transmettre à ses propres héritiers. Devenue veuve, elle bénéficiait, du moins dans les familles paysannes les plus aisées, d'une "pension" consistant en une pièce dans la maison, un bout de jardin et une certaine quantité d'aliments qui lui permettaient théoriquement de bénéficier d'une certaine indépendance. Au XIXe siècle, et jusqu'à une période pas si ancienne, elle n'est plus juridiquement qu'une "mineure" sous la coupe d'abord de son père, puis de son époux, ne pouvant passer de contrats qu'avec leur autorisation.

Dans la pratique, la situation a toujours été plus nuancée : sans entrer dans le détail des relations à l'intérieur de la famille et entre les époux, difficiles à connaître, le statut de la femme dépendait, entre autres facteurs, de la situation matérielle et du niveau social de la famille : dans les familles aisées, disposant de servantes, elle pouvait se contenter d'être la daune, la maîtresse de maison, régnant sur son univers domestique. Dans la grande majorité des cas, cependant, elle devait participer aux travaux des champs, chez elle, ou chez les autres pour les plus pauvres d'entre elles, embauchées au moment des grands travaux pour des salaires bien inférieurs à ceux des hommes. Son domaine, c'était d'ordinaire la maison avec les enfants, le jardin et la basse-cour. Grâce au petit élevage des volailles, dont elle allait porter les produits au marché, elle pouvait faire "bouillir la marmite" et satisfaire aux besoins élémentaires de la maisonnée, l'argent issu de la production agricole et du gros bétail étant généralement reversé dans l'exploitation et servant à couvrir les gros besoins.

La situation des femmes à la ferme s'est cependant peu à peu améliorée depuis la dernière guerre : avec la mécanisation de l'agriculture, elles participent de moins en moins aux gros travaux. Plus instruites, elles s'investissent plus activement dans la gestion de l'exploitation et peuvent participer à des activités extérieures. La diversification des activités liées au développement du "tourisme vert" leur a permis d'acquérir bien souvent une certaine indépendance financière grâce à la gestion de chambres d'hôtes, campings à la ferme ou à la vente directe des produits de la basse-cour (palmipèdes gras, par exemple).

Néanmoins, les mentalités ont bien du mal à évoluer et le partage des tâches au sein de l'entreprise familiale se fait bien souvent à leur détriment : à leur domination presque exclusive dans la sphère domestique (enfants, repas, ménage...) s'ajoutent des travaux à l'extérieur, les uns traditionnels (jardins, basse-cour), les autres plus nouveaux, mais tout aussi contraignants, qui sont liés à la gestion de l'exploitation : relations avec l'assureur, le banquier..., dont l'exploitant leur laisse souvent la gestion courante, se contentant d'intervenir lors des "grandes" décisions.

Un statut pour les agricultrices ? Il était alors nécessaire, mais a-t-il changé vraiment leur situation réelle ? La polyvalence de leurs activités demeure et leurs responsabilités augmentent : elles conduisent le tracteur et gèrent les finances de la ferme, mais continuent à s'occuper des enfants, de la cuisine et du ménage. Seul un changement profond des mentalités, lent à se dessiner, pourrait faire évoluer cette situation.

Francis Brumont

Transcription

Journaliste
Maïté [Antangue], chef d’exploitation depuis cinq ans, elle est à la tête d’un troupeau de 35 Blondes d’Aquitaine. Henriette [Dupré], conjointe d’agriculteur, vice-présidente du Modef des Landes, une propriété d’une vingtaine d’hectares, lait, maïs et foie gras. Michelle [Laïte], ancienne ouvrière, chef d’exploitation depuis quatre ans, elle fait naître plus de 35 000 canetons par an.
(Bruit)
Journaliste
Henriette, Maïté, Michelle font partie de ces 800 000 femmes paysannes, 100 000 sont chefs d’exploitation, les autres sont conjointes d’agriculteur, sans profession pour l’Etat civil. Un qualificatif qu’elles sont de plus en plus nombreuses à vivre comme une injustice.
Henriette Dupré
Moi, je suis une mère de famille, comptable, je suis femme de ménage. Et le reste du temps, j’essaie de concilier bien sûr toutes ces activités à l’intérieur pour travailler sur l’exploitation. Nous sommes toujours considérées sans profession, et les sans profession comme nous, alors que nous faisons dix heures de travail par jour, ce n’est pas normal.
Journaliste
Maïté, en devenant chef d’exploitation, a pris un statut d’homme. Les problèmes juridiques et sociaux résolus, restait le plus important, ce qu’aucun statut de co-exploitante ne réglera vraiment, restait à se faire accepter par ses collègues masculins. Et comment vous êtes reconnue dans le milieu agricole par vos pairs finalement ?
Maïté Antangue
Ben, maintenant, ça va. Au début, c’était un peu dur parce que quand ils voient une femme, ces messieurs, surtout dans les affaires, ils se méfient un peu. Et après, ça se passait très bien.
Journaliste
Vous avez des exemples de difficultés que vous avez rencontré de ce fait ?
Maïté Antangue
Mais en général, les femmes ne traitent pas les affaires sur les vaches, sur ce genre de chose, autrement pour les céréales, il n’y a pas de problème.
Journaliste
Michelle, une nouvelle génération d’agricultrice, Michelle, dont le retour à la terre fut un choix.
Michelle Laïte
Pourquoi je suis revenue à l’agriculture ? Parce que j’ai travaillé dix ans à l’usine. Puis, quand je me suis mariée en 75, deux ans après, j’attendais un bébé. Qui lui, il m’a donné le [sort] de revenir sur l’exploitation de mes parents.
Journaliste
C’est quand même une vie relativement dure, en particulier pour une femme, ça ne vous effrayait pas ?
Michelle Laïte
Non, pas du tout. On a beaucoup d’heures à faire, surtout en ce moment. L’été, il y a beaucoup d’heures parce qu’on se lève le matin vers 6 heures, on termine souvent à 11 heures du soir. Mais malgré toutes ces heures-là, je ne reviendrais pas à l’usine.
Journaliste
Dans votre famille, vous êtes une pièce, ce qu’on appelle une pièce rapportée, comment ça se passe ? Et qu'est-ce que c’est une pièce rapportée ?
Henriette Dupré
Une pièce rapportée, c’est quelqu’un qui n’est pas né dans le village.
Journaliste
La bru aussi.
Henriette Dupré
Voilà, on est la belle fille, et on vit le problème de la cohabitation du fait qu’on est cette pièce rapportée ; parce que bien souvent, on n’est pas agricultrice, on devient une agricultrice parce qu’on a épousé l’agriculteur.
Michelle Laïte
La cohabitation, c’est un très joli nom, mais un gros problème. Mais enfin, dès le départ, il faut prendre une décision au départ. Pour notre cas, c'est un problème qui a été vite résolu, la maison est assez grande, donc nous avons pris deux pièces pour nous. On dit toujours les jeunes sont fautifs, mais il faut supporter les parents ; parce que quand ils ont décidé, ils ont travaillé toute une vie toujours de la même manière, ils ne peuvent pas concevoir que les jeunes prennent d’autres décisions.
Journaliste
Dans votre couple, comment ça se passe, puisque vous travaillez dedans et vous travaillez dehors. Votre époux travaille dehors, mais est-ce qu’il travaille dedans ?
Michelle Laïte
Il travaille dedans quand il rentre le soir. Il fait la vaisselle pendant que moi, je couche les enfants. Et mon mari, lui, ça ne le gêne pas du tout de balayer, de faire la vaisselle, et même il a eut repassé des fois.
Henriette Dupré
Il faut dire que si on n’aide pas la roue à rouler, elle ne va pas rouler toute seule.
Michelle Laïte
Un mâle à la naissance vaut 23 francs, et une femelle vaut de 3 à 4 francs.
(Bruit)